Comme tant d’autres entrepreneurs, Julie Bernèche s’est sentie à bout de souffle au début de l’année. Mais contrairement à la plupart d’entre eux, elle s’est donné le droit à un long temps d’arrêt, et a tout planifié pour que sa firme continue de fonctionner. Elle nous a ouvert son manuel d’instructions.

Le 4 juin 2021. La date est gravée dans la mémoire et l’agenda de Julie Bernèche, présidente de Dju Design. Sa première journée sans réunion. « J’ai fermé mes dossiers dans la semaine du 4 juin et j’ai délégué », raconte-t-elle.

Elle a mis le cap sur quatre mois d’arrêt pour embrasser des activités nullement professionnelles. Pour ralentir. « J’ai deux jeunes enfants, explique-t-elle. Mon chum a changé d’emploi. J’ai eu la charge familiale, celle de l’entreprise et le stress lié aux employés pendant la pandémie. On a perdu des clients, même si on a eu une année de fou. J’avais de la misère à suivre la parade. » Ajoutez à cela, avant la COVID-19, de la maladie dans sa famille et un déménagement non souhaité de ses bureaux…

La présidente s’est accordé le droit de reconnaître son épuisement et de l’avouer à son entourage et à sa dizaine d’employés.

« J’ai écouté les signes de mon corps, dit-elle. Je n’étais pas en petite boule en train de pleurer, mais j’avais besoin de me ressourcer. »

Pendant quatre mois, Julie Bernèche dit avoir renoué avec des gens, consacré plus de temps à ses enfants, géré des rénovations. « Je me suis acheté un paddle board, je suis allée dans un festival et j’ai fait beaucoup d’aquarelle », énumère-t-elle.

Oublier son ego

« Des entrepreneurs pensent à tort qu’une pause sera vécue comme un échec », explique David Girard, cofondateur et vice-président de BonBoss, à qui Julie Bernèche a parlé de son projet quelques mois avant de l’exécuter. « L’ego est notre propre ennemi dans de tels cas. Je dis alors aux gens : ‟Laissez faire l’ego ! Choisissez-vous d’abord !” »

En plus de craindre que la révélation de notre état soit mal perçue, l’idée même de laisser les commandes de notre PME à d’autres peut provoquer de l’anxiété. « On a peur de l’imprévu et de l’inconnu, mais les choses vont se placer, car la nature a horreur du vide, estime toutefois David Girard. Il faut faire la paix avec ça. Faire un pas de recul est immensément important pour sa santé physique et mentale. Quand on prend la décision d’arrêter, on est souvent en zone rouge. Il faut voir arriver les signes, être lucide et accepter. »

Julie Bernèche a justement longuement planifié son temps d’arrêt estival.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Julie Bernèche

Ce n’est pas la première fois que j’essaie d’arrêter, admet-elle. L’hiver dernier, j’étais épuisée. J’avais tous les signes d’un burn-out. Ça avait plus ou moins marché, car ce n’était pas planifié. Là, je me suis entourée pour prendre un vrai temps d’arrêt.

Julie Bernèche, entrepreneure

Trois mois avant de partir, elle a tendu la main à une amie entrepreneure (Isabelle Gagnon), qui a revu certaines façons de faire dans l’entreprise et qui a été promue directrice générale. C’est à elle et à une autre associée du bureau (la directrice service-conseil Geneviève Charette) qu’elle a confié les rênes du studio de design. Elle a embauché une directrice artistique en avril. Elle s’est ensuite assise avec chaque employé pour leur parler de sa santé et de son projet.

« En Isabelle, j’avais quelqu’un sur qui m’appuyer, qui avait déjà été gestionnaire d’entreprise, raconte Geneviève Charette. C’est très rassurant. Julie n’a pas attendu d’avoir frappé un mur. Elle a pris les devants et s’est entourée des bonnes personnes. On s’est assises ensemble, avant son départ, pour décider quoi mettre en place notamment, afin de faciliter l’arrêt de Julie. »

Ne pas déranger

Elles ont convenu entre autres qu’il fallait communiquer le moins possible avec la présidente. Et surtout, ne rien lui dire de négatif. « On a maintenu une certaine forme de communication pendant son absence, explique Geneviève Charette. Une fois par semaine, Julie allait consulter un tableau pour quelque chose à valider. »

Julie Bernèche affirme avoir totalement fait confiance à sa paire d’amies. « Isabelle et Geneviève ont embauché pendant mon absence », indique-t-elle, à titre d’exemple.

« Les choses doivent quand même avancer, soutient Geneviève Charette. Il y a encore des employés. L’entreprise ne doit pas être sur pause. Une telle décision permet aussi aux gens de prendre du galon. »

Pendant tout ce temps, le chiffre d’affaires n’a pas fléchi, augmentant même de 35 %, selon la direction. « Elle a rendu son équipe autonome, note David Girard. Ça passe beaucoup par la culture d’entreprise. »

Julie Bernèche est revenue en octobre dernier plus reposée et avec un chapelet de résolutions pour ne pas retomber dans ses « vieilles habitudes ». « Il y aura toujours un côté fragile, admet-elle. Je veux me donner des gorgées d’air et trouver un équilibre. Je ne voulais pas revenir dans le même rôle. Je faisais beaucoup de ressources humaines et de direction de compte, alors que mes grandes forces sont le développement des affaires et le rayonnement de notre marque. »

Plus question de bosser 55 heures par semaine. « Je veux pouvoir entrer un entraînement sans le coincer dans mon horaire, dit Julie Bernèche. Je veux revenir avec un certain sentiment de liberté. Je me bloque maintenant des moments ‟non disponible” dans mon horaire. Je ne veux plus mettre mon masque à oxygène. »

PHOTO FOURNIE PAR JULIE BERNÈCHE

L'entrepreneure Julie Bernèche a pris quatre mois l'été dernier en congé, histoire de s'accorder du temps pour soi.

Des conseils pour ralentir

S’entourer de gens de confiance

« Parfois, le C.A. peut prendre certaines décisions, estime Julie Bernèche. Est-ce qu’il y a un employé clé à qui donner certaines tâches ? Quand on parle, des gens viennent à nous. »

« Mais l’employeur qui part doit s’assurer qu’il y a une harmonie chez les gens en place », ajoute Geneviève Charette.

Ne pas regarder ses courriels

« Comme je ne voulais pas donner cette tâche à l’interne, je l’ai confiée à l’externe, à une amie qui déléguait à mon équipe, raconte Julie Bernèche. De toute façon, mes courriels ne sont habituellement pas des urgences. »

Planifier

« Je crois à la planification, sinon on tombe dans l’improvisation et l’urgence. Ça devient anxiogène », dit David Girard.