Le choix classique pour flâner en voiture vers l’est du Québec : quitter les voies rapides et serpenter plutôt sur la « vieille » route 132, qui longe le Saint-Laurent. Entre deux vues sur le majestueux fleuve, tournez la tête de l’autre côté à Saint-Antoine-de-Tilly : voici l’usine de la Fromagerie Bergeron, à la jonction avec la 273, qui mène à l’autoroute 20.

Le décor est moins charmant que dans le village, plus près du fleuve, mais c’est l’étape idéale pour se délier les jambes si le petit dernier a une fringale, avec un comptoir de dégustation.

Derrière la boutique, 380 employés s’activent dans l’usine pour fabriquer la vingtaine de produits de l’entreprise, tous de type « gouda », du nom de la ville néerlandaise ayant donné son nom à cette méthode de fabrication.

Roger Bergeron explique que la rigidité des anciens quotas a poussé ses frères et lui à se lancer dans ce type de procédé.

En 1989, ses deux frères ont voulu suivre les traces de leur père et de leur grand-père, tous deux fromagers.

« On avait demandé un quota de production pour faire du cheddar », raconte-t-il. La Régie des marchés agricoles a cependant refusé, jugeant que le marché canadien comptait déjà assez de producteurs.

« Mais il s’importait beaucoup de gouda à l’époque, surtout en Ontario, alors on a dit : “On va demander un permis de gouda !” », dit Roger Bergeron.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

La Fromagerie Bergeron, à Saint-Antoine-de-Tilly

C’est donc la bureaucratie agroalimentaire qui a déterminé la spécialité qu’ont choisie les frères Mario et Sylvain Bergeron, puis leur petit frère Roger, aujourd’hui président de l’entreprise.

Mais qu’est-ce qu’un gouda, au fait ? Un gros fromage ciré, « naturellement » sans lactose, en gros. Car les fabricants retirent une partie du lactosérum une fois la pâte coagulée, et remplacent ce liquide par de l’eau, selon un procédé qui daterait du XVIsiècle.

Par un drôle de coup du sort, les Bergeron se sont donc retrouvés sans l’avoir prévu dans un marché plutôt favorable. Les fromages de la famille, tous fabriqués à partir de cette méthode, ont tout naturellement trouvé une nouvelle clientèle quand des consommateurs se sont découvert des intolérances au lactose, ces dernières années.

Nos produits sont naturellement sans lactose.

Roger Bergeron, président de la Fromagerie Bergeron

Son « gouda », la Fromagerie Bergeron le prépare à toutes les sauces : fumé, vieilli, faible en gras, en tranches, au lait de chèvre…

Ces produits « de plateaux », faciles à couper en cubes et à surmonter d’un cure-dent dans les réceptions et les fêtes, ont permis aux Bergeron de se tailler une place parmi le club sélect des fromageries « intermédiaires ». Plus petite que les géants Agropur, Saputo et Parmalat, la Fromagerie Bergeron transforme tout de même plus de 20 millions de litres de lait par an, bien plus que les fromageries artisanales.

L’orgueil de la famille

« À un moment donné, on s’est dit : “Il faudrait quand même garder un fromage qui prouve la valeur de fabricants des Bergeron” », dit le président.

C’est ainsi que l’entreprise a commencé vers 2015 à mettre au point son Louis Cyr, l’orgueil de la famille, dans la fromagerie de la route 132.

Pour le fabriquer, Roger Bergeron a choisi des fournisseurs de lait triés sur le volet. Il doit payer une prime de transport pour faire venir leur production dans son usine de Saint-Antoine-de-Tilly, sans le mélanger aux autres dans les citernes.

L’enjeu : acheter du lait contenant le moins de bactéries butyriques possible. Cette sale bestiole a tendance à se développer dans les silos de foin dont sont nourries les vaches des fermes industrielles.

« La bactérie reste dans la pâte du fromage, explique Roger Bergeron. Quand on fait des maturations à 15 °C [comme pour le Louis Cyr], des fois, ça se développe. Ça donne de mauvais goûts, de mauvaises odeurs. »

Pour son produit haut de gamme, la fromagerie a donc négocié des ententes avec des producteurs laitiers qui nourrissent leur troupeau exclusivement à l’herbe fraîche ou au foin sec, non ensilé.

« On est à la veille de développer un cahier de charges avec eux », dit le patron. Sur le modèle des fromages d’alpage de Suisse et de l’est de la France, les cahiers de charges prévoient notamment des critères à respecter pour le lait entrant dans la composition de produits comme le gruyère ou le comté.

Roger Bergeron n’est pas peu fier de son « bébé ».

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Roger Bergeron dans l’usine de la Fromagerie Bergeron à Saint-Antoine-de-Tilly

On a gagné le prix Caseus 2019 pour le meilleur fromage de vieillissement au Québec avec le Louis Cyr.

Roger Bergeron, président de la Fromagerie Bergeron

Un bébé censé démontrer à la face du monde que la Fromagerie Bergeron ne fait pas que dans les produits au goût peu prononcé, mais peut aussi se démarquer dans les fromages fins. « Je veux en vendre dans les boutiques américaines, à Boston, New York… »

Roger Bergeron rêve de lui trouver une place sur les étals de fromageries parisiennes. « Ça serait un fantasme, même si j’en vends seulement deux meules ! »

Les Québécois pourront bientôt trouver des versions vieillies deux ans du Louis Cyr. Puis des versions de quatre ans d’âge suivront au cours des prochaines années.

À déguster notamment au comptoir qui jouxte l’usine, sur la belle route 132.

Fromagerie Bergeron

Saint-Antoine-de-Tilly

380 employés

60 000 pi2