Pour son PDG, Éric Martel, l’avionneur montréalais est l’acteur ayant le plus perdu dans l’aventure de la C Series

Le ciel s’éclaircit pour Bombardier, qui bénéficie du rebond dans l’aviation d’affaires pour relever ses prévisions, tout en ayant l’œil sur des programmes de soutien gouvernementaux. Alors que l’aventure de la C Series a laissé un goût amer à bon nombre de contribuables, l’avionneur estime que le grand perdant dans cette affaire, c’est lui.

Conscient que le sujet est délicat, le président et chef de la direction de l’entreprise, Éric Martel, dit comprendre la frustration des Québécois, alors que l’investissement de 1,3 milliard réalisé par Québec en 2015 dans le programme aujourd’hui contrôlé par Airbus ne vaut plus que 300 millions.

« Le grand perdant, dans cette histoire, c’est Bombardier, a-t-il expliqué, jeudi, en réponse à une question sur le soutien public dans le cadre d’une conférence téléphonique avec les médias visant à discuter des résultats du deuxième trimestre. Ça nous a fragilisés, ç’a été difficile. »

Bombardier a injecté plus de 7 milliards US pour développer la C Series, ce qui a gonflé sa dette et contribué à la détérioration de sa situation financière, préparant la voie à une cession d’actifs ayant mené à un recentrage exclusif vers les jets d’affaires.

Malgré tout, il y a environ 2500 employés qui continuent de travailler chez Airbus à Mirabel et qui paient des taxes et des impôts, ce qui génère des retombées dans les coffres des gouvernements, a souligné le grand patron de l’avionneur.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Éric Martel, président et chef de la direction de Bombardier

Je [le souligne à grands traits] parce que [l’investissement] avait été présenté différemment à l’époque. Mais il faut faire attention quand on parle de pertes. Si quelqu’un se donne la peine de faire le calcul, ça excède largement la contribution du gouvernement.

Éric Martel, président et chef de la direction de Bombardier

Après avoir vu Québec et Ottawa soutenir financièrement Bell Textron Canada, CAE ainsi que Pratt & Whitney Canada, Bombardier espère pouvoir bénéficier d’un coup de pouce financier pour soutenir ses efforts de recherche et de développement afin de rendre ses avions plus verts.

Le dernier budget fédéral contenait une enveloppe de 2 milliards destinés à la relance de l’industrie aéronautique, sévèrement secouée par la pandémie de COVID-19.

« On ne parle pas de lancer un nouveau programme », a dit M. Martel, en réitérant que Bombardier souhaitait bénéficier de programmes existants.

En montée

Bombardier avait des nouvelles encourageantes pour les investisseurs en présentant ses résultats trimestriels. L’avionneur s’attend à générer des revenus plus élevés pour l’exercice, à livrer davantage d’appareils et à puiser 200 millions US de moins dans ses réserves – notamment grâce à la réduction de ses dépenses, qui devrait être supérieure à 100 millions US cette année.

Cela a fait prendre de l’altitude à l’action de Bombardier à la Bourse de Toronto, où elle a terminé la journée à 1,60 $, en hausse de 6,7 %, ou 10 cents.

La crise sanitaire a bénéficié à l’aviation d’affaires, puisque des ultrariches se sont tournés vers les jets d’affaires pour se déplacer, ce qui stimule les ventes. Bon nombre de compagnies aériennes ayant réduit leurs services, les voyageurs mieux nantis ont fait appel aux exploitants de flottes d’avions d’affaires qui louent des appareils à l’heure.

« Les conditions de marché nous procurent un élan, a expliqué M. Martel aux analystes. Nous pouvons être optimistes, mais nous demeurons prudents. »

Bombardier s’attend à livrer 120 avions cette année, alors que sa prévision antérieure oscillait entre 110 et 120 appareils, ce qui devrait permettre à son chiffre d’affaires annuel d’atteindre 5,8 milliards US, en hausse de 200 millions.

Au deuxième trimestre terminé le 30 juin, les recettes générées par les ventes d’appareils et les autres services de maintenance entourant l’aviation d’affaires se sont établies à 1,5 milliard, en hausse de 50 % par rapport à il y a un an. Il y a eu 29 livraisons, en progression de 45 % par rapport au deuxième trimestre l’an dernier. En tout, 11 Global 7500 – le nouveau fer de lance de Bombardier – ont été remis.

« Le taux d’utilisation des avions d’affaires est supérieur à son niveau d’avant la pandémie et nous nous attendons à [voir le carnet de commandes] augmenter et peut-être même [à] voir l’entreprise procéder à de modestes hausses des cadences de production », a souligné l’analyste Cameron Doerksen, de la Financière Banque Nationale, dans une note.

Si des concurrents comme General Dynamics (Gulfstream) et Textron ont appuyé sur l’accélérateur, Bombardier préfère pour le moment continuer à garnir son carnet de commandes, qui se chiffrait à 10,7 milliards US au 30 juin.

Bombardier a engrangé un résultat net de 139 millions US, ou 6 cents US par action, au deuxième trimestre, alors que l’avionneur avait essuyé une perte de 223 millions US, ou 13 cents US par action, au deuxième trimestre de l’exercice précédent.

Abstraction faite des éléments non récurrents, la perte ajustée s’est chiffrée à 137 millions US, ou 6 cents US par action, par rapport à une perte ajustée de 248 millions US, ou 11 cents US, il y a un an.

Les analystes tablaient sur des revenus de 1,3 milliard US et une perte ajustée par action de 6 cents US, selon la firme Refinitiv.

La GRC s’en mêle

C’est au tour de la Gendarmerie royale du Canada de s’intéresser à Bombardier à propos de la vente d’appareils CRJ au transporteur Garuda Indonésie survenue il y a près d’une décennie. Dans son rapport trimestriel, l’avionneur a révélé avoir reçu un avis de la police fédérale le 27 juillet à propos d’une enquête. L’entreprise n’a pas donné de détails, mais a assuré qu’elle collaborerait. « On va s’assurer de donner aux autorités tout ce qui est nécessaire », a dit M. Martel, qui n’a pas voulu se prononcer davantage. Bombardier est déjà sous la loupe des autorités britanniques et du département américain de la Justice dans cette affaire. L’ex-chef de la direction de Garuda Emirsyah Satar et un collaborateur ont été condamnés par un tribunal indonésien en mai 2020 pour corruption et blanchiment d’argent lors de l’achat d’avion auprès d’Airbus et de moteurs Rolls-Royce. L’ancien dirigeant du transporteur asiatique a été condamné à huit années d’emprisonnement et à une amende de 1,4 million US. Garuda avait loué 18 CRJ 1000 à une société danoise, qui avait acheté les appareils à Bombardier à compter de 2012. Le programme CRJ appartient maintenant à Mitsubishi.