La fermeture temporaire des bars et restaurants portera un coup fatal à certains, affirment des intervenants de l’industrie

Le chef Martin Ore et son partenaire d’affaires ont gratté les fonds de tiroir pour maintenir en vie leur restaurant péruvien Mochica au cours des derniers mois. L’annonce de la fermeture des restaurants pour une période de 28 jours dans les zones rouges, ce qui inclut Montréal et Québec, est difficile à digérer pour l’établissement de la rue Saint-Denis. « Les restaurants et les bars sont encore les moutons noirs de la gang », déplore M. Ore.

Selon lui, la plupart des établissements ont respecté à la lettre les règles de la Santé publique et ne méritent pas de devoir cesser leurs activités pendant 28 jours. « Ce n’est pas dans les restaurants qu’il y a eu des éclosions. C’est vraiment injuste. »

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Le chef Martin Ore

La fermeture des bars et des salles à manger des restaurants, même temporaire, portera un coup fatal à plusieurs établissements, estime l’Association Restauration Québec (ARQ). « On ne peut pas penser que ça n’aura pas de conséquences, affirme sans hésitation le vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’ARQ, François Meunier. Il y a beaucoup de gens qui étaient déjà endettés de la fermeture du printemps. Ils ne pourront pas rechercher d’autres prêts. » Restaurants Canada, une association qui représente 6000 restaurants au Québec, avance que près de 40 % ne survivront pas d’ici la fin de l’année.

Même si Québec promet une aide, la mesure passe mal.

On va pousser des gens à se faire des partys à la maison. Les restaurants ne sont pas des lieux d’éclosion. On s’aperçoit que c’est davantage les maisons privées [le problème]. On devient un peu le symbole. On est utilisés pour faire passer le message à la population.

François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’ARQ

Au centre-ville, la chef Helena Loureiro, propriétaire de l’Helena et du Portus, sentait également que les restaurants étaient des « enfants mal aimés ». Ce coup dur n’aidera en rien l’industrie qui est déjà affaiblie, soutient-elle. « D’après moi, 60 % des restaurants à Montréal vont fermer. Minimum. »

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La chef Helena Loureiro, propriétaire de l’Helena et du Portus

Copropriétaire du Bouillon Bilk et du Cadet, également au centre-ville, Mélanie Blanchette comprend les raisons derrière ces mesures, mais espère que l’industrie ne sera pas stigmatisée par cette nouvelle fermeture. « On a travaillé tellement fort, on prend ça au sérieux, c’est notre travail. Personne ne va perdre quoi que ce soit s’il reçoit 15 personnes à la maison. Nous, on peut perdre notre entreprise. »

Elle espère que le gouvernement et la Ville entameront, au-delà de cette crise, une réelle réflexion sur la façon de faire rayonner Montréal après la pandémie. « Nous sommes connus pour nos restaurants, les gens voyagent pour les visiter. Est-ce qu’on veut encore miser là-dessus ? Si oui, à un moment, il faudra délier les cordons de la bourse pour les restaurants, les hôtels. »

Les grandes chaînes, comme St-Hubert, sont aussi durement touchées. Le roi du poulet rôti exploite des restaurants dans la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), à Québec et dans Chaudière-Appalaches, les trois zones touchées. L’entreprise devra fermer 67 rôtisseries. « On est quand même assez déçus », admet Richard Scofield, président du groupe St-Hubert.

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Richard Scofield, président du groupe St-Hubert

À Québec, Fabio Monti, copropriétaire d’Ophelia et de l’Atelier, tentait de rester positif. « On comprend la situation, affirme-t-il. On s’attendait à ce que l’automne soit difficile de toute façon. On pense à faire du take out. Tout ce qu’on veut, c’est que les gens fassent des efforts. »

Une crise dans les bars ?

Pierre Thibault, président fondateur de la Nouvelle Association des bars du Québec (NABQ), qui compte 200 membres à travers le Québec, appréhende une « crise » dans l’industrie. « On vient quand même de fermer plusieurs entreprises, rappelle celui qui est également propriétaire de la Taverne Saint-Sacrement, sur le Plateau Mont-Royal. C’est un choix que le gouvernement a fait pour calmer le jeu. La priorité, c’est la santé publique, ce sont les écoles. On s’entend tous là-dessus. Il n’en demeure pas moins qu’on va avoir une crise. »

M. Thibault estime que les mesures d’aide que le gouvernement Legault devrait annoncer sous peu, selon ce qu’a dit le premier ministre lundi, sont la seule « lueur d’espoir » qui reste aux restaurateurs et aux propriétaires de bars.

« Ces 28 jours-là, ils vont être atroces pour beaucoup d’entrepreneurs, affirme-t-il sans détour. Mais si les mesures économiques sont efficaces et sont mises en place rapidement et que dans 28 jours on a réussi à contrôler la propagation et qu’on peut rouvrir sur une base solide… peut-être que c’est un bon coup de dés. On va voir. On va le savoir dans 28 jours. »

Les hôtels ouverts, mais pas épargnés

Le gouvernement Legault n’a pas imposé de fermetures dans l’industrie touristique et hôtelière, mais celle-ci s’attend quand même à vivre des jours difficiles.

« Déjà, lorsque nous sommes passés en mode orange, on a vu une baisse d’achalandage, on l’a sentie la journée même », affirme le président du conseil d’administration de l’Association Hôtellerie Québec, Dany Thibault.

Le passage de trois grandes régions en rouge va accélérer le mouvement.

M. Thibault note qu’il y avait eu une petite forme de reprise, notamment dans le tourisme d’affaires.

« Maintenant, tout ce qui était prévu entre le 20 septembre et le 31 octobre est en train de se faire annuler. C’est le même phénomène, à moins grand volume, qu’on a connu le 14 et le 15 mars. »

En plus, les autorités déconseillent maintenant les déplacements entre les régions. « Les Québécois, les gens de l’Ontario qui voyageaient pour les couleurs d’automne vont rester chez eux », déplore M. Thibault.

Le président-directeur général de l’Alliance de l’industrie touristique du Québec, Martin Soucy, rappelle que deux des zones qui passent au rouge, Montréal et Québec, représentent le principal marché touristique intérieur du Québec.

« Ça a très bien fonctionné cet été, il y a eu beaucoup de déplacements des gens de Montréal et de Québec vers les régions », rappelle-t-il. Mais avec les recommandations de la Santé publique, ces déplacements se feront plus rares.

« Pour les entreprises qui essayaient de renflouer un peu plus les coffres, ça nous fait manquer trois belles fins de semaine qui auraient permis de faire rentrer des liquidités », déplore M. Soucy, qui comprend toutefois qu’il s’agit d’un enjeu de santé publique.

– Avec la collaboration d’Iris Gagnon-Paradis et de Marie Tison, La Presse