Même après avoir perdu plusieurs dizaines de millions de dollars, Québec est prêt à réinjecter jusqu’à 300 millions dans Nemaska Lithium, à l’abri de ses créanciers depuis décembre dernier, pour l’aider à exploiter une mine près de la Baie-James et une usine de transformation à Shawinigan.

Au terme d’un processus qui s’est amorcé à la fin janvier, c’est la proposition de la société Orion, de la firme londonienne Groupe Pallinghurst et d’Investissement Québec (IQ) — qui a jusqu’ici englouti 71 millions dans l’aventure — qui a été retenue, a annoncé lundi la compagnie, qui a toutefois décliné les demandes d’entrevues.

Dans sa nouvelle mouture, la compagnie ne sera plus cotée en Bourse, une structure qui avait été critiquée à plus d’une reprise par le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, qui était même allé jusqu’à la qualifier de « patente à gosse » la semaine dernière. L’État québécois et Pallinghurst détiendront Nemaska Lithium à parts égales et Orion demeurera le principal créancier garanti, à hauteur d’environ 135 millions.

L’injection d’argent frais pourrait atteindre 600 millions, mais les deux actionnaires allongeront d’abord chacun 95 millions à la clôture de la transaction, prévue le 15 octobre. La Cour supérieure du Québec, qui supervise le dossier, devra donner son aval dans le cadre d’une audience prévue vers la mi-septembre, où un regroupement de petits actionnaires déçus de la tournure des évènements promet de se faire entendre.

« On va y aller étape par étape, a expliqué M. Fitzgibbon au cours d’un entretien téléphonique. Nous voulons compléter les études qui n’ont pas été finalisées et pour déterminer à quel rythme nous allons construire la mine et l’usine. Le reste (du financement) devrait être plus facile à trouver plus tard. »

Une débâcle

Nemaska Lithium souhaitait transformer, dans une usine électrochimique à Shawinigan, du minerai de spodumène extrait de la mine Whabouchi en sels de lithium à valeur ajoutée. Ces derniers devaient ensuite être vendus à des fabricants de matériaux de cathodes destinés aux batteries rechargeables au lithium-ion.

Initialement estimée à 875 millions, la facture du projet avait bondi à plus de 1,2 milliard en raison des dépassements de coûts, révélés l’an dernier. Au moment de se tourner vers la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), le 23 décembre, la société était à la recherche de 1,1 milliard pour compléter le montage financier de son projet.

À ce moment, IQ était le plus important actionnaire, avec une participation d’environ 13 % acquise en échange d’un investissement de 80 millions. Conscient du risque de réinjecter de l’argent, M. Fitzgibbon a dit souhaiter la réalisation de la mine et de l’usine de transformation, soulignant que cela s’inscrivait dans la stratégie de son gouvernement visant à développer une filière du lithium — un projet qui pourrait nécessiter jusqu’à 7 milliards.

« La clé, c’est de conserver au Québec le plus de transformation possible, a dit le ministre. Dans ce contexte, on ne peut pas avoir une compagnie (cotée en Bourse). La nouvelle mouture nous permettra d’être plus patients. »

L’an dernier, Pallinhurst avait négocié un investissement potentiel pouvant atteindre jusqu’à 600 millions dans la compagnie, mais cela ne s’était pas concrétisé. M. Fitzgibbon a indiqué que la présence de la société à la Bourse de Toronto était problématique.

Cette structure n’intéressait pas les investisseurs qui ont étudié le dossier lorsque l’entreprise était à l’abri de ses créanciers, a ajouté le ministre.

« Si le gouvernement s’était montré intéressé à conserver cette structure (la présence en Bourse), le milliard de dollars qu’il faudra mettre, on aurait dû l’assumer tout seul. Je trouve cela inacceptable. »

La reprise de l’entreprise par l’État québécois et deux autres partenaires signifie que les petits actionnaires de l’entreprise, parmi lesquels figurent des milliers de Québécois, vont complètement perdre leur mise, étant donné que la compagnie ne sera plus cotée en Bourse. Son titre avait été radié du parquet torontois en février dernier.

Le Regroupement des actionnaires de Nemaska, qui affirme représenter 1700 personnes, a estimé qu’il s’agissait d’un dénouement « plus que décevant », selon son président du conseil d’administration, Alain Clavet, qui a écorché au passage le ministre Fitzgibbon.

« Le ministre a eu des propos négatifs à l’endroit de Nemaska tout au long du processus, a-t-il déploré au cours d’une entrevue téléphonique. Il est évident que M. Fitzgibbon favorisait une offre. Le hasard fait qu’au terme de tout cela, c’est finalement IQ qui devient à moitié propriétaire de la compagnie. »

Le regroupement n’a pas fermé la porte à d’éventuels recours après du tribunal, mais M. Clavet a précisé qu’il était encore prématuré d’emprunter cette voie.

Structure

Au moins huit soumissionnaires s’étaient qualifiés et avaient le droit de soumettre une offre. Nemaska Lithium n’a pas voulu préciser le nombre de propositions reçues.

L’offre prévoit le transfert d’actifs et de certains passifs — d’au moins 146,5 millions — dans une nouvelle structure. Nemaska Lithium devra également négocier une proposition avec ses créanciers. Généralement, ces derniers devraient obtenir moins que ce qui leur est dû. Les quelque 35 employés devraient conserver leur emploi.

Puisque les activités de l’entreprise sont au neutre, il n’y a pas de président à l’heure actuelle. C’est Jacques Mallette qui dirige le conseil d’administration. M. Fitzgibbon a indiqué que le président devrait être recruté au Québec.