Au fil des décennies chez Transat A.T., Jean-Marc Eustache a vécu plus d’une crise, mais au moment où le voyagiste québécois tente de traverser la période de fortes turbulences provoquées, par la pandémie de COVID-19, le gestionnaire de 73 ans a choisi de céder sa place aux commandes.

Celui qui figure parmi les trois cofondateurs de la société tirera sa révérence dès jeudi en optant pour la retraite, en plus de se retirer du conseil d’administration. Il sera remplacé par Annick Guérard, qui deviendra présidente et cheffe de la direction de la société mère d’Air Transat, dont l’avenir fait l’objet de nombreuses questions.

Cheffe de l’exploitation depuis novembre 2017, Mme Guérard avait été identifiée comme l’éventuelle remplaçante de M. Eustache. Elle a notamment la lourde tâche de préparer le redémarrage des activités de Transat A.T., dont les avions demeureront cloués au sol au moins jusqu’au 29 juillet.

« Il n’y a jamais un bon moment pour partir, je pensais que M. Eustache serait resté au moins jusqu’à la relance des activités, a analysé l’expert en aviation et chargé de cours à l’Université McGill John Gradek, en entrevue téléphonique. L’entreprise fait face à de nombreux défis. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Annick Guérard, nouvelle présidente et cheffe de la direction de Transat A.T.

M. Eustache a été au cœur de l’histoire de Transat A.T., dont l’entrée en Bourse remonte à 1987. N’eût été la crise sanitaire, qui a plombé les activités du voyagiste, il aurait probablement déjà passé le flambeau à Mme Guérard, qui travaille pour le voyagiste depuis 2002. Les deux gestionnaires n’étaient pas disponibles pour accorder des entrevues mercredi.

Le changement n’a pas semblé ébranler les investisseurs. À la Bourse de Toronto, mercredi, l’action de Transat A.T. a clôturé à 5,17 $, en hausse de 8 cents, ou environ 1,57 %.

« Il est désormais temps de laisser la place aux nouveaux décideurs, alors que Transat va déployer le plan qui fera d’elle à nouveau une entreprise solide, rentable, et, pour longtemps encore, le symbole du voyage loisir aux yeux de ses nombreux clients », a souligné M. Eustache, dans un communiqué.

C’est Raymond Bachand, déjà administrateur chez Transat A.T., qui remplacera M. Eustache à la tête du conseil d’administration. Mme Guérard deviendra également administratrice.

De nombreux défis

À l’instar des autres acteurs du secteur aérien, Transat A.T. a grandement souffert de la pandémie. L’entreprise a été contrainte de déployer une série de mesures pour protéger sa trésorerie, en plus de faire d’importants licenciements. En avril dernier, elle comptait environ 770 employés actifs, loin de l’effectif évalué à quelque 5200 salariés avant la crise.

Les dernières semaines ont également été mouvementées.

Annoncé en 2019, son mariage avec Air Canada, dont le prix avait fortement été révisé à la baisse (190 millions), a finalement été annulé le 2 avril dernier puisque l’approbation de la Commission européenne semblait improbable.

Quelques semaines plus tard, le 29 avril, Transat A.T., qui disait avoir besoin d’au moins un demi-milliard de dollars pour terminer l’année, a annoncé une entente avec le gouvernement Trudeau afin de pouvoir emprunter jusqu’à 700 millions, notamment pour rembourser ses clients dont les voyages avaient été annulés.

Le défi du retour à la rentabilité

De l’avis de Benoit Poirier, de Valeurs mobilières Desjardins, le retrait de M. Eustache signale que le voyagiste tente de se positionner en vue de la période de reprise dans un contexte où la vaccination s’accélère dans beaucoup d’endroits dans le monde.

« Nous ne croyons pas que l’entreprise pourra participer à la reprise cet été », a tempéré l’analyste, dans une note où il rappelle que les restrictions entourant les voyages internationaux sont toujours en vigueur au Canada.

M. Poirier a dit s’attendre à ce que l’entreprise, qui a laissé entendre qu’elle serait capable de continuer à voler de ses propres ailes, dévoile davantage de détails à propos de sa stratégie à long terme lorsqu’elle fera le point sur sa performance financière du deuxième trimestre, le 10 juin.

« La situation financière s’est améliorée [grâce aux 700 millions] et je crois que la société a les fonds nécessaires pour assurer sa survie à court terme, a dit M. Gradek. M. Eustache peut être fier de cela. Mais une fois que les activités auront redémarré, il faudra trouver une façon d’atteindre la rentabilité. C’est le défi. »

Transat A.T. a également échangé avec Pierre Karl Péladeau à propos de l’offre de 5 $ par action émanant de l’homme d’affaires. L’actionnaire de contrôle de Québecor a toutefois déclaré ne plus être intéressé en affirmant que le plus important actionnaire du voyagiste, la firme Letko Brosseau & Associés, s’opposait au prix offert.

Transat A.T. avait pris note des déclarations de M. Péladeau en précisant n’avoir reçu aucune communication formelle à cet effet.