Martin Richard, propriétaire de la boutique lavalloise d’articles de sport Peak Performance, croyait que l’explosion de la vente en ligne sauverait son commerce. Depuis un mois et demi, il a plutôt perdu autour de 5000 $ de marchandises envoyées par Postes Canada que ses clients n’ont jamais reçues et qu’il a dû leur rembourser.

« Moi, je pense qu’ils ont été volés, dit-il. Tout le monde essaie de survivre avec le commerce en ligne, mais en fin de compte, ce n’est pas Postes Canada ni les entreprises de carte de crédit qui subissent les conséquences. C’est le petit commerçant. »

Katee Boucher, qui a mis sur pied le site de vente de sacs à main Kassiopeia par la Bohème, envoyait une centaine de colis par jour avant la crise de la COVID-19. Elle est maintenant rendue à 300, une bonne nouvelle. Le hic : un de ses employés gère à temps plein les plaintes de clients qui doivent attendre jusqu’à six semaines pour recevoir leur sac à main.

« Parfois, c’est censé être livré, mais personne ne le trouve, raconte-t-elle. Début avril, nous avons eu une quarantaine de colis coincés on ne sait où, que nous avons dû renvoyer aux clients à nos frais. » Pour la petite entreprise basée en Beauce, les secteurs de Montréal, de Saint-Joseph-du-Lac et de Sainte-Adèle sont particulièrement problématiques. « On peut ouvrir des “billets” avec Postes Canada, mais on n’a jamais de nouvelles. »

Retards en hausse

Caroline Lessard, propriétaire du site Bijoux L’escargot, déplore que « les livraisons entrent au compte-gouttes », de la part tant de ses fournisseurs que des envois à ses clients. Ses ventes, estime-t-elle, ont été multipliées par quatre depuis la mi-mars. « J’ai des clients qui attendent depuis plus de deux mois, j’ai dû en rembourser 10 en une seule journée. Ça nous donne une mauvaise réputation, même si on n’y peut rien. Le gouvernement pousse pour que les gens commandent en ligne, mais le système n’est pas capable de fournir. »

Ces trois commerçants, comme bien d’autres, subissent de plein fouet les nouvelles réalités de la livraison. Les retards sont tellement omniprésents que plus aucune entreprise de livraison n’offre de garantie quant aux délais.

Chez Buster Fetcher, une entreprise qui analyse les délais de livraison d’environ un millier de ses clients canadiens, on estime que 39,9 % des colis ont été livrés en retard par Postes Canada entre le 3 et le 10 mai. C’est cinq fois plus que le taux relevé au début de la crise, le 15 mars. Un des clients de l’entreprise a même enregistré un record dont il se passerait bien, alors que 84 % de ses colis sont arrivés en retard début mai.

Pour considérer un envoi comme étant en retard, on utilise les normes affichées par Postes Canada sur son site internet, qui sont par exemple de deux jours ouvrables pour les livraisons ordinaires locales. Ces normes datent d’avant la pandémie et leur non-respect ne donne plus droit à un remboursement.

Plus gros colis

« Nous constatons des retards partout au pays », a reconnu par courriel Valérie Chartrand, porte-parole de Postes Canada. Elle s’est dite incapable de préciser le retard moyen de livraison au pays, « car cela dépend toujours de l’endroit où le colis est commandé et du service proposé par l’entreprise ».

Le 26 mai, Postes Canada avait réitéré par communiqué qu’elle devait gérer des « volumes sans précédent ». Le 19 mai, précise-t-on, on a livré un nombre record de 2,1 millions de colis.

On note également que les colis sont plus gros que jamais, avec l’envoi d’articles comme les « mini-frigos, du mobilier de jardin, des barbecues, des chaises et d’autres gros articles ». « Le traitement de volumes records de colis dans des établissements qui n’ont jamais été conçus pour que des employés travaillent à deux mètres les uns des autres demande plus de temps », précise-t-on.

Commerçants coincés

Le phénomène ne touche évidemment pas que Postes Canada. Pour Caroline Lessard, par exemple, les retards pour recevoir la marchandise des fournisseurs américains de Bijoux L’escargot sont surtout attribuables à UPS, DHL et Fedex. « Fedex a même refusé de me livrer une commande ! C’est beaucoup de taponnage… »

Jeremiah Curvers, cofondateur et PDG de Polysleep, un détaillant montréalais de matelas qu’il fait fabriquer sur mesure, a quant à lui été avisé par UPS en début de semaine qu’il devra trouver un autre transporteur.

« Ils nous ont tout simplement annoncé qu’ils ne venaient plus, sans aucune compensation », dit-il. Dans un courriel envoyé aux responsables de Polysleep, que La Presse a pu lire, UPS a expliqué que tous ses centres de distribution au Canada devaient faire face à une demande très élevée de collectes et de livraisons.

Par courriel, UPS a assuré à La Presse que « la vaste majorité de [ses] clients continuent de recevoir leurs livraisons à temps ». « Les conditions changeantes actuelles et l’incertitude causées par le coronavirus ont un impact sur la capacité disponible et la demande du marché, précise l’entreprise. Les changements opérationnels sont destinés à équilibrer notre réseau pour qu’il fournisse le meilleur service possible à tous nos clients. »

M. Curvers s’est tourné rapidement vers d’autres solutions de livraison-entreprises de transport, déménageurs, « on a même des courriers à vélo ! » – qui lui coûtent environ 30 % plus cher.

Pour bien des commerçants, cependant, il est pratiquement impossible de mettre sur pied rapidement un réseau de livraison pour des colis de petite valeur. « Je n’ai pas la solution, je ne suis pas PDG d’une entreprise de livraison, mais je crois qu’ils devraient restructurer leur façon de faire, estime Katee Boucher. En tout cas, si j’avais les moyens, ce serait le moment idéal pour partir une entreprise de transport ! »