(New York) « Boys club », « harcèlement », « suicide »… Les lourdes accusations portées en justice par une autorité californienne contre le créateur de la superproduction Call of Duty Activision Blizzard, qui possède le studio Beenox à Québec, viennent s’ajouter à une longue série d’affaires de mœurs dans un secteur des jeux vidéo encore très masculin.

« Les femmes employées ont presque toutes confirmé que travailler pour [Activision] équivalait à évoluer dans un “boys club” », détaille une plainte déposée mardi par le Department of Fair Employment and Housing (DFEH), une agence de l’État de Californie chargée d’enquêter sur les affaires en matière de droit civil.

Ce club « impliquait invariablement des hommes buvant de l’alcool et soumettant les femmes à du harcèlement sexuel sans conséquence pour eux », poursuit la plainte déposée à la Cour supérieure de Los Angeles contre l’entreprise, dont le siège social se trouve à Santa Monica.

La plainte raconte dans le détail certains jeux auxquels se livrent des employés masculins sur fond de propos sexistes à l’encontre des femmes qui représentent environ 20 % des employés du groupe.

Des employés masculins arrivent fièrement soûls au travail, jouent aux jeux vidéo durant de longues périodes pendant leurs heures de bureau et délèguent leur travail à des femmes.

Allégations contenues dans le document de cour

« Ils plaisantent sur leurs relations sexuelles, parlent ouvertement du corps des femmes et blaguent sur le viol », poursuit la plainte, précisant que les accusations de harcèlement sexuel portent aussi sur « des cadres de haut rang ».

L’industrie du jeu vidéo est souvent considérée comme un milieu dominé par une culture d’entreprise masculine, où les dérives sexistes et les comportements déplacés sont fréquents.

Ubisoft, Riot Games

Depuis un an, les affaires de ce genre se sont multipliées.

Ubisoft avait été éclaboussé à l’été 2020 par de multiples révélations sur le comportement sexiste et violent de nombre de ses cadres, entraînant des départs.

Il y a une semaine, le groupe a fait l’objet d’une plainte par deux anciennes salariées au tribunal judiciaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis) pour « harcèlement institutionnel » contre le groupe et 10 personnes physiques, dont le PDG Yves Guillemot.

En février, l’éditeur et développeur américain de jeux vidéo Riot Games, à l’origine du célèbre League of Legends, et son patron français, Nicolo Laurent, ont été poursuivis par une ex-employée devant un tribunal de Los Angeles.

Une commission spéciale du conseil d’administration avait jugé en mars qu’il n’y avait « aucune preuve » de l’implication de son patron.

« Ce genre de comportement est classique dans cette industrie, ce qui est nouveau est sans doute que ces entreprises commencent à sentir les conséquences directes de leur culture d’entreprise abusive », souligne auprès de l’AFP Kenzie Gordon, doctorante à l’Université de l’Alberta, qui étudie comment les jeux vidéo peuvent être utilisés pour prévenir les violences domestiques et sexuelles.

L’affaire révèle par ailleurs selon elle le fait que le harcèlement est plus souvent une affaire liée à la culture d’entreprise « plutôt que la responsabilité de quelques brebis galeuses ».

La plainte déposée contre Activision Blizzard va encore plus loin, évoquant le suicide d’une employée pendant un voyage d’affaires, où elle était accompagnée d’un superviseur masculin, pouvant être lié à du harcèlement sexuel.

« Nous sommes écœurés par la conduite répréhensible du DFEH qui mêle à sa plainte le tragique suicide d’une employée dont le décès n’a aucun lien avec cette affaire et est sans aucun égard à sa famille en deuil », a réagi Activision Blizzard dans une déclaration transmise jeudi à l’AFP.  

Salaires

Le groupe affirme plus largement que les accusations « ne représentent pas l’environnement de travail d’Activision Blizzard aujourd’hui ».

« Au cours des dernières années, et depuis que cette enquête a commencé, nous avons réalisé des changements significatifs pour améliorer la culture d’entreprise et refléter davantage la diversité parmi nos équipes dirigeantes. »

Ce dernier point répond à l’une des autres accusations figurant sur la plainte, la politique salariale et l’accession à des postes à responsabilités auxquels « très peu de femmes parviennent ».

Celles-ci sont « assignées à des salaires inférieurs et des occasions de carrière moins prestigieuses », est-il écrit.

Le DFEH accuse enfin Activision d’avoir échoué à traiter correctement les plaintes des employés auprès des ressources humaines ou de responsables.

Selon l’agence, certaines ont été ébruitées par des membres du service des ressources humaines, soupçonnés de proximité avec des harceleurs présumés.