(Toronto) Difficile de dire qui est le grand patron chez Rogers Communications.

Le géant des télécommunications se retrouve avec deux groupes qui prétendent être aux commandes. Un clan est dirigé par Edward Rogers, qui était président du conseil d’administration jusqu’à jeudi dernier, et qui affirme avoir été réélu président dimanche par un nouveau conseil d’administration trié sur le volet.

En face de lui se trouvent sa mère, ses sœurs et plusieurs autres membres du conseil d’administration, qui affirment que la réunion de dimanche était illégitime et que les cinq membres qui ont été remplacés par Edward Rogers restent au conseil d’administration.

La faction d’Edward promet maintenant de porter son cas devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, et les observateurs disent que la saga en cours entraînera des problèmes pour l’entreprise à tous les niveaux.

« Plus cela traîne, [plus on se demandera] qui gère les affaires ? Qui signe les papiers ? Est-ce que c’est entre les mains du nouveau conseil ou de l’ancien conseil ? » a demandé Richard Powers, directeur académique national de la Rotman School of Management.

D’ici à ce qu’un tribunal se prononce ou que les deux parties parviennent à s’entendre, M. Powers pense que des questions comme celles-ci entraveront l’entreprise et retarderont non seulement les activités quotidiennes, mais également les décisions stratégiques.

Le chef de la direction de Rogers, Joe Natale, coincé au milieu de la bagarre, est devenu l’épicentre du drame lorsque de récents reportages dans les médias ont révélé qu’Edward Rogers tentait de le destituer de son poste.

PHOTO NATHAN DENETTE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chef de la direction de Rogers, Joe Natale

Edward, le fils du défunt fondateur de l’entreprise, Ted Rogers, voulait que M. Natale soit remplacé par l’ancien directeur financier, Tony Staffieri. M. Staffieri a quitté l’entreprise le 29 septembre et Paulina Molnar a été nommée directrice financière par intérim.

La mère d’Edward Rogers, Loretta Rogers — Ted a utilisé l’argent familial pour lancer Rogers Communications —, et ses sœurs, Martha Rogers et Melinda Rogers-Hixon, se sont opposées au plan d’Edward et la lutte pour le pouvoir s’est mise en branle.

Toutes trois siègent au conseil d’administration de l’entreprise.

M. Powers estime qu’il sera difficile pour M. Natale de rester en poste, indépendamment de l’issue du conflit.

« Si Edward réussit, même partiellement, on doit vraiment se demander si M. Natale va pouvoir conserver son poste et si lui, ou d’autres, chercheront à quitter l’entreprise. »

La probabilité de voir Edward réussir à évincer M. Natale est élevée puisqu’il est toujours président de la fiducie de contrôle de Rogers — l’actionnaire de contrôle du géant des télécommunications qui, avec les membres de la famille Rogers, détient 97 % des actions de catégorie A avec droit de vote.

Pour qu’Edward soit forcé d’abandonner son rôle de président de la fiducie, les deux tiers du conseil de 10 personnes devraient voter en faveur de son retrait.

Phil Lind, ancien vice-président de Rogers, et Alan Horn, qui dit avoir commencé à travailler avec Ted en 1979, ont publiquement indiqué qu’ils soutenaient Edward Rogers et son rôle de président de la fiducie.

Un impact sur l’acquisition de Shaw ?

Quelle que soit la faction qui l’emportera, elle devra s’occuper de réaliser l’acquisition de Shaw Communications. Rogers attend toujours les approbations réglementaires pour pouvoir prendre le contrôle de sa rivale de Calgary, comme convenu dans un accord de 26 milliards signé plus tôt cette année.

Un porte-parole du Bureau de la concurrence, Jayme Albert, a refusé de partager où en était l’examen de son organisme, ou s’il se penchait sur le conflit en cours, mais il a indiqué que le Bureau était conscient de la discorde entourant la gouvernance de l’entreprise.

Le président exécutif et chef de la direction de Shaw, Brad Shaw, a réaffirmé son engagement envers la prise de contrôle, mais les actions de sa société ont chuté ces derniers jours, alors que la dispute se poursuit.

« Plus cela s’étire, [plus] cela met cette transaction en danger, en particulier si le cours de l’action commence à baisser », a souligné M. Powers.

Rogers a accepté d’acheter Shaw pour 40,50 $ par action, mais lundi après-midi, le titre de Shaw a clôturé à 34,72 $ à la Bourse de Toronto, en baisse de 2,5 %.

« À partir de quel moment vont-ils renégocier ? » s’est demandé M. Powers. « Pourquoi payer 40 $ alors qu’on peut acheter l’action pour 34 $ ? »

L’analyste Drew McReynolds, de RBC Dominion valeurs mobilières, et son associé Riley Gray, croient également que l’accord est menacé.

« Les dommages collatéraux semblent désormais inévitables et, à notre avis, ne feront qu’augmenter à mesure qu’une résolution définitive prendra du temps », ont-ils affirmé lundi dans une note aux investisseurs.

Sans une résolution immédiate et définitive du différend en cours, MM. McReynolds et Gray voient deux sources de « dommages collatéraux quelle que soit la solution ultime ».

La première est une équipe de direction moins efficace au cours de la prochaine année, alors qu’elle fait face aux défis continus de la pandémie de COVID-19 et à l’intensification de la concurrence dans un contexte où les entreprises de télécommunications se livrent une course pour lancer la technologie de fibre optique « jusqu’au domicile ».

MM. McReynolds et Gray pensent que le conseil d’administration actuel sera « distrait, voire handicapé » au fur et à mesure que la bataille se poursuivra et que le conseil d’administration d’Edward Rogers sera dans une « période de transition sous-optimale ».

La deuxième source de dommages collatéraux, affirment-ils, sera « un retour difficile [mais pas impossible] vers le rétablissement de la confiance des investisseurs » au sujet de la gouvernance et des dirigeants.

Walied Soliman, un avocat de la firme Norton Rose Fulbright Canada LLP qui représente Melinda Rogers-Hixon, a indiqué que sa cliente était motivée à trouver une solution qui respecte à la fois les souhaits de son père et les 24 000 employés de Rogers.

« Pas un matin ou une soirée n’a passé sans que Melinda m’ait demandé […] s’il y avait une voie vers un règlement », a-t-il affirmé.

Pour ce qui est de savoir si sa cliente envisage de recourir à des moyens légaux ou de tenter de modifier la structure d’entreprise de Rogers, Me Soliman a indiqué qu’elle « observait toujours la situation avec attention » et qu’elle « ne cherchait pas à réécrire le testament de son père ».

Entre-temps, Martha Rogers s’est tournée vers le réseau social Twitter, s’engageant à combattre son frère pour avoir « détruit » l’entreprise de son père et à « faire de sa plus grande peur une réalité ».