La recherche d’un nouveau dirigeant à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) prend une tournure inattendue : Jim Vena, pressenti par plusieurs observateurs pour prendre les commandes de l’entreprise, se désiste – une décision qui suscite plus de questions que de réponses.

Cette décision a surpris les analystes et a été mal accueillie par les investisseurs. À la Bourse de Toronto, lundi, le titre du plus important transporteur montréalais au pays a abandonné 5,9 %, ou 9,62 $, pour clôturer à 154,50 $.

Anthony Hatch, de ABH Consulting, est étonné de la tournure des évènements.

L’analyste new-yorkais s’attendait à voir le CN trancher entre M. Vena – le candidat proposé par TCI Fund Management, cet investisseur militant au cœur d’un bras de fer avec le chemin de fer – ou une autre personne.

« Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est que ce n’est pas Jim et on ignore toujours qui sera le prochain dirigeant », explique-t-il, au téléphone.

D’après le CN, M. Vena, 61 ans, résidant de l’Arizona selon son profil LinkedIn, s’est désisté dimanche. Il aurait eu « plusieurs entretiens » avec le plus important transporteur ferroviaire au pays, dont l’actuel président-directeur général Jean-Jacques Ruest, âgé de 67 ans et bilingue, doit en principe quitter son poste le mois prochain.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE UNION PACIFIC

Jim Vena était considéré par plusieurs analystes comme le favori pour prendre les commandes du CN.

Les raisons du retrait de M. Vena, membre de la haute direction du transporteur ferroviaire américain Union Pacific jusqu’à la fin de 2020, n’ont pas été précisées. Le principal intéressé n’avait pas répondu, lundi, aux messages de La Presse, à l’instar de TCI.

« Un certain nombre de questions demeurent sans réponse, estime Walter Spracklin de RBC Marchés des capitaux. Est-ce qu’il s’est seulement retiré ou il n’était plus intéressé ? Si c’est le cas, pourquoi ? Qui est maintenant le principal candidat ? »

L’identité de la personne qui s’installera aux commandes du CN devrait être annoncée en janvier.

Pièce centrale

Vétéran de l’industrie ferroviaire, M. Vena a travaillé pendant quatre décennies au CN, où il a été chef de l’exploitation de février 2013 à juin 2016. Il était l’homme de confiance de TCI, deuxième actionnaire du plus important transporteur ferroviaire au pays (5,2 %), qui a forcé la tenue d’une assemblée extraordinaire le 22 mars pour remplacer 4 des 11 administrateurs du CN par des candidats qu’il a choisis. La société ferroviaire n’a pas indiqué si l’évènement était annulé.

« M. Vena était à trois mois de potentiellement obtenir le poste de président du chemin de fer où il a passé une grande partie de sa carrière, dit M. Hatch. Il s’est certainement passé quelque chose. La bataille [entre TCI et le CN] a probablement joué un rôle. »

L’analyste américain croit aussi que le vétéran de l’industrie pourrait s’intéresser à certains postes qui pourraient potentiellement s’ouvrir. Par exemple, le grand patron de CSX, Jim Foote, est âgé de 66 ans et pourrait approcher l’âge de la retraite. On ne lui a pas publiquement désigné de successeur, souligne M. Hatch.

C’est au printemps que TCI a commencé à publiquement critiquer le CN, qui tentait d’acquérir le Kansas City Southern. Le chemin de fer américain a finalement opté pour l’offre d’achat du Canadien Pacifique en septembre dernier.

Le fonds militant exigeait le départ de M. Ruest et du président du conseil d’administration, Robert Pace. À son avis, plutôt que de se lancer dans un projet d’acquisition coûteux, le CN aurait dû s’affairer à améliorer l’efficacité de ses activités.

Même s’il ne peut plus compter sur le candidat qu’il souhaitait voir à la tête du CN, TCI a néanmoins obtenu ce qu’il voulait, estime M. Hatch. D’un côté, l’actuel patron tirera bientôt sa révérence, tandis que la retraite du président du conseil d’administration est prévue en 2022.

L’analyste Konark Gupta, de la Banque Scotia, croit aussi que TCI pourrait poursuivre ses efforts pour promouvoir la candidature de M. Vena pour le poste de président à l’occasion de l’assemblée du 22 mars.

Le CN dit avoir « repéré » des candidats et en avoir rencontré d’autres. L’entreprise est assujettie à la Loi sur les langues officielles. Jusqu’à présent, elle a refusé de dire si la maîtrise du français serait prise en compte.

Cette question est de retour au premier plan depuis la tempête linguistique déclenchée par le président et chef de la direction d’Air Canada, Michael Rousseau.

Quelques noms évoqués comme candidats par les analystes

  • Mike Corey : chef de l’exploitation du CN jusqu’en mai dernier, ce dernier a passé 40 ans au sein de l’entreprise. Selon son profil LinkedIn, il est actuellement consultant.
  • Rob Reilly : après 30 ans au sein du géant ferroviaire américain BNSF Railway, il travaille pour le CN depuis 2019 et occupe le poste de chef de l’exploitation. Il participe de près à la gestion des activités.
  • Sameh Fahmy : parfaitement bilingue, cet ancien cadre du CN vient de terminer un mandat de trois ans au Kansas City Southern (KCS). Interrogé par La Presse, l’homme de 70 ans a confirmé avoir rencontré son ancien employeur, sans donner plus de détails.
  • Autres : le chemin de fer pourrait choisir un candidat dont le nom n’a pas été évoqué. Par exemple, des cadres de KCS pourraient avoir à chercher du travail puisque l’entreprise passera dans le giron du Canadien Pacifique.

L’une des principales actionnaires du CN, Melinda French Gates, a liquidé une partie de sa participation dans le chemin de fer plus tôt ce mois-ci, ce qui lui a permis d’empocher 467 millions US, d’après un document déposé auprès des autorités réglementaires américaines. Entre le 7 et le 12 décembre, elle a vendu 3,7 millions de titres à un prix moyen de 127,84 $ US. Mme French Gates détient toujours une participation de 4,7 % dans le CN. Cette dernière a obtenu un bloc d’actions du chemin de fer dans la foulée de son divorce survenu au printemps dernier avec le cofondateur de Microsoft, Bill Gates.