Préparatifs pour dénicher de nouveaux fournisseurs dès 2011, paiements tardifs pour des factures et diminutions planifiées des volumes de travail… C’est de cette façon qu’Air Canada a préparé l’écrasement d’Aveos, ce qui lui a permis d’économiser au moins 600 millions dans les quatre années ayant suivi la disparition du spécialiste de la maintenance, selon les avocats de ses ex-travailleurs.

Contrairement à ses rivaux, le plus important transporteur au pays ne pouvait délocaliser la maintenance de ses avions dans des marchés où les prix étaient moins élevés pour réduire ses dépenses. Sa loi constituante l’obligeait à réaliser ce travail à Montréal, Mississauga et Winnipeg.

Pour être en mesure de se décharger de ses obligations, allègue la poursuite, Air Canada a ainsi transféré ses employés dans une nouvelle entité indépendante : Aveos, qui a mis la clé sous la porte en mars 2012.

« La solution était de couper les liens d’emploi avec eux et provoquer la déconfiture de l’entreprise, a plaidé mardi Anne-Julie Asselin, qui fait partie des avocats de la poursuite, devant la juge Marie-Christine Hivon, de la Cour supérieure du Québec. Ensuite, il s’agissait de faire porter le blâme de cette déconfiture sur elle plutôt qu’Air Canada. »

Début des plaidoiries

Au premier jour des plaidoiries dans le cadre du procès de l’action collective d’au moins 150 millions intentée par les anciens travailleurs d’Aveos contre Air Canada – qui entre dans sa quatrième semaine d’audiences –, la poursuite a longuement braqué les projecteurs sur les gestes de la société aérienne à l’endroit de son fournisseur.

La somme réclamée ne tient pas compte des dommages-intérêts individuels.

Ex-filiale d’Air Canada devenue une entité indépendante au terme d’un processus qui s’est terminé en 2011, Aveos était très dépendante de l’entreprise, qui représentait plus de 90 % de ses revenus.

Devant la juge Hivon, MAsselin a plaidé que la preuve démontrait qu’Air Canada savait, « au plus tard » dès janvier 2011, qu’elle lancerait un appel d’offres pour la maintenance des cellules de ses avions – la partie qui comprend notamment le fuselage – et que la structure de coûts d’Aveos l’empêcherait vraisemblablement de décrocher ce contrat.

Selon ce qui a été présenté par la poursuite, la compagnie aérienne, dans le cadre de ses vérifications visant à préparer son appel d’offres lancé le 6 janvier 2012, a demandé si les potentiels fournisseurs seraient prêts à effectuer de la maintenance de cellules dès juin 2012, un an avant la fin de son contrat d’exclusivité avec Aveos.

« Comme de vieux sacs à ordures »

Président de l’entreprise de maintenance du printemps 2011 jusqu’à la fermeture, Joe Kolshak avait expliqué, lors de son témoignage, qu’il souhaitait abandonner le créneau des cellules pour se tourner vers les moteurs et les composants, mais pas avant la fin des ententes d’exclusivité.

« Cela lui assurait des liquidités qui lui permettaient de réorganiser son entreprise », a souligné MAsselin.

Venu assister aux plaidoiries, Mario Longo avait toujours de la difficulté à digérer la tournure des évènements, une décennie plus tard.

En compagnie de deux anciens collègues, celui-ci s’est dit étonné d’avoir appris qu’Air Canada souhaitait à ce point prendre ses distances d’Aveos après avoir convaincu ses employés de maintenance d’accepter d’être transférés dans une nouvelle entité indépendante.

« Ils nous ont jeté comme de vieux sacs à ordures », a-t-il dit à La Presse, à sa sortie de la salle d’audience.

Comment être surpris ?

Aveos avait brusquement cessé ses activités après avoir perdu une bonne partie de ses contrats de maintenance. Cela avait été à l’origine de recours judiciaires à l’endroit d’Air Canada, à qui l’on reprochait de ne pas respecter les obligations de sa loi constituante de 1988.

Environ 2600 salariés, dont 1800 au Québec, avaient perdu leur gagne-pain. L’action collective couvre la période de 2012 à 2016, année où la loi fédérale a été modifiée par le gouvernement Trudeau pour accorder davantage de souplesse à Air Canada.

La poursuite a aussi abordé le non-respect de la loi fédérale, ce qui avait déjà été confirmé par la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel dans le cadre des recours judiciaires qui avaient été intentés par le gouvernement québécois – avant d’être abandonnés – à l’endroit d’Air Canada.

Pendant le procès, les témoins de la défense ont expliqué que le volume de travail confié à Aveos par Air Canada était demeuré relativement stable entre 2010 et 2012.

Mais en évaluant les livres comptables, la poursuite estime que les données ont été gonflées de 46 % pour les premiers mois de 2012, des factures d’années antérieures totalisant 37,7 millions ayant été comptabilisées.

« Ça ne compte pas dans le volume d’affaires, ça », a lancé MAsselin.

Au moment de cesser ses activités, Air Canada devait au bas mot 44,2 millions à Aveos, d’après la poursuite. Cette pression financière supplémentaire appliquée sur l’entreprise de maintenance l’empêchait de garder la tête hors de l’eau.

Des témoins, comme Michael Rousseau, actuel président et chef de la direction d’Air Canada, qui était directeur financier – en plus de siéger au conseil d’administration d’Aveos en 2012 –, et Calin Rovinescu, grand patron de l’époque, avaient raconté avoir été pris de court par la fermeture d’Aveos.

Pour MAsselin, cela ne tient pas la route.

« Selon nous, c’est impossible qu’il y ait une surprise, a dit l’avocate. Peut-être qu’ils ont été surpris du moment, de la rapidité. On ne le conteste pas. Mais il est impossible qu’ils aient été surpris que ça survienne [la fermeture d’Aveos]. »

La plaidoirie des avocats d’Air Canada est prévue ce mercredi.