Les entreprises qui s’apprêtent à rappeler leurs employés au bureau devraient changer leur fusil d’épaule et patienter alors que l’on assiste à une recrudescence des cas de COVID-19, suggère la Santé publique. De son côté, le gouvernement Legault se fie aux entreprises en ce qui a trait à l’utilisation du passeport vaccinal auprès de leurs salariés. Tout cela suscite beaucoup de questions.

En évoquant la quatrième vague ainsi que la « présence marquée » du variant Delta, qui représente actuellement plus de la moitié des cas d’infection, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a estimé, mercredi, qu’il serait « plus prudent » de reporter le retour progressif au bureau.

De plus, au cours des trois dernières vagues, une grande partie des éclosions sont survenues dans les milieux de travail. Puisque les prochaines semaines seront marquées par la rentrée scolaire et une augmentation des contacts, mieux vaut que les employeurs jouent de prudence, selon la Santé publique.

La situation sera réévaluée en octobre. Pour les 60  000 employés de la fonction publique, la date du 7 septembre a été reportée au 4 octobre. Dans le milieu des affaires, qui estime qu’une partie de la relance des centres urbains passe par un retour des travailleurs dans les tours de bureaux, la recommandation de la Santé publique a suscité de la confusion.

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Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et exportateurs du Québec

Cela envoie un drôle de message. On nous dit que le retour au bureau n’est pas recommandé, mais que le télétravail n’est pas obligatoire non plus. Ça veut dire quoi ? Une recommandation ?

Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et exportateurs du Québec

Mme Proulx a invité Québec à donner plus de détails et à permettre des allègements pour les travailleurs qui sont adéquatement vaccinés.

Le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, a également été surpris par le communiqué du MSSS. En entrevue téléphonique, il s’est demandé comment on pouvait permettre aux personnes avec deux doses de vaccin d’aller au restaurant ou dans un bar tout en recommandant de retarder le retour de travailleurs au bureau.

« Il y avait quelque chose de maladroit dans la déclaration de la Santé publique qui ne tenait pas compte des [gens adéquatement] vaccinés », a-t-il dit.

Depuis que le Québec est passé au palier d’alerte vert à la fin de juin, le retour progressif au bureau, dans le secteur public comme dans le secteur privé, était possible même si le télétravail demeurait recommandé. Comme la responsabilité du retour sur les lieux de travail incombe à l’employeur, de nombreuses entreprises se retrouvaient devant un casse-tête.

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Pour les entreprises, l’imposition du passeport vaccinal et de toute autre preuve de vaccination peut être interprétée comme une atteinte à la vie privée, souligne un avocat associé en droit du travail et de l’emploi.

Certaines entreprises avaient déjà décidé de retarder le retour de leurs employés. C’est le cas de la Banque Nationale, qui s’attendait à voir sa proportion de salariés au bureau passer de 10 % à 30 %.

« On prévoyait un retour progressif hybride des employés à partir du 7 septembre, a expliqué le président et chef de la direction Louis Vachon, au cours d’une entrevue avec La Presse. Jeudi dernier, nous avons annoncé que ce retour était reporté jusqu’au 14 octobre. On laissera passer quatre semaines pour avoir une meilleure idée de l’impact du variant Delta à la suite du retour en classe. »

Le passeport dans les entreprises ?

M. Leblanc a dit avoir été rassuré par les commentaires du premier ministre François Legault, qui, en marge de la réunion du Conseil des ministres, s’en est remis à la responsabilité des employeurs lorsqu’il lui a été demandé si ceux-ci pouvaient exiger le passeport vaccinal.

« Ce que la Santé publique recommande, c’est de rester en télétravail, a-t-il expliqué. Mais ceux qui veulent revenir ou qui désirent revenir pour l’efficacité de leur organisation de leur entreprise, c’est à l’employeur de décider comment il fonctionne. »

De son côté, le ministre du Travail, Jean Boulet, a réitéré que Québec n’avait pas l’intention de « s’immiscer dans le droit de gestion d’un employeur ».

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Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

Ce qu’on comprend, présentement, c’est que les employeurs vont pouvoir utiliser le passeport vaccinal pour demander aux employés s’ils sont vaccinés et déterminer qui peut revenir [au bureau].

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

L’imposition du passeport vaccinal et de toute autre preuve de vaccination peut être interprétée tantôt comme une atteinte à la vie privée, tantôt comme une atteinte aux droits et libertés de la personne. Il y a un « flou », reconnaît Yan Bernard, avocat associé en droit du travail et de l’emploi à la firme Langlois Avocats.

« Quand le gouvernement renvoie tout cela aux employeurs, c’est qu’il y a une myriade de possibilités qui vont mener à des conclusions juridiques différentes, explique-t-il. Les décisions d’un employeur ont plus de chances de passer le test des tribunaux. »

Au Conseil du patronat du Québec, le président et chef de la direction Karl Blackburn a accueilli l’avis de la Santé publique avec « lucidité » en ajoutant que ses membres allaient respecter les recommandations.

Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, un retour repoussé dans les tours de bureaux constitue nécessairement une mauvaise nouvelle pour de nombreux membres de l’association – comme des commerçants et des restaurateurs – qui sont tributaires de la fréquentation dans les centres urbains.

« Ce n’est pas une nouvelle qui va susciter de l’enthousiasme chez les commerçants du centre-ville, a souligné son vice-président québécois François Vincent. Pour certains entrepreneurs, peut-être qu’ils se sentent comme si c’était le jour de la marmotte. »

Avec Richard Dufour, Tommy Chouinard et Fanny Lévesque, La Presse