L’intérêt de Couche-Tard envers le géant français Carrefour semble créer une certaine angoisse chez les investisseurs. Ces derniers ont fait reculer l’action de Couche-Tard de 10 % mercredi en raison d’un questionnement au sujet de la stratégie empruntée, mais vraisemblablement aussi en anticipation d’une possible émission d’actions servant à financer l’opération.

Alimentation Couche-Tard a révélé mercredi avoir récemment présenté une proposition amicale pour Carrefour qui donne au géant français de l’alimentation une valeur approximative de 25 milliards de dollars canadiens (excluant la dette).

La proposition de Couche-Tard — prévue majoritairement en argent — est de 20 euros par action de Carrefour, l’équivalent d’une prime de près de 30 % par rapport au cours de clôture de l’action de Carrefour mardi à la Bourse de Paris.

« Les termes de la transaction sont toujours en discussions et soumis à une vérification diligente. Il n’y a aucune certitude que ces discussions déboucheront sur un accord ou une opération », indique Couche-Tard par communiqué.

Le titre de Couche-Tard a maintenant perdu environ 15 % de sa valeur depuis le 1er janvier. À son cours actuel, l’action de Couche-Tard peut assurément paraître attrayante si un investisseur pense que l’entreprise lavalloise ne parviendra pas à acheter Carrefour. Le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, s’est d’ailleurs déjà montré publiquement défavorable à une vente de Carrefour.

Même si les questions des investisseurs sont nombreuses et légitimes, la direction de Couche-Tard n’accordait pas d’entrevue mercredi et nous renvoyait simplement à son communiqué.

La lecture de ce communiqué ne permet pas de savoir de quelle façon serait financée une transaction, mais un point semble très clair : aucun signe de partenaires. Couche-Tard se lance seule dans ce projet et croit assurément aux synergies potentielles à dégager. Pour ce qui est des hypermarchés et des épiceries de Carrefour, il faut se souvenir que Couche-Tard et Metro ont entretenu une « relation » durant de nombreuses années. L’épicier montréalais a longtemps été un très gros actionnaire de Couche-Tard.

Se pourrait-il que Couche-Tard s’intéresse à Carrefour parce que les occasions d’acquérir des dépanneurs à prix raisonnable se font de plus en plus rares ? C’est précisément ce que se demande l’analyste Michael Van Aelst, de la TD.

Selon cet expert, Couche-Tard pourrait vouloir diversifier ses activités afin d’être moins dépendante de la vente d’essence. Les véhicules électriques causent déjà de l’anxiété chez certains investisseurs et l’acquisition des hypermarchés et des épiceries de Carrefour risque maintenant d’augmenter ce niveau d’anxiété, croit-il.

La semaine dernière, Michael Van Aelst avait retiré sa recommandation d’achat sur le titre de Couche-Tard. Il soulignait que Couche-Tard s’était bien adaptée aux besoins des consommateurs durant la pandémie, mais prévenait que les gains à réaliser en 2021 ne seraient pas les mêmes puisque les habitudes de consommation allaient se normaliser cette année.

Des acheteurs disciplinés

La sévère réaction boursière peut laisser croire qu’acheter Carrefour est une mauvaise idée. Ce serait toutefois accorder peu de mérite aux dirigeants de Couche-Tard, qui ont la réputation d’être disciplinés et d’avoir su créer de la valeur au fil des années. Ils n’ont pas hésité dans le passé à laisser tomber un projet d’acquisition si, par exemple, le prix à payer ne convenait pas. Il suffit notamment de penser à l’australienne Caltex l’année dernière, et à l’américaine Casey’s il y a une dizaine d’années.

Élargir les activités dans un secteur adjacent pourrait apporter des occasions intéressantes de création de valeur.

Irene Nattel, chez RBC

Les probabilités d’une acquisition pure et simple de Carrefour par Couche-Tard sont néanmoins relativement faibles pour plusieurs raisons, selon Mark Petrie, de la CIBC. « Même si Couche-Tard n’a jamais eu autant de flexibilité financière, l’entreprise a dépensé plus de 150 millions de dollars dans les six dernières semaines pour racheter de ses actions sur le marché, ce qui me rend sceptique que la compagnie veuille réaliser une transaction qui nécessiterait sûrement de l’équité sous une forme ou une autre. »

Cet analyste soutient aussi que les synergies à réaliser semblent limitées, du moins selon les standards de Couche-Tard. De plus, dit-il, Carrefour a plusieurs défis à relever dans son domaine en exécutant un plan de redressement qui s’échelonne sur plusieurs années.

Carrefour apporterait de nouveaux marchés et de nouveaux formats de magasins à gérer pour Couche-Tard. Le génie de l’équipe d’Alain Bouchard serait assurément mis à l’épreuve. Malgré son scepticisme, Mark Petrie croit qu’une « structure créative » pourrait venir surprendre les investisseurs.

Couche-Tard refuse d’en dire davantage pour l’instant. Mais tôt ou tard, la direction devra préciser son raisonnement et si elle se projette dorénavant comme un consolidateur de supermarchés. Selon le déroulement des discussions avec la direction de Carrefour, cela pourrait venir avant le 17 mars, date à laquelle Couche-Tard fera le point sur ses activités en dévoilant ses prochains résultats trimestriels.

Carrefour exploite plus de 12 500 magasins dans une trentaine de pays, dont quelque 1200 hypermarchés, environ 2400 sont des épiceries plus traditionnelles et approximativement 7700 sont des dépanneurs.