Avec 470 avions à livrer, le carnet de commandes de l’Airbus A220 couvre des années de production. Des clients potentiels pourraient-ils hésiter à commander l’appareil si l’attente est longue avant de l’obtenir ? Le nouveau président-directeur général d’Airbus Canada, Benoît Schultz, ne s’en inquiète pas trop.

Aux commandes de l’ex-C Series de Bombardier depuis le 1er septembre dernier, l’ingénieur de formation voit le programme – détenu à 25 % par l’État québécois – entrer dans une « nouvelle phase », environ 18 mois après le début de la pandémie de COVID-19.

Responsable de piloter le décollage de la cadence de production, M. Schultz, qui était auparavant responsable de l’approvisionnement chez Airbus, doit parallèlement continuer à réduire les coûts de ce programme toujours déficitaire dans l’espoir d’atteindre le seul de rentabilité vers 2026.

Celui qui a succédé à Philippe Balducchi arrive en poste au moment où le ciel s’éclaircit lentement pour l’industrie aérienne même si le variant Delta, à l’origine d’une recrudescence des cas d’infection, pourrait venir noircir le portrait.

Après les sévères turbulences provoquées par la crise sanitaire, un nombre grandissant de compagnies aériennes songent à acheter de nouveaux avions.

« Nous avons des sollicitations qui sont clairement plus actives, dit-il au cours d’une entrevue avec La Presse. On parle du potentiel de nouvelles occasions. Ce n’était pas la priorité de nos clients de regarder vers l’avant et de penser à des investissements. Il y a des discussions très actives. »

À l’échelle mondiale, le trafic intérieur est revenu, en août, à 85 % du niveau observé avant la crise, selon les plus récentes données de l’Association du transport aérien international (IATA). Toutefois, les restrictions entourant les vols internationaux plombent la reprise de ce segment, qui n’a récupéré que le quart de son volume.

Peu d’annonces

La dernière commande ferme d’A220 (20 A220-300) remonte à avril. Il s’agissait du premier contrat du genre en plus d’un an. Le mois dernier, Airbus a enregistré 102 commandes pour l’ensemble de ses familles d’appareils, en forte hausse par rapport aux 2 avions commandés en juillet.

Il serait « très difficile » pour un nouveau client d’obtenir des avions dès l’an prochain dans le cadre d’une nouvelle commande, reconnaît M. Schultz. Sans entrer dans les détails, le patron d’Airbus Canada ajoute qu’il est possible d’offrir des occasions « à court terme » pour des transporteurs aériens qui seraient plus pressés.

« Aujourd’hui, notre capacité d’offrir des créneaux [de production] n’est pas un frein aux discussions avec nos clients, assure M. Schultz. La composition de notre carnet de commandes nous permet, je pense, de répondre à des opportunités pour les clients, dans les échéances nécessaires pour eux. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Vers 2025, Airbus ambitionne de produire mensuellement 14 A220, dont 10 appareils à Mirabel.

Pour offrir un plus grand éventail d’options, le géant européen mise sur une croissance rapide de sa cadence de production. Cinq appareils sont mensuellement assemblés à Mirabel, dans les Laurentides, ainsi qu’à Mobile, en Alabama.

Cela passera à six au début de 2022, pour progressivement atteindre 14 appareils par mois vers 2025 – soit 168 livraisons annuelles d’A220.

« C’est quelque chose d’ambitieux qui s’est rarement fait dans notre industrie, souligne le président-directeur général d’Airbus Canada. On utilise toute l’expérience d’Airbus pour gérer les risques. Vous verrez, dans les prochains mois, une grosse aide d’Airbus à l’A220. »

Un carnet « trop rempli » ?

Actuellement, le carnet de commandes de l’A220 est « trop rempli par rapport à la capacité de livraison », estime le directeur du groupe d’études en management des entreprises en aéronautique à l’UQAM, Mehran Ebrahimi.

Selon lui, les délais de livraison constituaient un « problème » avant la crise sanitaire.

« Il faut trouver l’équilibre avec les clients, explique M. Ebrahimi. La clé, c’est la cadence de production. Parfois, il y a des trous de cinq ou dix plages dans le calendrier de livraison. Mais Airbus veut augmenter la cadence, ce n’est pas pour rien. »

M. Schultz jette également un œil attentif sur les difficultés, pour de nombreux fournisseurs de différents secteurs, à obtenir certains matériaux, ainsi que la pénurie de semi-conducteurs – composants que l’on trouve dans des puces électroniques essentielles au fonctionnement de certains modules.

Si certains grands constructeurs automobiles sont contraints d’ajuster à la baisse leur cadence de production en raison de la pénurie de semi-conducteurs, l’industrie aéronautique est moins « exposée », assure M. Schultz.

« Il n’y a pas péril en la demeure », analyse-t-il, ajoutant que le groupe avait été aux prises avec des difficultés d’approvisionnement pour certains composants il y a environ trois ans.

Pour le moment, cela n’a donc pas d’impact sur la montée en cadence prévue pour l’A220.

Benoît Schultz sur…

Les efforts à faire pour réduire les coûts de production de l’A220

« On ne va pas se le cacher, il y a encore un effort considérable à faire, mais c’est faisable. On n’aurait guère pu en faire plus dans les trois premières années avec 18 mois de pandémie. Il y a du travail à l’interne, avec nos partenaires. Ce n’est pas anormal à ce stade-ci du programme. »

La montée en cadence de l’A220 sur l’effectif du programme (2500 employés à Mirabel et 400 à Mobile)

« La cadence 14 [appareils par mois], cela suppose de continuer à mettre ce qu’il faut dans l’effectif. Il y a un plan de recrutement. Notre ambition est aussi d’être plus efficaces. Il va y avoir une adéquation de ces deux éléments. »

Une éventuelle version allongée de l’A220 (A220-500)

« C’est une chose de l’ordre du faisable. Les priorités, actuellement, sont la satisfaction des clients, la montée en cadence et l’amélioration de l’efficacité du programme. Cela ne veut pas dire que l’on s’interdit de réfléchir. »