(Toronto) Rogers Communications a annoncé lundi qu’elle ferait l’acquisition de Shaw Communications, une transaction qui combinerait les deux plus grands opérateurs de câblodistribution du Canada et devra vraisemblablement être soumise à un examen réglementaire en raison d’inquiétudes quant à la concurrence dans l’industrie du sans-fil.

Évaluée à 26 milliards en tenant compte de la dette, la proposition de transaction intervient à un moment charnière pour les entreprises de câblodistribution et de téléphonie du pays.

Même si Shaw et Rogers ne sont pas des concurrents directs du câble et de l’internet parce que leurs réseaux se trouvent dans différentes régions du pays, ils ont été de féroces rivaux dans le secteur du sans-fil depuis que Shaw a acheté l’ancien opérateur Wind Mobile, en 2016.

« Comme c’est le cas dans tous les regroupements du secteur des télécommunications, nous prévoyons qu’il y aura certaines hésitations de la part des organismes de réglementation étant donné l’impact potentiel que cette transaction aurait sur la concurrence et les prix du secteur sans fil », a estimé l’analyste de Canaccord Genuity Aravinda Galappatthige dans une note à ses clients.

Le chef de la direction de Rogers, Joe Natale, a indiqué aux analystes lors d’une conférence téléphonique en matinée qu’il était trop tôt pour spéculer sur la question de savoir si les entreprises seront tenues de céder certaines de leurs activités pour que l’approbation soit accordée par les autorités de réglementation fédérales, y compris le Bureau de la concurrence.

« Mais nous sommes convaincus que cette transaction sera approuvée », a affirmé M. Natale.

PHOTO NATHAN DENETTE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Joe Natale

Rogers possède un réseau sans fil national qui fonctionne sous les marques Rogers, Fido et Chatr. Shaw est propriétaire de Freedom Mobile et Shaw Mobile en Alberta, en Colombie-Britannique, et en Ontario.

Ils sont tous deux en concurrence avec les autres entreprises nationales de services sans fil appartenant aux plus grandes compagnies de téléphone du Canada : Bell (incluant Virgin Mobile et Lucky Mobile) et Telus (avec ses marques Koodo et Public Mobile). Rogers, Bell et Telus sont les trois grands fournisseurs de télécommunications au pays.

Selon l’Association canadienne des télécommunications sans fil (ACTS), qui représente la plupart des opérateurs, il y avait environ 33,8 millions d’abonnés au Canada en date du 30 septembre 2020. Rogers en avait le plus, avec environ 10,9 millions d’abonnés, tandis que Freedom en comptait environ 1,8 million.

« Si la transaction obtient l’autorisation de se dérouler sans cession de services sans fil, ce serait un élément positif clé pour les trois services sans fil nationaux (en particulier pour Rogers bien sûr) », a affirmé M. Galappatthige.

Il a souligné en outre que Québecor, propriétaire de Vidéotron, serait probablement en première ligne s’il y avait un dessaisissement forcé de Freedom, qui a peu de présence à l’est de l’Ontario.

Synergies et mesures de réduction des coûts

La directrice générale du groupe de défense des consommateurs OpenMedia, Laura Tribe, a fait valoir dans un communiqué que le gouvernement ne devait pas approuver l’accord.

« Nous avons besoin de plus de concurrence au Canada — pas de moins », a affirmé Mme Tribe dans un communiqué.

« Au fil des ans, nous avons vu concurrent après concurrent être avalé par les “Trois Géants”. Le résultat est toujours le même : plus de profits pour les Trois Géants, de moins bons plans et moins de choix pour les Canadiens. Nous ne pouvons pas nous permettre cet accord. »

Le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a publié une brève déclaration affirmant qu’il ne tenterait pas de prédire le résultat des examens réglementaires, mais il a répété les promesses du gouvernement libéral pour une plus grande accessibilité, plus de concurrence et plus d’innovation dans le secteur des télécommunications canadiennes.

« Ces objectifs seront au cœur de l’analyse des implications de l’annonce d’aujourd’hui », a affirmé M. Champagne.

Les dirigeants des deux sociétés ont révélé peu de détails sur la manière dont ils prévoient de réaliser 1 milliard de synergies, qui proviendront principalement d’économies de coûts.

Cependant, ils ont précisé, lors d’une conférence téléphonique avec des analystes, que les économies sur les dépenses d’exploitation iraient probablement au-delà de celles réalisées sur les dépenses en immobilisations pour de l’équipement.

Des promesses de Rogers

Dans le cadre de la transaction, les entreprises ont indiqué que Rogers investirait 2,5 milliards dans les réseaux 5G au cours des cinq prochaines années dans l’Ouest canadien.

Rogers a aussi affirmé qu’elle créerait un nouveau fonds d’un milliard de dollars dédié à la connexion des communautés rurales, éloignées et autochtones de l’Ouest canadien au service internet à haute vitesse.

Le directeur financier de Rogers, Tony Staffieri, a souligné qu’étant donné que les approbations réglementaires ne seraient pas obtenues avant un an, il y avait encore trop d’éléments inconnus pour faire des prévisions au sujet des réductions de coûts.

Cependant, les dirigeants des deux sociétés contrôlées par des familles ont clairement indiqué, lors d’une conférence de presse conjointe, qu’ils pensaient que le rapprochement entraînerait de grands avantages.

« Tout en dégageant une valeur considérable à nos actionnaires, le regroupement de ces deux grandes entreprises crée aussi un fournisseur véritablement national en mesure d’investir plus rapidement davantage de ressources afin de mettre en place les réseaux filaires et sans-fil dont ont besoin à long terme tous les gens d’ici », a affirmé le chef de la direction de Shaw, Brad Shaw, dans une déclaration.

PHOTO CHRIS WATTIE, ARCHIVES REUTERS

En vertu de l’entente, Rogers verserait aux détenteurs d’actions de catégorie A et B de Shaw 40,50 $ en espèces pour chacun de leurs titres, tandis que la famille Shaw recevrait une partie de son paiement en actions de Rogers.

Les actions de catégorie B de Shaw, qui sont négociées à la Bourse de Toronto, ont augmenté lundi de 9,95 $ ou 41,6 %. Elles ont clôturé à 33,85 $, après avoir grimpé plus tôt dans la séance jusqu’à 35,00 $ ce qui représentait un nouveau sommet des 52 dernières semaines pour elles.

Le titre de Rogers a pour sa part avancé de 2,02 $, ou 3,4 %, à 61,57 $.

La société fusionnée créerait un siège social régional de l’Ouest à Calgary, où le président des activités de l’Ouest et d’autres cadres supérieurs seraient installés.

Rogers a déclaré avoir à sa disposition les fonds engagés garantis suffisants pour couvrir la contrepartie en trésorerie de l’offre, tandis qu’environ 60 % des actions de la famille Shaw seront échangées contre 23,6 millions d’actions de catégorie B de Rogers.

Brad Shaw et un autre administrateur à être nommé par la famille Shaw — qui deviendra l’un des plus importants actionnaires de Rogers — seront nommés au conseil d’administration de Rogers.

Les assemblées extraordinaires des actionnaires des deux sociétés devraient avoir lieu en mai.