Fortement endettée et accusée de manquer de transparence, la coopérative agricole Agropur a de gros défis à relever. L’un d’eux sera de trouver les liquidités pour payer des dividendes dont le rendement annuel atteindra 9,55 % dans certains cas.

Le paiement de ces dividendes aux détenteurs de parts privilégiées a été reporté l’année dernière dans le but de sauvegarder les liquidités du transformateur laitier. Or, un report prolongé entraîne automatiquement une majoration additionnelle du rendement du dividende, rapporte sur son site internet le média spécialisé La Vie agricole, qui a eu accès aux états financiers officiels d’Agropur.

Autre tâche colossale qui attend le transformateur agroalimentaire aux revenus de 8 milliards et à la marge bénéficiaire nette de 0,5 % : il doit refinancer un prêt de 878 millions dès 2022.

Ces informations se trouvent dans le rapport annuel intégral remis aux membres de la coopérative, mais qu’Agropur a refusé de divulguer aux journalistes pour la première fois cette année. Seule une version sans les résultats audités est diffusée sur le site du producteur de lait Québon. La Presse a pu consulter le document grâce à un geste de solidarité journalistique de La Vie agricole.

« Les états financiers sont contenus dans le rapport annuel réservé aux producteurs laitiers, membres de la Coopérative », a expliqué dans un courriel Diane Jubinville, porte-parole d’Agropur.

Dans un autre geste peu commun, la coopérative a aussi expurgé des rapports annuels des années précédentes les renseignements financiers vérifiés qui s’y trouvaient auparavant, ce qui complique la tâche des journalistes chargés de couvrir les faits et gestes de ce fleuron de la coopération.

Pour obtenir le portrait financier du transformateur laitier, le public doit donc se contenter d’un résumé d’une page qui, contrairement aux états audités, ne dit mot sur la structure du capital ou la rémunération de la haute direction.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Émile Cordeau, chef de la direction d’Agropur

Le chef de la direction Émile Cordeau a par ailleurs mis fin à une longue tradition d’ouverture et de transparence en ne daignant pas rencontrer les médias, même virtuellement, lors de la journée de l’assemblée générale des membres de la coopérative qui s’est tenue mercredi.

« La 82e assemblée générale annuelle s’est tenue ce [mercredi] matin, une première fois en mode virtuel ! Nous n’avons pas eu de rencontre de presse aujourd’hui », a reconnu Mme Jubinville, dans le même message.

Les journalistes qui couvrent le secteur agricole n’ont donc pas pu demander des explications à la haute direction de cet important employeur sur la dégradation de ses conditions de financement, une situation qui, si elle continuait d’empirer, pourrait avoir des répercussions fâcheuses pour de nombreux agents économiques québécois.

À contre-courant

Cette attitude de la part d’une coopérative de près de 3000 membres déçoit un spécialiste de la gouvernance.

« Elle va un peu à contre-courant de ce qu’on voit ailleurs en termes de pratiques de divulgation, indique Michel Magnan, professeur de comptabilité à l’Université Concordia et titulaire de la Chaire de gouvernance d’entreprise Stephen A. Jarislowsky. On pousse beaucoup sur tous les plans maintenant pour plus de transparence. Quand il est question, par exemple, des principes ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance], un grand nombre de sociétés produisent des rapports même si elles n’ont pas nécessairement l’obligation de le faire. Donc, il y a plus de transparence alors qu’ici, on a le phénomène inverse », déplore-t-il.

« Les activités d’une coopérative sont censées être dans l’intérêt des membres, poursuit M. Magnan. Je pense qu’ici, l’intérêt des membres n’est pas nécessairement bien servi en restreignant l’accès à l’information, car les membres, des producteurs laitiers, pourraient bénéficier des analyses qui seraient faites. Ça les aiderait à mieux comprendre ce qui se passe. Ça peut être utile d’avoir des éclairages qui viennent de l’externe, en dehors de la direction. »