Les raffineries du Québec se préparent à la fermeture possible du pipeline d’Enbridge qui les approvisionne en pétrole brut canadien, mais elles ne craignent pas de manquer de matière première.

Les deux seules raffineries encore en activité au Québec, celle de Valero à Lévis et celle de Suncor à Montréal, sont en meilleure position que les quatre raffineries de l’Ontario pour faire face à cette menace. Elles peuvent se débrouiller autrement si la Ligne 5 d’Enbridge cesse de les approvisionner en mai, comme l’a décrété la gouverneure démocrate du Michigan, Gretchen Whitmer, en invoquant des raisons de sécurité.

« Notre situation géographique fait que c’est moins critique, explique la porte-parole de la raffinerie de Lévis, Marina Binotto. Nous avons un port en eau profonde qui nous permet de faire venir notre approvisionnement par navire. »

À Montréal, la raffinerie de Suncor n’a pas cette possibilité, mais elle est reliée à un pipeline qui peut l’approvisionner en brut à partir de Portland, dans le Maine. Ce pipeline, inutilisé depuis que l’inversion du flot de la Ligne 9 d’Enbridge apporte du pétrole canadien à Montréal, pourrait être réactivé au besoin.

Lors d’une récente téléconférence avec les analystes financiers, le grand patron de Suncor, Mark Little, a indiqué que la fermeture de la Ligne 5 n’aurait pas d’impacts importants sur les activités des raffineries de l’entreprise à Sarnia et à Montréal.

Des coûts supplémentaires

La fermeture possible de la Ligne 5 est néanmoins une source de préoccupation pour les deux entreprises. « Ce n’est pas souhaitable parce que c’est toujours très important pour nous d’avoir plusieurs sources d’approvisionnement », précise la porte-parole de Valero.

Advenant la fermeture du pipeline d’Enbridge, le pétrole pourrait aussi voyager davantage par train et même par camion, qui sont des moyens de transport moins sécuritaires et plus coûteux pour les raffineries.

Les deux raffineries québécoises ne manqueraient pas de pétrole, mais elles devraient se priver du brut canadien qui leur coûte moins cher, explique Carol Montreuil, porte-parole de l’Association canadienne des carburants. Le pétrole canadien se vend à escompte par rapport au prix international parce qu’il est confiné sur le continent nord-américain.

« Même si des options existent, ça veut dire une perte de flexibilité et des coûts plus élevés pour les raffineries », dit-il.

Ces coûts plus élevés pourraient se répercuter à la pompe. Le grand patron de Suncor a indiqué lors de la téléconférence que le marché pourrait absorber les coûts supplémentaires.

Mais selon Carol Montreuil, les raffineries n’ont pas toute la latitude d’augmenter les prix. « Il y a des importateurs de produits raffinés, comme Norcan, qui leur font concurrence », souligne-t-il.

La menace de fermeture de la Ligne 5 d’Enbridge arrive à un mauvais moment pour l’industrie du raffinage, qui se remet difficilement de la pandémie. Les prix du pétrole ont récupéré, mais la demande de produits raffinés, comme l’essence et le carburant d’avion, est loin d’être revenue au niveau d’avant la crise.

À Terre-Neuve-et-Labrador, la raffinerie de Come By Chance a cessé ses activités quand la crise a frappé au printemps dernier et est toujours en dormance. Son propriétaire, North Atlantic Refining, l’a officiellement mise en vente.

Le gouvernement de Justin Trudeau a déjà indiqué qu’il ferait tout en son pouvoir pour soutenir Enbridge, qui conteste la décision de l’État du Michigan devant les tribunaux américains.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

La Ligne 5

— Le pipeline long de 635 milles relie les villes de Superior, au Wisconsin, et Sarnia, en Ontario, où la Ligne 9 prend la relève jusqu’à Montréal.

— Il peut transporter jusqu’à 540 000 barils par jour de pétrole brut et de liquides de gaz naturel qui sont transformés en essence, en carburant d’avion et en gaz propane.

— Les raffineries du Québec et de l’Ontario reçoivent près de la moitié de leur approvisionnement en matière première par la Ligne 5.

— Construit en 1956, le pipeline traverse le détroit de Mackinac, entre les lacs Michigan et Huron. C’est cette portion sous-marine de la ligne qui est jugée dangereuse par l’État du Michigan et qui a conduit à l’ordre de fermeture de la gouverneure Whitmer.

— Enbridge avait entrepris de sécuriser cette portion du pipeline en construisant un tunnel au coût de 500 millions avant de recevoir l’ordre de fermeture.