La québécoise OWG lance ce mardi une campagne proposant de rembourser l’argent que les compagnies aériennes refusent de rendre à certains voyageurs qui ont dû annuler leurs vols à cause de la pandémie. Une stratégie risquée dans le contexte actuel, affirment des experts.

Pour sa campagne appelée High Love, la compagnie aérienne de Mirabel invite les voyageurs dont le dépôt n’a pas été remboursé par une compagnie aérienne à lui raconter leur histoire et à courir la chance de se faire rembourser l’argent qui leur est dû.

« On veut donner l’occasion aux gens de gagner leur dépôt et en échange avoir l’occasion de gagner leur cœur », explique Marco Prud’Homme, PDG d’OWG.

L’entreprise déterminera un gagnant par semaine, qui pourra recevoir un chèque de la valeur de son dépôt perdu ou un crédit de voyage chez OWG. « Si j’étais eux, je prendrais l’argent », déclare M. Prud’Homme.

L’entreprise ne fixe pas de date de fin à sa campagne.

La logique derrière la campagne publicitaire est de redonner « de l’amour aux voyageurs », qui en ont vu de toutes les couleurs durant la dernière année. Les compagnies aériennes ont d’abord refusé de les rembourser, et ceux qui se sont servis d’un crédit de voyage se sont fait juger et qualifier de « covidiots », raconte M. Prud’Homme. « Je pense que cette clientèle-là manque d’amour », ajoute le PDG.

Un contexte « tellement épineux »

« C’est une stratégie risquée. Les possibilités qu’il y ait un contrecoup [backlash] sont grandes », explique Paul Arseneault, professeur au département de marketing de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et expert en tourisme. « Le dossier est tellement épineux que je n’irais pas jouer là-dedans. »

« Je suis curieux de voir la réaction du public », affirme pour sa part Renaud Legoux, professeur au département de marketing de HEC Montréal. « On touche à une question tellement délicate. Tout ce qui touche à la pandémie, si on a une publicité négative, ça peut suivre longtemps. »

Les deux experts consultés trouvent que cette campagne arrive un peu tard. L’entreprise ne bénéficiera pas, selon Renaud Legoux, de l’avantage de la spontanéité qui peut faire en sorte que le public pardonne un éventuel faux pas.

« C’est difficile d’avoir l’air authentique dans ce genre de campagne là. Surtout lorsque la générosité ne s’adresse pas à tout le monde, explique-t-il. Ils veulent faire une campagne virale, mais on peut rapidement en perdre le contrôle. »

Le PDG d’OWG explique qu’il ne veut pas faire pression sur le gouvernement, qui n’a toujours pas donné d’aide financière aux compagnies aériennes, mais seulement se définir comme solution de rechange québécoise aux compagnies aériennes à bas prix.

« Les compagnies à bas prix [low cost], il y a un coût à ça, explique M. Prud’Homme. Quand on se retrouve dans une situation difficile, on n’est pas capable de rembourser. Nous, on se place en disant : “Soyez sans crainte, on n’est pas une compagnie à bas prix, on ne va pas se financer avec vos dépôts.” »

Pour Mehran Ebrahimi, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, il s’agit ici de « marketing malveillant » qui n’est pas dans l’intérêt de l’industrie aérienne, déjà fragilisée. De plus, l’argumentaire de la faute aux compagnies à bas prix ne tient pas la route.

« La compagnie qui garde le plus grand montant de dépôts sur des billets non remboursés, c’est Air Canada, pour à peu près 2,5 milliards de dollars, et c’est une compagnie tout à fait conventionnelle », affirme M. Ebrahimi.

« OWG a la tâche facile parce qu’elle n’a pas des centaines de millions de dollars à rembourser, explique-t-il. Cette compagnie en profite puisqu’elle n’a pas d’antécédents. Un restaurant qui livre son premier repas peut dire à son client qu’il n’a jamais livré de repas en retard. »

L’aide gouvernementale se fait toujours attendre

M. Ebrahimi considère qu’il est « absolument scandaleux » que les compagnies aériennes aient gardé l’argent de leurs clients sans offrir les services en retour.

« Ce sont les citoyens qui financent les compagnies aériennes, alors que ce n’est pas leur rôle », explique-t-il.

Il rappelle que le Canada demeure le seul pays du G20 qui n’a pas aidé ses compagnies aériennes à traverser la crise économique causée par la pandémie de COVID-19. De nombreux pays qui ont accordé de l’aide à leurs compagnies aériennes l’ont fait en y incluant la condition que celles-ci devaient rembourser leurs clients à qui elles n’avaient pu fournir de service.

L’entreprise aérienne OWG, établie à Mirabel, a démarré ses activités en pleine pandémie, en juin dernier. Elle est la propriété de Nolinor, entreprise de location d’avions. La nouvelle ligne aérienne a effectué ses premiers vols vers Cuba en décembre dernier. Selon son PDG, l’entreprise a fait six vols avant de devoir cesser ses activités à cause des restrictions de voyages vers les destinations soleil imposées à la fin de janvier.