Pour encourager la vaccination des employés sans les piquer au vif, il faut d’abord injecter une dose de bon sens dans l’entreprise. Une question de doigté…

Alors que le gouvernement Legault vient d’annoncer que Montréal et Laval demeureront au rouge jusqu’au 7 juin, de nombreuses entreprises veulent toujours encourager, voire susciter la vaccination chez leurs employés.

« Bien des employeurs se disent : “Est-ce que ce n’est pas une façon d’accélérer la mise en veilleuse des mesures sanitaires ?” », constate Éric Lallier, avocat en droit du travail chez Norton Rose Fulbright. « Nous, on le constate, actuellement : le téléphone sonne davantage pour nous interroger sur ce qu’on peut faire, jusqu’où on peut aller dans un contexte où la vaccination est disponible. »

PHOTO FOURNIE PAR ÉRIC LALLIER

Éric Lallier, avocat en droit du travail chez Norton Rose Fulbright.

Pour inciter ses employés à la vaccination, il faut autant de doigté que pour l’injection elle-même.

Questions, réponses, exemples…

L’employeur peut-il obliger son employé à se faire vacciner ?

L’employeur ne peut pas forcer son employé à se faire vacciner, mais il peut exiger la vaccination pour certaines tâches.

Longtemps incertaine, la question « a été réglée par le décret qui a obligé la vaccination des gens du secteur de la santé, selon certains barèmes », observe Marianne Plamondon, conseillère en ressources humaines agréée et avocate chez Langlois avocats, qui a participé à la rédaction d’une fiche-conseil de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés sur ces questions.

L’arrêté du ministre de la Santé et des Services sociaux du 9 avril dernier impose aux salariés de la santé qui travaillent dans certains milieux à risque de fournir une preuve de vaccination.

À défaut, ils doivent passer un minimum de trois tests de dépistage de la COVID-19 par semaine et en fournir les résultats à leur employeur.

En cas de refus, ces personnes pourront être réaffectées à d’autres tâches… si c’est possible.

En principe, les autres employeurs pourraient imposer des mesures similaires s’ils peuvent faire la preuve que la tâche est soumise à « une exigence professionnelle justifiée », souligne Marianne Plamondon.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LAPRESSE

Marianne Plamondon, conseillère en ressources humaines agréée et avocate chez Langlois avocats

De la même façon qu’un camionneur qui n’a pas le permis de la classe appropriée ne peut pas travailler comme camionneur, si la personne court un risque trop grand en n’étant pas vaccinée dans son poste, l’employeur pourrait effectivement décréter qu’il y a une exigence professionnelle justifiée.

Marianne Plamondon, conseillère en ressources humaines agréée et avocate chez Langlois avocats

La difficulté est justement de la justifier.

Comment faire cette démonstration ?

L’employeur devra colliger la preuve que le milieu présente en soi des risques importants de contamination à la COVID-19, ou montrer qu’une situation exceptionnelle fait grimper le risque à des niveaux insoutenables.

« Il ne peut pas juste dire : je ne veux pas d’éclosion », soulève Marianne Plamondon.

Le fardeau de cette preuve est cependant assez lourd.

On doit démontrer que les risques sont tellement importants que le fait d’accéder à la demande de l’employé entraînerait une « contrainte excessive », ajoute-t-elle.

Elle donne l’exemple d’un employeur qui aurait déjà connu une éclosion majeure, ou chez qui des cas récurrents ont entraîné un absentéisme important.

Tous les postes ne seront pas touchés par l’obligation de vaccination. Il y aura sans doute peu de justification à exiger le vaccin pour la réceptionniste protégée par son rempart d’acrylique. « C’est vraiment une analyse cas par cas, poste par poste, qui doit être faite. »

Refus d’obtempérer : suspension, congédiement ?

L’arrêté du 9 avril stipule que lorsqu’un employé de la santé (touché par l’arrêté) ne veut pas apporter une preuve de vaccination et refuse une réaffectation, ou lorsqu’une réaffectation n’est pas possible, il « ne peut réintégrer son milieu de travail et ne reçoit aucune rémunération ».

De manière similaire, si les circonstances le justifient, un employeur pourrait suspendre son employé, le temps que la situation sanitaire se rétablisse.

Cependant, Éric Lallier invite tout employeur qui songerait à effectuer un congédiement sur cette base « à être très prudent ».

« Je ne dis pas qu’il n’y a aucun cas qui pourrait mener à une telle conclusion, mais il faut agir avec énormément de prudence, recommande-t-il. L’employeur prudent va plutôt tenter de voir s’il y a des mesures d’atténuation possibles – un changement de tâche pourrait en être une – ou encore une mesure administrative, par exemple le retrait de la personne du milieu de travail sans rompre le lien d’emploi. »

L’employeur peut-il exiger la vaccination pour des motifs financiers ?

Des employés non vaccinés vont faire fuir les clients ? Une absence en cas de COVID-19 serait coûteuse ?

« Normalement, la question financière n’est pas déterminante, souligne Éric Lallier. Elle peut faire partie d’un portrait complet, parce qu’il peut évidemment y avoir des incidences financières s’il y a des enjeux de santé, mais la vraie question demeurera toujours : “Est-ce que la mesure qui est prise est cohérente avec les impératifs de santé et sécurité ?” Si ce n’est pas le cas, s’il y a des impacts financiers ou autres, ce ne sera pas déterminant. »

« Je dis toujours à mes clients : on ne peut pas l’exclure du portrait, mais si c’est le seul motif pour lequel vous agissez, ce ne sera pas un motif suffisant pour justifier votre mesure. »

Peut-il exiger une preuve de vaccination comme condition d’embauche ?

« Si on exige une preuve de vaccination comme condition d’embauche, il faudrait être en mesure de faire la preuve que cette demande est justifiée par les circonstances propres au milieu de travail, observe Éric Lallier. Ça revient un peu à la même question que la vaccination obligatoire : ce sera des cas exceptionnels et non pas la règle. »

Les mêmes critères s’appliquent qu’à l’endroit d’un employé existant : il faut faire la preuve d’une exigence professionnelle justifiée.

Aussi bien l’employé que le candidat à l’emploi doivent consentir à ce que l’employeur recueille une preuve de vaccination, laquelle relève des renseignements personnels de nature privée.

« Sans ce consentement-là, un employeur qui collige ces données peut s’exposer à des plaintes », prévient Marianne Plamondon.

L’employé peut-il arguer de sa santé ou de sa religion pour refuser un vaccin que son employeur juge essentiel ?

« C’est sûr que dans la mesure où on a un motif de refus du vaccin qui est lié à ce qui est protégé par nos chartes – on pense à une condition médicale ou des croyances religieuses, et j’insiste, religieuses –, il est clair que l’employeur aura une obligation d’accommodement », soulève Éric Lallier.

Encore une fois, la mesure de vaccination obligatoire doit être justifiée.

« Mais si elle l’est et que ça entraîne des conséquences pour des gens qui ont des motifs protégés par la charte québécoise, l’employeur diligent va devoir effectivement mettre en place des mesures d’accommodement. »

L’employeur pourra par exemple proposer l’affectation temporaire à une autre tâche moins problématique.

« Le syndicat doit également s’investir dans les solutions, ainsi que l’employé lui-même, souligne Marianne Plamondon. Il faut donc que les gens se rencontrent et trouvent des solutions. »

Cette obligation d’accommodement est cependant balisée par la notion de contrainte excessive.

« L’employeur n’a pas à créer un poste sur mesure parce que la personne a une religion ou un handicap qui ne lui permet pas d’être vaccinée, ajoute-t-elle. S’il n’y a pas d’autres options, ça pourrait mener à une mise à pied temporaire, le temps que le risque diminue. »

Un employeur peut-il prendre des mesures disciplinaires à l’endroit d’un employé qui distribue des messages antivaccins ?

« Si la personne dit des faussetés et que ça nuit à l’entreprise, si c’est fait en lien avec le travail, l’employeur peut s’impliquer et aller jusqu’à des mesures disciplinaires, soutient Marianne Plamondon. Mais au Québec en ce moment, la vaccination va bon train et les gens s’impliquent bien. »

Vaut-il mieux faire appel aux programmes incitatifs ?

« Il y a peu d’entreprises, à ma connaissance, qui ont fait le choix d’une politique de vaccination obligatoire, mais il y a énormément d’employeurs qui ont déployé des efforts considérables pour que la campagne de vaccination soit un succès, observe Éric Lallier. C’est assez rare, je dirais, qu’il y a une aussi grande unanimité. »

Ces programmes d’incitation à la vaccination sur une base volontaire sont davantage des aimants que des repoussoirs, à l’heure de la pénurie de main-d’œuvre et de la quête de talents.

C’est sûr que l’employeur qui met sur pied un programme incitatif de vaccination s’approche du titre d’employeur de choix.

Marianne Plamondon, conseillère en ressources humaines agréée et avocate chez Langlois avocats

Ces mesures auront également un effet positif sur les employés en télétravail.

« C’est une façon aussi de rassurer les employés sur le retour qui s’en vient », constate-t-elle.

Que faire avec les employés qui ne participent pas ?

« L’employé a le droit de ne pas participer, et s’il ne participe pas, c’est son droit le plus strict, indique Marianne Plamondon. Cela dit, si l’employé refuse de participer, l’employeur aura le droit de tenir pour acquis que l’employé n’a pas été vacciné. »

« On ne se le cachera pas, c’est utile pour l’employeur de savoir qui a été vacciné, parce que ça lui donne une idée à quel point il y a un risque d’éclosion. »

Peut-il être discriminatoire d’offrir des avantages aux employés vaccinés, mais pas aux autres ?

Tirage, demi-journée de congé pour la vaccination, récompense pour la deuxième dose : « Il y a vraiment eu beaucoup de créativité chez les entreprises, observe Éric Lallier. C’est sûr qu’il faut y aller avec une certaine forme de prudence. Il ne faut pas non plus que ce soit interprété comme de la coercition, comme si on forçait les gens à se faire vacciner. »

Mais dans la mesure où ces initiatives s’inscrivent dans « la bienveillance, l’accompagnement, l’incitation, l’appui à la campagne de vaccination », l’avocat n’entrevoit pas de motifs sérieux de contestation.

« Il peut y avoir des exceptions pour les conventions collectives, mais ça ne m’apparaît pas [à première vue] être illégal d’offrir des incitatifs à la vaccination », ajoute-t-il.

Il n’écarte pas complètement la possibilité que des personnes qui refusent la vaccination en raison de leur religion ou d’un handicap contestent les avantages incitatifs en invoquant la discrimination.

« C’est possible, dit-il, mais je pense que les employeurs travaillent pour le bien collectif, et certaines mesures m’apparaissent tout à fait justifiées. »

Des exemples, des résultats

PHOTO FOURNIE PAR CAE

Le 26 avril, CAE a ouvert un centre de vaccination à son siège social de l’arrondissement Saint-Laurent, pour accueillir ses employés et leurs familles.

CAE : un centre de vaccination

Le 26 avril, CAE a ouvert un centre de vaccination à son siège social de l’arrondissement de Saint-Laurent, pour accueillir ses employés et leur famille – le premier pôle de vaccination en entreprise au Québec, soutient l’entreprise.

« Depuis notre ouverture, nous avons vacciné plus de 8250 personnes », a indiqué par courriel Catherine Thibault, directrice, Affaires publiques et communications mondiales.

Nous avons commencé tout d’abord par vacciner les employés de CAE et ceux des entreprises partenaires, ainsi que leur famille.

Catherine Thibault, directrice, Affaires publiques et communications mondiales chez CAE

« L’engouement envers le centre de vaccination est palpable chez nos employés, indique-t-elle. On le voit d’ailleurs par les nombreuses publications que les employés font sur les réseaux sociaux avec le mot-clic #VaccinationCAE. »

La population en général peut dès maintenant prendre rendez-vous au centre de vaccination de CAE sur le site de Clic Santé. Elle peut s’y faire vacciner depuis le 24 mai.

PHOTO FOURNIE PAR LPA MÉDICAL

Bryan Welch, président et directeur général de LPA Médical. Le fabricant de fauteuils médicalisés a offert à sa cinquantaine d’employés une journée de congé payé pour chacune des deux doses du vaccin.

LPA Médical : un congé

LPA Médical, un fabricant de fauteuils médicalisés dont le siège social est situé à Sainte-Foy, a offert à sa cinquantaine d’employés une journée de congé payé pour chacune des deux doses du vaccin.

« L’objectif était d’enlever un frein, une barrière à la vaccination. Ce n’est pas toujours facile de prendre une journée ou quelques heures pour se faire vacciner », explique Bryan Welch, président et directeur général de LPA Médical.

Il s’agissait non seulement d’enlever un frein, mais d’appuyer sur l’accélérateur : le congé n’était pas attaché à la journée de vaccination et pouvait être pris n’importe quand.

La réponse est très bonne. La mesure a été bien accueillie.

Bryan Welch, président et directeur général de LPA Médical

Jusqu’à maintenant, environ 50 % des employés ont été vaccinés, hormis ceux dont le rendez-vous a été pris en juin.

« Il était important de donner la deuxième journée de congé, insiste-t-il. Avec le déconfinement, il faudra rappeler aux gens d’aller prendre la deuxième dose. C’est aussi important que la première. »

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L’usine d’abattage d’Olymel, à Yamachiche

Olymel : une prime

Olymel a offert à l’ensemble de ses 13 800 employés, répartis dans une quarantaine d’usines au Canada, une prime de 25 $ pour chacune des deux doses du vaccin, en échange de preuves de vaccination.

« Ç’a été bien reçu, on n’a pas eu de plainte », note Richard Vigneault, porte-parole de l’entreprise.

Les 50 $, c’est juste un symbole, la plus grande motivation demeure de ne pas attraper la COVID-19.

Richard Vigneault, porte-parole d’Olymel

Ce n’était également que la pointe de l’iceberg du programme incitatif de l’entreprise.

« On a informé les employés de tout ce qui concernait les bienfaits et la disponibilité des vaccins. »

L’entreprise a offert d’aider ses employés à qui la technologie est moins familière à prendre rendez-vous sur les plateformes gouvernementales de vaccination.

Les chiffres ne sont pas encore partout colligés, mais dans l’usine de Red Deer, en Alberta, 900 employés sur 1750 ont profité de l’offre.