La direction de la Banque Laurentienne a offert 1,8 million de dollars afin de convaincre les deux principaux dirigeants syndicaux de quitter l’entreprise, de régler des griefs et de s’assurer que le syndicat ne s’oppose d’aucune façon à la démarche de désyndicalisation qui chemine depuis deux mois au sein de l’organisation.

Dans cette offre datée du 5 janvier – obtenue par La Presse –, il y a 650 000 $ pour la présidente du syndicat, Julie Tancrède, 650 0000 $ pour la vice-présidente, Sophie Drouin, et 500 000 $ pour le syndicat.

Selon le libellé du document, les offres aux deux dirigeantes syndicales visent à régler les plaintes et les griefs liés à leur fin d’emploi.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Julie Tancrède, présidente du syndicat des employés de la Banque Laurentienne

La liste de conditions souligne aussi qu’il est « entendu que le syndicat s’engage à ne déposer aucune objection en lien avec la demande en révocation » de l’accréditation syndicale actuellement active et à ne déposer aucune plainte que ce soit dont les conclusions demandent le rejet de ladite demande en révocation.

Juste avant Noël, un syndiqué a déposé au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) une requête visant à révoquer l’accréditation syndicale. Le dossier a été accepté cette semaine par ce tribunal administratif fédéral. Les quelque 600 syndiqués de la banque se prononceront lors d’un scrutin qui se tiendra possiblement d’ici la fin du mois ou au début de mars.

En contrepartie, est-il précisé dans le document, la banque versera au syndicat 500 000 $ pour éponger les frais juridiques engagés, le tout dans les 30 jours d’une décision finale et exécutoire du CCRI révoquant l’accréditation du syndicat. L’offre requiert aussi que la décision révoquant l’accréditation soit rendue avant le 1er avril et qu’il n’y ait aucune procédure intentée ou en révision devant le CCRI.

Quant à Julie Tancrède et à Sophie Drouin, le versement de 500 000 $ des 650 000 $ promis à chacune est lui aussi prévu « dans les 30 jours d’une décision finale et exécutoire du CCRI révoquant l’accréditation du Syndicat ».

Quatrième tentative de désyndicalisation depuis cinq ans

Julie Tancrède n’a pas souhaité réagir au document obtenu par La Presse, qui précise par ailleurs que l’offre pécuniaire était valide jusqu’au 18 janvier.

« On ne commentera aucune offre que la Banque a pu ou pourrait faire », dit-elle.

« Une chose est certaine, ajoute-t-elle, le syndicat n’est pas à vendre. »

On n’acceptera pas d’argent en contrepartie du droit des membres. On dénonce l’ingérence de l’employeur dans le processus depuis le début. La Banque n’a pas le droit de s’ingérer dans les affaires syndicales et doit se tenir à l’écart de toute question relative à l’accréditation.

Julie Tancrède, présidente du syndicat des employés de la Banque Laurentienne

La tentative actuelle de désyndicalisation est la quatrième depuis cinq ans. La première tentative, qui n’avait pas abouti en dépôt au CCRI, est survenue à la fin de 2016. Deux démarches similaires ont échoué en 2018 (dans le premier cas, plus de 60 % des employés ayant voté s’étaient prononcés en faveur du syndicat, tandis que le CCRI a écarté la requête subséquente après avoir découvert que les déclarations soumises en preuve au soutien de la demande comportaient des signatures falsifiées).

Julie Tancrède et Sophie Drouin ont reçu une fin d’emploi dans les dernières années. Leur statut fait l’objet d’un litige dans une plainte de pratique déloyale devant le CCRI. Leur lien au syndicat existe toujours puisque le syndicat défend les intérêts de ses membres et leur retour potentiel au sein de la banque.

« Hara-kiri »

Pour le professeur Alain Barré, du département des relations industrielles à l’Université Laval, l’offre présentée n’avait dès le départ aucune chance de succès. « La Banque demande au syndicat de se faire hara-kiri », dit-il.

Il n’y a pas un syndicat qui peut signer un document comme ça. C’est impossible d’envisager un tel scénario pour un syndicat. Je n’ai jamais vu ça. Si ça s’est déjà produit, ça s’est fait en catimini. Si j’étais employeur, je serais gêné de faire une telle proposition. Ça me dépasse complètement.

Alain Barré, professeur au département des relations industrielles à l’Université Laval

Appelée à réagir au contenu du document, la Banque Laurentienne répond que « ces négociations, qui se déroulent sans préjudice et entre les avocats de l’employeur et du syndicat, constituent une pratique standard ».

« Nous ne commenterons pas, ou ne négocierons pas en public, au sujet du contenu spécifique de documents sous privilège et confidentiels entre la Banque Laurentienne et le syndicat », précise le porte-parole de la banque, Fabrice Tremblay.

« Le litige que nous tentions de résoudre de bonne foi dans les discussions avec le syndicat n’avait rien à voir avec le processus de révocation. Il s’agissait plutôt d’une tentative d’arriver à une conclusion satisfaisante au sujet de griefs et d’une plainte de pratique déloyale déposés il y a deux ans, dossiers qui ont débuté et ne seront pas complétés dans un avenir prévisible. De plus, ces discussions ont été initiées à la demande du syndicat. »

L’effectif de la Laurentienne est actuellement d’un peu moins de 3000 employés et le nombre de syndiqués est d’environ 600. Le syndicat comptait près de 2000 membres il y a cinq ans. Ce nombre a considérablement diminué après des abolitions de postes.

La Laurentienne est dirigée depuis octobre par Rania Llewellyn. Elle a pris la relève de François Desjardins, qui a quitté la banque en milieu d’année l’an passé après avoir lancé un ambitieux plan de transformation il y a six ans. Ce plan oriente la Laurentienne vers le conseil financier et les services numériques. Le nombre de succursales est passé de 150 il y a six ans à une soixantaine aujourd’hui.

Débauchée à la Banque Scotia, Rania Llewellyn a déjà annoncé plusieurs changements organisationnels, mais n’a toujours pas révélé l’orientation stratégique qu’elle souhaitait donner à l’institution financière.

La Laurentienne est la septième banque en importance au pays et la seule syndiquée. Après de longues et difficiles négociations, une nouvelle convention collective avait finalement été signée en 2019.