Attaquée par un investisseur militant new-yorkais mercredi, Lightspeed a riposté en soirée

L’entreprise montréalaise de solutions infonuagiques pour commerçants a essuyé mercredi les critiques salées de Ben Axler, de Spruce Point Capital, un investisseur qui bénéficie de la chute boursière des entreprises qu’il fustige.

Ce même vendeur à découvert avait « tiré » sur Canadian Tire, en 2019, et Dollarama, en 2018.

« Lightspeed manque de transparence à propos de son environnement concurrentiel, et ne divulgue pas suffisamment d’informations pour permettre de déterminer sa véritable croissance organique », souligne Ben Axler dans un rapport de 125 pages publié mercredi.

Lightspeed exagère la taille, la qualité et les perspectives de croissance de ses activités.

Ben Axler, de Spruce Point Capital

Ben Axler remet en question notamment la définition changeante du revenu moyen par utilisateur ainsi que les marges dégagées par les solutions de paiement, et estime que les acquisitions réalisées au fil des ans ne rapportent pas les bénéfices escomptés. Il dit aussi s’attendre à ce que Lightspeed perde des clients au profit de concurrents tels Shopify, Amazon, Square et Adobe.

« Le rapport contient un grand nombre d’inexactitudes importantes et d’interprétations erronées, trompeuses et clairement destinées à profiter à Spruce Point », commente la direction de Lightspeed dans un communiqué, sans toutefois préciser les éléments mensongers.

La Caisse de dépôt et placement du Québec – le plus gros actionnaire de Lightspeed avec une participation de près de 20 % – n’a pas souhaité réagir. « Nous ne commentons pas de façon spécifique les entreprises cotées en Bourse dans lesquelles nous investissons », a simplement indiqué la porte-parole Elena Gabrysz.

L’analyste Richard Tse, de la Financière Banque Nationale, ne voit rien d’« accablant » dans le rapport et maintient sa recommandation d’achat. « Bien qu’un certain nombre de points soulevés dans le rapport soient corrects, ils doivent être placés en contexte. »

Pour ce qui est de la taille du marché potentiel, par exemple, Richard Tse parle d’une question d’interprétation puisque, dit-il, l’entreprise a récemment décidé de se limiter au marché des « petites et moyennes entreprises complexes » plutôt que de simplement parler des « petites et moyennes entreprises » de façon plus générale.

Chez RBC, Daniel Perlin souligne que le rapport semble « regarder en arrière » et ne pas tenir compte de deux éléments importants : une réouverture économique et l’opportunité à long terme liée à la monétisation des paiements.

Ben Axler pense que l’action s’expose à perdre de 60 à 80 % de sa valeur, et croit impératif que l’entreprise forme un comité spécial indépendant pour analyser les conclusions de son rapport.

Le titre a perdu 12 % mercredi, pour clôturer à 126 $ à Toronto. Il avait atteint un sommet historique la semaine passée en frôlant les 166 $.

En vendant le titre à découvert, Spruce Point Capital est en place pour réaliser des profits avec une chute de l’action. La vente à découvert est une manœuvre par laquelle un investisseur emprunte une action en pensant que sa valeur reculera dans l’espoir de la racheter plus tard à un prix moins élevé.

Ben Axler n’a pas souhaité dévoiler la taille de son pari contre Lightspeed. Il explique toutefois que son analyse a été réalisée après avoir parlé à d’ex-employés et à l’aide d’information publiquement accesible. « Il n’était donc pas nécessaire de parler à la direction pour nous permettre de nous forger une opinion sur les activités. »

Le rapport de Spruce Point Capital tombe à un moment où Lightspeed fait pratiquement l’unanimité. Sur les 18 analystes qui suivent officiellement Lightspeed, 14 en recommandent l’achat. Certains de ces experts fixent même leur cible sur 12 mois à 195 $ et 200 $.

Il y a deux semaines, RBC avait publié un rapport soulignant les occasions « significatives » pour Lightspeed et Shopify d’offrir plus de services à valeur ajoutée, notamment pour les commandes et l’expédition, l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement et l’automatisation du marketing.

RBC disait s’attendre à ce que les revenus de Shopify bondissent de 60 % en 2021 et que ceux de Lightspeed augmentent de 162 %, dont 63 % de façon organique. Les deux entreprises profitent d’un vent de dos qui pourrait bien générer une croissance à long terme soutenue, est-il indiqué.

Les analystes semblent aveuglés par le fait qu’au fur et à mesure que Lightspeed évolue, ses marges brutes non seulement se détériorent, mais aussi le font par un facteur beaucoup plus grand qu’anticipé, selon Ben Axler. « Les analystes suggèrent d’acheter malgré l’inexactitude lamentable de la modélisation qu’ils effectuent. Une détérioration rapide des marges brutes n’est pas le signe d’une entreprise en santé et en croissance. Lightspeed tente d’augmenter ses revenus à n’importe quel prix. »

Shopify a déjà aussi été la cible d’un vendeur à découvert. Citron Research avait attaqué l’entreprise d’Ottawa en avril 2019. Cela n’a pas empêché Shopify de devenir la plus importante capitalisation boursière au pays.

Quatre autres cibles de Spruce Point Capital

PHOTO JONATHAN HAYWARD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Un magasin Canadian Tire

Canadian Tire

En décembre 2019, la gestion du détaillant a fait l’objet d’une attaque de Spruce Point. Ben Axler alléguait notamment que les pratiques comptables de Canadian Tire étaient « agressives », « trompeuses » et qu’elles masquaient une faible croissance organique. Il soulignait que les prix n’étaient pas compétitifs et voyait le titre éventuellement perdre jusqu’à 50 % de sa valeur. L’action avait perdu 3 % ce jour-là, à 147 $. Elle vaut aujourd’hui 185 $.

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Un magasin Dollarama

Dollarama

Dans un rapport publié à l’automne 2018 après que Dollarama eut affiché une détérioration de sa performance, Ben Axler soutenait que l’action méritait de reculer de 40 % en raison d’importants vents contraires fondamentaux, de cibles de croissance irréalistes et de pratiques de gouvernance douteuses. La croissance des ventes des magasins comparables appuyée par des hausses de prix était insoutenable, selon lui. Le titre, déjà en recul au moment du rapport, avait largué plus de 10 % par la suite. Mais il a rapidement repris le terrain perdu dans les mois suivants.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

L'entreprise TSO3

TSO3

Alors que les analystes qui suivaient le titre de l’entreprise de Québec spécialisée en stérilisation d’équipement médical en suggéraient tous l’achat en août 2017, Ben Axler a publié une recommandation de vente. Selon lui, les investisseurs sous-estimaient notamment les conséquences de la fin de son partenariat de commercialisation avec Getinge. L’action risquait de perdre jusqu’à 80 %, selon lui. Cinq mois plus tard, l’action piquait du nez, et TSO3 annonçait des modifications à son entente avec Getinge avant de l’abandonner peu après. TSO3 n’est plus en Bourse aujourd’hui.

Maxar

Le rapport de Ben Axler sur cette entreprise du secteur aérospatial est venu en août 2018, deux mois avant le rapport sur Dollarama. Ben Axler soutenait entre autres que Maxar avait réalisé des acquisitions pour masquer de manière comptable certaines erreurs commises dans le passé. Il jugeait l’entreprise dangereusement endettée et, par conséquent, son dividende risquait d’être charcuté et même éliminé. Le titre s’est écroulé peu après la divulgation du rapport. Il s’est depuis redressé, mais est en forte baisse cette année.