En mai, la directrice générale de Washingtonian Media, qui publie un magazine de la région de Washington, a écrit un article d’opinion dans lequel elle s’inquiète de « l’érosion de la culture de bureau » en raison du télétravail.

« J’estime qu’environ 20 % de chaque travail de bureau se situe en dehors des responsabilités principales de l’employé, c’est-à-dire qu’il est “supplémentaire” », a déclaré Cathy Merrill, la PDG, dans le Washington Post. « Il s’agit d’aider un collègue, d’encadrer des personnes plus juniors, de fêter l’anniversaire de quelqu’un – des choses qui font la culture du bureau. » Mme Merrill a ensuite laissé entendre que les personnes qui travaillaient à distance pourraient être rétrogradées au rang de simples contractants parce qu’elles ne participaient pas à ces 20 % « supplémentaires ».

Qui a tendance à être cette colle de bureau, qui maintient la culture de l’entreprise avec soin ? Selon des décennies de recherches universitaires, ce sont les femmes. Bien que les femmes représentent environ la moitié des professionnels et des cadres, elles sont plus susceptibles de se porter volontaires pour ce que l’on appelle familièrement les tâches de « maman du bureau », comme l’organisation de fêtes, le ménage ou la résolution d’un conflit au bureau (toutes ces tâches, il faut le noter, peuvent être effectuées à distance).

Certes, ces tâches sous-estimées existent dans de nombreux domaines – les infirmières organisant des petits-déjeuners pour le personnel de leur étage, par exemple. Il s’agit ici d’emplois de cols blancs, qui ont été davantage transformés pendant la pandémie parce qu’ils peuvent être accomplis depuis la maison.

Selon Linda Babcock, professeure d’économie à l’université Carnegie Mellon, lorsque les femmes ne sont pas volontaires, elles sont plus susceptibles d’être « sollicitées » pour faire ce genre de travail.

« Les gestionnaires, hommes et femmes, étaient plus susceptibles de demander à une femme de faire du bénévolat qu’à un homme », ont constaté Mme Babcock et ses coauteurs dans leurs recherches. « Il s’agissait apparemment d’une décision judicieuse : les femmes étaient également plus susceptibles de dire oui. »

Mme Babcock étudie l’écart entre les sexes dans ce type d’obligations, qu’elle appelle des tâches « non promouvables », car elles ne sont généralement pas prises en compte dans les évaluations de performance. Comme certains travailleurs à distance pourraient revenir au bureau dans les mois à venir, dit-elle, il existe quelques approches que les employeurs peuvent adopter pour rendre ce travail plus équitable : le réduire de manière significative, le répartir consciemment de manière égale entre tous les employés, ou l’intégrer à la description de poste d’une personne et le faire passer d’une tâche « non promouvable » à une tâche « promouvable ».

Punir les employés qui ne font pas ces tâches, comme l’a suggéré Cathy Merrill, n’est peut-être pas une option judicieuse. Ses employés se sont mis en grève peu après la parution de son essai, refusant de publier quoi que ce soit pendant 24 heures.

« En tant que membres de la rédaction du Washingtonian, nous voulons que notre PDG comprenne les risques de ne pas valoriser notre travail », ont publié les employés à l’unisson sur Twitter. « Nous sommes consternés par la menace publique de Cathy Merrill envers nos moyens de subsistance. Nous ne publierons pas aujourd’hui. » Mme Merrill a ensuite présenté ses excuses.

Pourtant, beaucoup de ces tâches non promouvables sont importantes pour le bon fonctionnement d’un bureau, a souligné Mme Babcock, et si elles sont récompensées, les gens s’empresseront de les faire – elles ne seront plus considérées comme des corvées. Peut-être que, dans un monde post-pandémique, ce travail, et les personnes qui l’effectuent, sera valorisé de manière réelle et qu’il aura lieu pendant les heures de bureau. Si vous avez des responsabilités en matière de soins, un souper de « renforcement de l’esprit d’équipe » après le travail peut signifier qu’il faut organiser et payer une gardienne ou risquer d’être pénalisé pour ne pas avoir participé. Les femmes sont également plus susceptibles de s’occuper d’enfants et d’autres membres de leur famille.

En plus de tout le reste, la pandémie a rendu visibles de nombreux types de travail qui étaient auparavant invisibles. Les gestionnaires peuvent apprendre à honorer tout ce travail, historiquement effectué principalement par des femmes, de manière plus concrète.

La version originale de cet article a d’abord été publiée dans le New York Times. https://www.nytimes.com/2021/09/03/business/goodbye-office-mom.html