(Montréal) Les principaux représentants des milieux d’affaires sonnent l’alarme quant au risque d’incidence grave sur l’économie de la grève des débardeurs et demandent l’intervention « immédiate » d’Ottawa.

Pour la deuxième fois depuis le début du mois, ils unissent leur voix et leur influence médiatique pour réclamer l’« intervention immédiate » du gouvernement du Canada, en particulier la ministre du Travail, Filomena Tassi, afin de faciliter la reprise des activités au port de Montréal.

En conférence de presse, le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, a précisé qu’une demande avait déjà été faite auprès d’Ottawa pour la nomination d’un médiateur spécial en relation directe avec la ministre.

« La demande a été entendue », a-t-il ajouté à propos de la réaction du gouvernement de Justin Trudeau. Selon lui, c’est par « incrédulité » devant la détérioration du conflit de travail que les politiciens n’ont pas agi plus tôt.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

Selon l’attaché de presse de la ministre Tassi, celle-ci doit réagir à la sortie publique du patronat par la publication d’une déclaration.

Les regroupements d’entreprises disent laisser au gouvernement le soin de trouver une issue à la grève illimitée déclenchée lundi par les débardeurs du port de Montréal. Mais ils vont jusqu’à évoquer l’adoption d’une loi spéciale si nécessaire.

« Cette grève a un effet économique important, pas juste dans la région de Montréal et au Québec, mais aussi dans tout le Canada, alors que nous sommes encore en crise économique de pandémie. C’est pourquoi ça doit être une priorité pour le gouvernement fédéral, d’autant qu’il a les moyens d’agir comme facilitateur dans ce conflit de travail en proposant une trêve et en nommant un médiateur spécial pour la reprise du processus de négociations », a indiqué Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), lors d’un entretien avec La Presse.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec

Mme Proulx a tenu ces propos en marge d’une conférence de presse commune tenue lundi, à Montréal, avec ses homologues des principaux regroupements de gens d’affaires de la région de Montréal et de tout le Québec.

Parmi eux, Charles Milliard, PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec, a signalé que « les impacts du conflit de travail au port de Montréal sur l’économie du Québec [étaient] déjà importants. Alors que la reprise économique est encore fragile, une grève illimitée aura des conséquences désastreuses pour des milliers d’entreprises de partout au Québec ».

Cette conférence de presse avait été précédée, durant le week-end, d’une alerte économique et d’une demande d’intervention fédérale émises de concert par la Chambre de commerce du Canada et des regroupements nationaux d’entreprises très actives en commerce outre-mer. Parmi eux, on notait l’Association canadienne des constructeurs de véhicules, l’Association des produits forestiers du Canada ainsi que Manufacturiers et Exportateurs du Canada, qui regroupent des centaines d’entreprises et d’employeurs dans l’ensemble du pays.

Mais en attendant une réponse ou une intervention plus ferme du fédéral pour provoquer la reprise des activités au port de Montréal, les signalements de dommages économiques continuent de se manifester.

Chez Manufacturiers et Exportateurs du Québec, par exemple, la PDG, Véronique Proulx, fait état à La Presse d’un « manufacturier de produits métalliques de la région de Montréal qui pourrait devoir interrompre des lignes de production et effectuer des mises à pied » si la grève de débardeurs du port de Montréal devait se prolonger au-delà d’une semaine.

Dans d’autres secteurs d’activité, la PDG de MEQ dit avoir été avertie qu’une « entreprise de pâtes et papiers » était déjà très touchée dans ses livraisons vers ses importants marchés d’outre-mer et qu’un « important fournisseur de matériel électrique en construction » avait plusieurs conteneurs de marchandises en provenance d’Inde qui étaient « bloqués en transit » par la grève des débardeurs du port de Montréal.

Comme « un coup de couteau dans le dos »

Chez la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), qui regroupe des milliers de PME, François Vincent, vice-président pour le Québec, indique en entrevue avec La Presse que « cette grève au port de Montréal ne pourrait pas arriver à un pire moment pour les PME, qui peinent à se relever de la crise de la COVID-19, en particulier celles des secteurs de la fabrication, de l’agriculture, du commerce de gros ou encore du commerce de détail ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

François Vincent, vice-président pour le Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante

D’ailleurs, la FCEI signale à La Presse qu’elle reçoit un nombre croissant de signalements de contrecoups sur les affaires de ses membres les plus dépendants de l’accès à des fournisseurs et à des clients d’outre-mer, par l’entremise du port de Montréal.

Chez Elan Sports, importateur et distributeur d’équipements de sport établi en banlieue ouest de Montréal, le président, Primoz Plestenjak, a affirmé à La Presse que « cette grève au port de Montréal est l’équivalent d’un coup de couteau dans le dos » pour son entreprise.

« Cette grève survient au pire moment pour ma chaîne d’approvisionnement, qui s’étend de l’Europe vers mon réseau de 300 clients-détaillants dans l’ensemble du Canada, alors qu’on tentait encore de rattraper des retards de livraison provoqués par le shutdown de la COVID-19 en début d’été, et qu’on se prépare à effectuer les premières livraisons pour la prochaine saison d’hiver », a-t-il dit lors d’un entretien téléphonique.

Bon an, mal an, Elan Sports importe et distribue quelque 3000 petites embarcations individuelles de sports nautiques (kayaks, planches à pagaie, etc.) et quelque 25 000 paires de skis provenant de fabricants établis en France, en République tchèque et en Slovaquie.

Elan Sports emploie une vingtaine de personnes dans ses bureaux et son centre de distribution de la banlieue ouest de Montréal ainsi que dans son groupe de représentants auprès de ses clients-détaillants.

« Depuis trois semaines, à travers les courtes grèves des débardeurs, nous avons pu sortir seulement 3 des 11 conteneurs que nous avons au port de Montréal », déplore le président d’Elan Sports.

– Avec La Presse canadienne

Le nerf de la guerre

Le renouvellement de la convention collective, échue depuis décembre 2018, est la source du bras de fer entre l’Association des employeurs maritimes (AEM) et le Syndicat des débardeurs. Les pourparlers achoppent principalement sur la question des horaires de travail. Le syndicat soutient avoir déposé des offres pour revoir de façon fondamentale les horaires de travail, mais déplore qu’il n’y ait « pas de mouvement du côté de la partie patronale ». Depuis de nombreuses années, l’horaire des débardeurs prévoit qu’ils soient disponibles 19 jours sur 21, en échange d’être payés pour les jours non travaillés. Or, selon le syndicat, les débardeurs sont dorénavant « sollicités pour travailler 19 jours sur 21, avant d’avoir un congé de deux jours », en raison de la croissance importante des activités au port de Montréal. L’employeur refuse de commenter les négociations, mais reconnaît qu’une refonte s’impose. Les efforts doivent toutefois se faire des deux côtés, avait avancé le président de l’AEM, Martin Tessier, plus tôt ce mois-ci. Les négociations avaient repris en juin, après une décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles, qui concluait que les débardeurs n’étaient pas un service essentiel, leur accordant par le fait même le droit de faire la grève. Depuis, les débardeurs avaient entrepris une grève intermittente, travaillant à fort prix uniquement sur les quarts de soir et de nuit. Jeudi dernier, l’AEM a modifié les conditions salariales des débardeurs, ce à quoi le syndicat a répondu par le déclenchement d’une grève générale illimitée, lundi. En 2015, les débardeurs du Québec gagnaient en moyenne 110 000 $ avant les prestations, selon les chiffres du ministère du Travail. Les avantages sociaux des débardeurs montréalais s’élèvent à 22 000 $ annuellement, y compris un régime de retraite à prestations déterminées payé par l’employeur.

– Audrey Ruel-Manseau, La Presse, et La Presse canadienne

Le conflit risque de faire de nombreuses victimes

L’industrie du camionnage est la première victime de la paralysie totale des activités au port de Montréal, mais ce n’est pas la seule. Le nombre d’entreprises qui en souffriront se multipliera à mesure que les conteneurs remplis de médicaments, de chaussures, de vins et de biens essentiels pour la saison d’hiver s’empileront sur les quais.

Lundi en fin de journée, le Port de Montréal estimait à 40 000 le nombre de conteneurs EVP (équivalent vingt pieds) bloqués sur les quais ou détournés en raison du conflit. Huit navires ont choisi de faire route vers les ports d’Halifax, de Saint John, au Nouveau-Brunswick, et de New York, a fait savoir la porte-parole du Port de Montréal, Mélanie Nadeau.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Lundi en fin de journée, le Port de Montréal estimait à 40 000 le nombre de conteneurs EVP (équivalent vingt pieds) bloqués sur les quais ou détournés en raison du conflit.

Pour les nombreuses entreprises de camionnage qui font leur pain et leur beurre avec le transport de conteneurs, c’est une catastrophe, estime le président-directeur général de l’Association des camionneurs du Québec, Marc Cadieux. « On a déjà eu une grève ferroviaire et une pandémie qui ont fait mal à notre industrie, alors il y a de la détresse et du découragement chez nos membres », commente-t-il.

Des entreprises de camionnage ont jusqu’à 70 % de leurs activités qui dépendent du port, a-t-il précisé. « Elles n’auront pas d’autre choix que de licencier leurs employés, il n’y a plus de travail. »

Les entreprises ne peuvent pas changer facilement leurs routes pour aller chercher la marchandise ailleurs, dans un autre port, par exemple. « Certaines le feront peut-être, mais ça ne se fait pas en claquant des doigts, explique Marc Cadieux. On ne peut pas aller dans n’importe quel port comme ça, ça prend des autorisations. »

Pour Conteneurs Nova, une entreprise de Montréal spécialisée dans la logistique d’importation et d’exportation, il n’y a pas de plan B possible. « On ne peut pas se débrouiller autrement, on ne peut pas travailler », résume sa présidente, Diane Sirois.

Les médicaments sont bloqués

Toutes les marchandises sont bloquées, y compris des biens essentiels comme des médicaments et des produits pharmaceutiques, déplore Mme Sirois. Des chaînes de production devront s’arrêter, si certains intrants ne leur sont pas livrés dans les prochains jours.

Tout le monde a le droit d’être payé, mais pas de paralyser le pays. C’est inacceptable.

Diane Sirois, présidente de Conteneurs Nova

La Société des alcools du Québec est le plus important client du Port de Montréal. Certains de ses produits sont bloqués dans des vraquiers et des conteneurs qui attendent d’être déchargés. La société d’État avait toutefois devancé des commandes pour garnir ses réserves en prévision du conflit. Elle prévoit ne manquer de rien, à moins que le conflit dure « des semaines », a indiqué son porte-parole, Yann Langlais Plante.

Résolu inquiet pour ses expéditions de papier

Toutes les activités du port de Montréal sont paralysées, à l’exception du transport et de la manutention des grains et du transport de conteneurs à destination de Terre-Neuve, qui sont considérés comme des activités essentielles. Les terminaux pétroliers fonctionnent normalement, parce qu’ils sont opérés par les employés des entreprises pétrolières.

En plus des entreprises qui attendent de la marchandise, celles qui en exportent sont aussi très inquiètes. C’est le cas de Produits forestiers Résolu, dont la production est bloquée au port de Montréal.

On est préoccupés parce qu’on a des exportations outre-mer qui ne peuvent pas partir.

Louis Bouchard, directeur principal des affaires publiques et des relations gouvernementales de Produits forestiers Résolu

« Il ne faudrait pas que ça s’éternise », souhaite M. Bouchard. Si le conflit devait perdurer, Résolu pourrait tenter de trouver des solutions de remplacement, même si c’est « un mal de tête logistique », a-t-il indiqué.

Pour plusieurs entreprises, le plan B pourrait être le train, mais la demande risque fort de dépasser la capacité des services ferroviaires. Le CN dit qu’il s’ajuste à la situation.

« Nous ajustons nos façons de faire afin de continuer d’offrir un service à nos clients », a fait savoir un porte-parole dans un message écrit. « Le CN met à profit son réseau en utilisant les terminaux portuaires d’Halifax et d’ailleurs sur la côte est pour continuer à importer et exporter des marchandises. »