« Tant qu’à n’aller nulle part… », se disent cette année bien des travailleurs québécois qui tardent conséquemment à préciser leurs dates de vacances estivales. Un casse-tête potentiel pour leurs employeurs.

Les banques de vacances se vident moins rapidement cette année. Indécis, bien des travailleurs québécois ne savent que faire de leur été et, surtout, quand prendre une pause. Et ce, même si celle-ci est plus nécessaire que jamais. « Personne de mon comité exécutif ne m’a demandé de vacances à date, confirme Alexandre Marchand, directeur général du fabricant de bains et douches Produits Neptune. Je vais les obliger à prendre minimalement les deux semaines de la construction. Mais ils ne toucheront probablement pas à leurs autres semaines. »

« Jusqu’à présent, peu de gens ont booké pour l’été, ajoute Sébastien Charland, directeur des finances et administration d’Agendrix. Soit environ 20 % des employés. On fait des rappels tous les mois. »

Des employés semblent vouloir reporter leurs vacances estivales à la fin de l’été et peut-être même les convertir en arrêt automnal ou hivernal. « Je suis l’exemple parfait de cette situation, admet Alexandre Marchand. Je prenais toujours des vacances au printemps et à l’automne. Là, je planifie en novembre 2021… à condition de pouvoir prendre l’avion. »

« C’est différent cette année, constate Ralph François, président de la firme de recrutement technologique Reelcruit. Les gens ne savent même pas où aller. Ni moi ni ma conjointe. Normalement, on commence à planifier en mars. Là, personne ne nous a rien demandé. Même la direction n’a pas prévu de vacances. »

Face à cette situation extraordinaire que sont la pandémie et les restrictions sanitaires, les employeurs doivent faire preuve de vigilance autant que de flexibilité. En plus de donner l’exemple ! « On a dû être flexible en pandémie, avoue Alexandre Marchand. Tu ne peux pas dire : tu perds tes congés ! Mais prends-les, par contre ! J’encourage les gens à les prendre pour se reposer. »

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Ralph François, président de Reelcruit

On sait que tout le monde est affecté. On s’est donc adapté. Tout le monde va reporter ses vacances. On a cette flexibilité en tant que PME.

Ralph François, président de Reelcruit

En février dernier, lorsque Sébastien Charland est devenu directeur des finances d’Agendrix, il est resté béat devant la banque de vacances de la trentaine d’employés de la firme qui commercialise un logiciel de gestion des horaires. « On avait dépassé la barre des 100 000 $ de vacances devant être prises, lance-t-il. Ce chiffre m’a marqué. J’ai analysé les données. Je me suis rendu compte que la moitié des gens n’avaient pas pris une semaine de vacances complète depuis six mois. Une employée avait six semaines accumulées. Ce n’était pas normal. »

Sébastien Charland a analysé la situation pour trouver une façon de la régler… en prenant lui-même de longs week-ends d’arrêt. « Les dirigeants sont souvent les pires, note-t-il. J’étais là-dedans ! Beaucoup ont travaillé plus depuis le début de la pandémie. Ils ne donnent pas l’exemple. Quelle est alors notre crédibilité quand on dit aux gens de prendre des vacances ? »

Il a fait un sondage auprès des employés pour savoir pourquoi on tardait à déterminer les jours de vacances.

Trois raisons sont ressorties. On ne peut aller en voyage outre-mer, il est déconseillé de changer de région, il n’y a rien à faire, car tout est fermé.

Sébastien Charland, directeur des finances et administration d’Agendrix

Ces données en main, il a ensuite écrit aux six directeurs de l’entreprise en précisant qui, de leurs employés, avait trois semaines non prises de vacances, et en les enjoignant à leur demander leurs plans. De longs week-ends ont alors été demandés.

Dettes financières et psychologiques

Dans un article de blogue publié ce printemps, Sébastien Charland énumère, par ailleurs, les conséquences pour les entreprises des congés non écoulés. Les dettes peuvent être autant psychologiques que financières. « D’abord, ce n’est pas plaisant d’imposer des vacances, explique-t-il. Ensuite, quand un employé quitte l’entreprise, on lui doit ses vacances. L’employeur qui paye des vacances en argent paye en double un employé, qui ne s’est pas reposé par-dessus le marché. »

Le directeur des finances entrevoit aussi le spectre où tous risquent de vouloir prendre leurs vacances à la fin de l’été, si on annonce un déconfinement. « Les livrables risquent d’être reportés pour toutes les entreprises qui travaillent à projets », envisage-t-il.

« Le casse-tête est double, analyse aussi Pascale Pageau, avocate et fondatrice de la firme Delegatus. Tout le monde veut garder ses vacances, mais les gens sont fatigués. Le rôle de l’employeur est d’assurer l’équilibre. Il faut décrocher. »

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Pascale Pageau, avocate et fondatrice de la firme Delagatus

Delegatus encourage ses employés depuis des années à prendre toutes leurs vacances. « Ils les ont tous planifiées, même s’ils ne peuvent aller nulle part, car ils veulent se reposer, dit MPageau. On donne toutefois la possibilité de transférer 50 % des congés l’année suivante. »

Imposer une période de prise de dates de vacances, refuser des congés demandés et respecter l’ancienneté sont des solutions pour accélérer la demande de congés. « Mais la perception risque d’en prendre pour son rhume, surtout chez les milléniaux et les Z, pense Sébastien Charland. Ça pourrait exacerber les problèmes de rétention. On imagine la personne qui booke des billets d’avion dès qu’une lueur d’espoir de voyager se pointe et qui se fait refuser ses dates de vacances par son employeur. Ces histoires vont se retrouver par milliers au Québec si on n’y fait pas face d’avance. »

Janie-Pier Joyal, avocate, spécialiste en droit du travail de la firme Monette Barakett, rappelle la règle de base de gestion des vacances en vertu de la Loi sur les normes du travail : « Il en revient à l’employeur de dire quand prendre les vacances en fonction de ses besoins, précise-t-elle. Pour les employés non syndiqués, la loi ne prévoit pas de périodes précises, mais ils doivent les prendre au plus tard dans les 12 mois suivant la période de référence [le 30 avril, par exemple]. Pour les syndiqués, il peut y avoir, dans la convention collective, une période indiquée pour la prise de congés. »