(Ottawa) Le gouvernement Trudeau sort le chéquier pour aider le constructeur automobile Ford à transformer une usine à Oakville afin d’y fabriquer les premiers véhicules électriques au pays. S’il salue cet investissement vert, le Bloc québécois craint que cela n’entraîne une délocalisation de l’expertise québécoise en matière d’électrification des transports au profit de l’Ontario.

Le premier ministre Justin Trudeau et son homologue ontarien Doug Ford ont confirmé jeudi qu’Ottawa et l’Ontario investiront chacun 295 millions de dollars afin de convertir l’usine du géant de l’automobile pour y construire des véhicules à zéro émission. À elle seule, la compagnie Ford prévoit investir environ 1,2 milliard de dollars dans ce projet de 1,8 milliard qui devrait permettre de maintenir 5400 emplois.

« Des entreprises comme Ford contribuent à accélérer notre transition vers une économie à faibles émissions de carbone et axée sur la croissance propre », s’est félicité le premier ministre Justin Trudeau, qui a fait l’annonce à Ottawa.

« L’annonce d’aujourd’hui représente le plus grand investissement dans le secteur automobile en Ontario depuis plus de quinze ans. C’est un moment historique », a soutenu pour sa part Doug Ford, qui a participé à la conférence de presse par visioconférence depuis Oakville. Enthousiaste, M. Ford est allé jusqu’à dire que l’usine d’Oakville deviendra « la plus grande usine de fabrication de voitures électriques en Amérique du Nord » .

Ces investissements sont les plus importants réalisés dans l’industrie automobile depuis 15 ans, a aussi avancé Doug Ford.

Mais le Bloc québécois se dit inquiet de voir cet investissement du gouvernement fédéral être le prélude à une tentative de transférer en douce une expertise québécoise vers l’Ontario.

« Que l’usine d’Oakville soit convertie, je salue comme étant une bonne nouvelle. Mon inquiétude ne porte pas sur l’usine, mais sur l’avenir de la grappe au Québec », a lancé le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet dans une entrevue à La Presse.

Et il a servi un avertissement aux libéraux de Justin Trudeau.

« Je mets en garde le gouvernement fédéral. Les Québécois sont extrêmement fiers de l’expertise québécoise en électricité en général et en transport électrique en particulier. Une volonté du fédéral de leur arracher cela au bénéfice de l’Ontario viendrait avec une très grosse facture politique à payer », a-t-il dit.

M. Blanchet a fait valoir que déjà des secteurs de pointe ont été mis à mal par des politiques fédérales. Il a rappelé que le Québec détient une expertise en matière de construction navale, mais que le chantier maritime Davie a été mis de côté quand Ottawa a accordé des milliards de dollars en contrats à deux chantiers maritimes, la société Irving Shipbuilding, à Halifax, et Seaspan ULC à Vancouver, pour construire des bateaux pour le gouvernement canadien.

Il a aussi souligné que le gouvernement Trudeau n’a toujours pas adopté une politique nationale en matière d’aérospatiale, une industrie largement concentrée au Québec qui est durement éprouvée en raison de la pandémie.

« Il existe une grappe au Québec et il faut assurément que ce soit reconnu par le gouvernement fédéral. Le gouvernement Trudeau devrait rapidement rassurer l’industrie québécoise et les efforts québécois dans ce secteur comme », a affirmé M. Blanchet.

« Un des dangers, c’est que l’on dise à des entreprises “ Si tu viens en Ontario, tu vas avoir plus de financement public qu’au Québec ou si tu ouvres une nouvelle usine en Ontario plutôt que de l’ouvrir au Québec, on va te soutenir ”. Il y a beaucoup de façon d’amener des entreprises dans un secteur donné. Mais le gouvernement fédéral ne doit pas se mettre dans la situation où il va de nouveau favoriser l’Ontario par rapport au Québec dans une expertise qui est d’abord et avant tout une expertise québécoise, comme l’aéronautique ou comme la construction navale », a ajouté le chef bloquiste.

M. Blanchet a donné en exemple La Compagnie Électrique Lion, qui fabrique des camions et des autobus 100 % électriques, l’entreprise AddÉnergie, qui fabrique des bornes de recharge et développe des logiciels de gestion de réseau pour tous les marchés, et Girardin, qui construit des autobus scolaires électriques, entre autres.

Dans la circonscription M. Blanchet, à Boleil, la compagnie Ambulance Demers, qui détient un pourcentage important du marché canadien et une partie du marché américain en matière de construction d’ambulances, est en train de développer la première ambulance entièrement électrique de concert avec la Compagnie Électrique Lion.

« Il y a une expertise québécoise qui doit être reconnue. Ce n’est pas parce que c’est un secteur d’avenir qu’il faut encore une fois l’envoyer en Ontario en disant au Québec vous avez un chèque de péréquation, laissez-nous vous vider de vos expertises et de vos secteurs d’avenir. »

« De surcroit, le Québec est de loin la juridiction au Canada où le nombre de véhicules électriques par capita est le plus élevé. C’est une signature de l’électricité en général », a-t-il encore dit.

Mais au bureau du leader du gouvernement à la Chambre Pablo Rodriguez, on a voulu se faire rassurer. Le Québec profitera de l’investissement fédéral en Ontario, a soutenu le porte-parole du ministre, Simon Ross.

« L’annonce d’aujourd’hui est aussi une bonne nouvelle pour le Québec, parce que plusieurs de nos entreprises font partie de la chaîne d’approvisionnement des usines de voitures électriques. C’est le cas de nos fabricants de batteries et de nos producteurs d’aluminium. Le Québec est un leader dans ces domaines et c’est un sérieux coup de pouce à nos emplois » a offert M. Ross