L’homme de 59 ans quitte la Banque Nationale près de 15 ans après avoir été nommé PDG en 2007. C’est le plus long règne d’un PDG dans l’histoire moderne de la banque. Louis Vachon nous raconte ses moments les plus satisfaisants, mais aussi ses regrets.

« Je n’ai jamais accepté l’escompte Québec. Je ne suis pas né avec un complexe d’infériorité. »

Louis Vachon parle avec passion quand vient le temps de discuter de l’évaluation de l’action de la Banque Nationale. Il quitte l’organisation alors que l’action est à un sommet historique à la Bourse. Sous sa direction depuis 2007, le titre de la banque a produit un rendement total annualisé de 14 %, surpassant toutes les grandes banques canadiennes et le TSX. L’escompte souvent appliqué sur le titre pour différentes raisons a disparu.

« On est rendu à prime maintenant », glisse Louis Vachon, non sans fierté.

Il y avait toujours une bonne raison pour placer un escompte (c’est-à-dire un multiple d’évaluation moins élevé que celui appliqué sur l’action des autres banques), que ce soit la diversification à l’étranger, la concentration des activités au Québec, l’exposition aux marchés financiers ou l’exposition de la banque au secteur de l’énergie.

Je n’ai jamais cru qu’on était une moins bonne banque que les autres ou que notre économie était moins bonne au Québec.

Louis Vachon

Louis Vachon refuse cependant de s’accorder le mérite pour l’élimination de l’escompte. « C’est une victoire pour les Québécois. C’est une reconnaissance de l’économie québécoise », dit celui qui fêtera ses 60 ans l’été prochain.

« La banque a été favorisée par une meilleure appréciation de l’économie du Québec par les marchés financiers, par le consensus nord-américain anglo-saxon. La perception de l’économie du Québec sur le plan des finances publiques, du positionnement pour les changements climatiques, de la nouvelle économie et le fait que des éléments comme les garderies subventionnées servent aujourd’hui d’inspiration sont tous des éléments du modèle québécois peu appréciés il y a 15 ans qui le sont beaucoup plus aujourd’hui. »

L’impression négative de l’économie du Québec n’était pas méritée, selon lui. « Parce que, au cours des 15, 20 dernières années, l’économie du Québec a bien fait », dit le nouveau retraité.

Si la division des marchés financiers de la banque a généré de bons résultats au fil des ans, elle n’a rien à voir avec les Lehman Brothers et Bear Stearns de 2006, dit Louis Vachon. « Il y a beaucoup moins d’activités spéculatives. C’est beaucoup plus centré sur les clients. »

Bay Street estime que le titre de la banque est pleinement évalué à son cours actuel et les analystes sont partagés (un sur deux recommande d’acheter). Lorsqu’on discute de sa relation avec les analystes, Louis Vachon allègue qu’il y en a encore qui ne lui « aiment pas la face ». « Mais je t’assure, c’est réciproque », dit-il avec le sourire.

Un homme « serein »

Le petit côté beauceron de cet homme issu d’une célèbre famille d’entrepreneurs de la Beauce se manifeste souvent durant la conversation. L’arrière-petit-fils des créateurs des « petits gâteaux Vachon » raconte d’ailleurs qu’un des moments les plus satisfaisants qu’il conservera de sa présidence est l’expulsion manu militari d’un individu truculent lors de l’assemblée annuelle des actionnaires de la banque en 2011.

« Me faire écœurer n’est pas dans mon code génétique », dit-il.

« On a enduré pendant des années cet homme qui avait un litige financier avec la banque. Il venait nous emmerder à l’assemblée des actionnaires. C’était une tactique de harcèlement pour qu’on le paye. Il n’était pas un actionnaire intéressé. C’était quelqu’un qui faisait de l’interférence pendant les présentations. En 2011, on l’a mis dehors. Il n’a pas touché à terre. Il est sorti. »

La première pelletée de terre pour lancer en 2018 la construction du nouveau siège social de la banque est un autre beau moment que Louis Vachon dit retenir de son passage aux commandes de la plus grande institution bancaire du Québec.

La croissance de la gestion de patrimoine et l’expansion des activités à l’étranger – avec l’acquisition notamment d’une banque au Cambodge – sont d’autres incontournables du règne de Louis Vachon.

Si le début de la crise du papier commercial en 2007 reste un de ses pires souvenirs, il n’hésite pas à dire que la liste des erreurs qu’il a commises est « très » longue. « On a été six mois en retard par rapport à nos concurrents à lancer notre application mobile bancaire », déplore-t-il.

« Quand tu regardes l’importance des services bancaires mobiles aujourd’hui et la façon dont ça a changé l’économie, ce n’est pas mon meilleur moment. Ce n’est pas une décision qui a bien vieilli. »

« Étendre nos activités à l’international a été une bonne décision, mais la façon dont ç’a été fait en 2015 et 2016, disons qu’on aurait pu mieux la communiquer. On a insécurisé le marché. Si j’avais à le refaire, je le referais différemment. »

Louis Vachon se dit néanmoins « serein » et « confiant » en quittant la banque.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le mandat de Louis Vachon à la tête de la Banque Nationale est terminé. Il cède les commandes à Laurent Ferreira.

Serein, parce que, en bon français, ç’a été une belle “ride”. Du point de vue de l’évolution de la culture, de la croissance de l’organisation et de la performance financière. Et je suis confiant, parce que j’ai confiance en l’équipe, en Laurent [Ferreira] et en l’organisation.

Louis Vachon

Il ajoute qu’un des avantages d’un travail qui amène une certaine visibilité et une certaine notoriété est le privilège de croiser beaucoup de gens. « Des gens connus et des gens inconnus. Des politiciens, des entrepreneurs et des artistes. Et quand tu t’intéresses à la finance, à la stratégie, à la gestion et à la mobilisation des talents, tu as l’impression d’avoir les deux mains sur le volant et d’exercer une certaine influence en prenant des décisions qui ont un impact, bon ou mauvais. »

Pour la première journée de sa retraite lundi, il accompagnera son successeur, Laurent Ferreira, à Toronto pour un voyage éclair parce que, en raison de la pandémie, ils n’ont pu visiter ensemble certaines personnes qu’ils souhaitaient rencontrer.

Il mettra ensuite le cap sur l’Europe pour deux semaines (en France). À son retour, il prévoit aller à la chasse avant de se rendre quelques jours en Floride en décembre pour ensuite revenir passer Noël dans la région de Québec. Il espère que les prochains mois l’aideront à décider comment il organisera sa vie professionnelle, sociale et philanthropique pour les 15 prochaines années. Il sait déjà qu’il continuera à siéger aux conseils d’administration de Couche-Tard et de Molson Coors. Pour le reste, il aura un choix à faire parmi les propositions déjà nombreuses.

Louis Vachon à propos…

De l’inflation

« Il y a des éléments transitoires liés à la COVID-19. Je vois trois facteurs inflationnistes : la démographie (beaucoup de monde s’en va à la retraite et l’immigration est au ralenti avec la pandémie, ce qui réduit le nombre de nouveaux employés disponibles en Amérique du Nord), les changements climatiques (les investissements massifs pour décarboner l’économie seront inflationnistes pendant plusieurs années) et la géopolitique, qui se répercute sur les chaînes d’approvisionnement. C’est un peu inquiétant d’avoir vu la Fed se peinturer dans un coin en début d’année. »

Des cryptomonnaies

« Ce ne sont pas des monnaies. On ne peut pas acheter grand-chose. Ce sont des cryptoactifs. Pour certaines personnes, c’est un outil de spéculation, de diversification et de protection contre l’inflation. On verra comment ça se comporte si les taux d’intérêt montent. La seule implication de la banque est qu’on transige les FNB liés aux cryptos. On est mainteneur de marché pour ces FNB. C’est une façon relativement prudente offerte aux gens qui veulent investir là-dedans. Ils ne sont pas obligés d’ouvrir un wallet [portefeuille crypto]. »

Des chances de voir une cryptomonnaie au pays

« Le projet est à l’étude par la Banque du Canada. Ce sera un dernier recours, une stratégie défensive. Si la Banque du Canada voit des cryptomonnaies devenir très utilisées, elle voudra conserver le pouvoir. C’est pour ça que c’est à l’étude. Mais ce n’est pas clair, ce que ça accomplirait. La problématique est qu’une brèche a été ouverte dans le système bancaire international pour ceux qui veulent faire de l’évasion fiscale ou blanchir de l’argent. La Chine a commencé à bannir les cryptomonnaies. Les États-Unis ne les banniront pas, mais vont les réglementer. C’est la priorité de la SEC. »

Du cannabis

« La Banque Nationale reste très peu impliquée et je ne pense pas qu’on a manqué grand-chose. Le contexte réglementaire demeure incertain aux États-Unis. La loi fédérale américaine interdit toujours la distribution du cannabis. Notre implication est ciblée et s’en remet à notre relation avec la SQDC et son équivalent au Nouveau-Brunswick. Le marché noir continue d’être très présent. Est-ce que ça nous a coûté des occasions d’affaires ? La réponse est non. »

De la Bourse

« Il y a des secteurs où les évaluations sont très élevées (les cryptos, les mêmes stocks et les titres politiques comme celui lié au nouveau réseau social de Donald Trump), mais ce n’est pas le marché en général. Si l’inflation reste modérée, c’est très positif pour le marché canadien parce qu’on a des matières premières. Un peu d’inflation, c’est aussi positif pour les banques et pour les fonds de placement immobilier. C’est une question psychologique pour les marchés de savoir si la banque centrale a perdu le contrôle sur l’inflation ou que ce n’est plus une priorité. Ce n’est pas un chiffre, c’est un état d’esprit. C’est là que ça va basculer : si on vient à craindre que les taux montent trop vite. »

Du salaire minimum

« Un employeur important comme Amazon a plus d’impact sur le marché de l’emploi que le salaire minimum lorsqu’il offre de 18 $ à 20 $ l’heure plus 3000 $ en prime en étant à la recherche de 15 000 employés au pays. Je suis davantage un partisan de laisser la main invisible faire son travail. Avec le manque de main-d’œuvre, les employeurs doivent payer un peu plus et si les travailleurs en profitent, tant mieux pour eux. »