Une partie importante de l’expertise québécoise en aéronautique est menacée. Le centre d’ingénierie mis sur pied par Mitsubishi Aircraft Corporation à Boisbriand il y a moins d’un an a procédé vendredi à des mises à pied et son existence même est en péril.

Selon un article paru vendredi dans le quotidien économique japonais Nikkei, Mitsubishi a pris la décision de sabrer encore plus le budget de développement de son avion régional SpaceJet que ce qui avait déjà filtré environ deux semaines plus tôt. Cette décision serait accompagnée de la mise à pied d’environ la moitié de sa main-d’œuvre de quelque 1500 personnes à travers le monde.

Des employés de l’entreprise à Boisbriand ont été remerciés vendredi matin, a pu confirmer La Presse, sans toutefois savoir combien. Le centre comptait une quarantaine d’employés au 1er février dernier, mais poursuivait les embauches et espérait atteindre la centaine à la fin de l’été.

Des informations qui circulaient vendredi au sein de l’industrie, mais qu’il a été impossible de confirmer auprès de Mitsubishi, font état d’une fermeture définitive afin de ne conserver des activités que sur le sol japonais. Le Seattle Times a lui aussi rapporté, vendredi soir, la suppression de « centaines » d’emplois par Mitsubishi dans la région de Seattle et la fermeture des installations.

Pour des raisons budgétaires, Mitsubishi Aircraft va consolider ses activités à son siège social de Nagoya, au Japon, et fermer ses installations outre-mer.

Extrait de la réponse d’une porte-parole de Mitsubishi au Seattle Times

« Un sauveur »

L’annonce de l’ouverture de ce centre, en septembre dernier, avait attiré le premier ministre, François Legault, et réjoui l’ensemble de l’industrie aéronautique québécoise. La présidente-directrice générale d’Aéro Montréal, Suzanne Benoît, avait même qualifié le nouveau venu de « sauveur ».

En échange d’un prêt sans intérêt de 12 millions de dollars, qu’elle n’avait possiblement pas à rembourser elle-même, Mitsubishi promettait de créer rapidement une centaine d’emplois et jusqu’à 250 en cinq ans. Il s’agissait principalement d’emplois d’ingénieurs, rémunérés à un salaire moyen de 132 000 $ par année, selon les calculs de Québec.

Surtout, cette arrivée devait permettre de conserver sur le sol québécois une expertise de haut niveau et très rare rendue disponible après la fin des programmes de développement de la C Series et du Global 7500, chez Bombardier. Cette expertise devait dorénavant servir à achever le développement du nouvel avion régional de Mitsubishi, le SpaceJet.

« Mitsubishi n’est pas encore un joueur établi dans la conception d’avions, reconnaissait le vice-président du centre montréalais SpaceJet, Jean-David Scott, plus tôt cette année. Les gens que nous avons recrutés le sont. »

« On avait peur de perdre ces ingénieurs, qu’ils aillent dans d’autres secteurs industriels, avait pour sa part expliqué Mme Benoît en septembre. On aurait perdu notre masse critique en ingénierie, et ça, ça nous aurait fait mal. Pour nous, c’est une nouvelle extraordinaire. Mitsubishi arrive ici en sauveur, d’une certaine façon. »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

En septembre dernier, le premier ministre du Québec, François Legault, rencontrait le président de Mitsubishi Aircraft en Amérique du Nord, Hank Iwasa.

Coupes importantes

La crise de la COVID-19 a toutefois forcé Mitsubishi à revoir ses plans. Il y a deux semaines, la société mère a annoncé son intention de réduire de moitié le budget de développement du premier modèle de SpaceJet, le M90, et de suspendre celui du deuxième, le M100.

Lundi dernier, une porte-parole de l’entreprise a indiqué à La Presse que, depuis cette annonce, « les équipes de direction et de programmes de Mitsubishi Aircraft ont été occupées à déterminer les effets sur les opérations de l’entreprise et à évaluer leurs options dans le but de poursuivre les progrès réalisés au cours des dernières années ».

Le M90 est actuellement en phase de certification, mais le processus éprouvait des problèmes. Son entrée en service devait initialement avoir lieu en 2013. De multiples retards l’avaient menée au milieu de 2021, une date qui semblait encore improbable compte tenu des difficultés vécues dans son processus de certification.

Le M100, lui, devait être destiné spécifiquement au marché américain et être livré en 2023.

Les deux appareils devaient constituer les successeurs logiques du CRJ de Bombardier, en fin de vie. Mitsubishi a d’ailleurs acquis le programme CRJ au coût de 550 millions de dollars américains. La transaction entrera en vigueur dans quelques jours, le 1er juin. Au moment de l’annonce de cette transaction, l’été dernier, l’industrie se réjouissait que la disparition imminente du CRJ ait à tout le moins permis d’attirer Mitsubishi.

Selon la presse japonaise, la pandémie aurait à la fois entraîné une chute de la demande pour le SpaceJet et forcé le conglomérat japonais à resserrer ses dépenses.

Prêt sans intérêt

Les mises à pied ou la fermeture du bureau de Boisbriand devraient forcer Mitsubishi à rembourser le prêt de 12 millions de dollars qu’elle avait obtenu de Québec. Ce prêt employait une formule nouvelle, dont M. Legault s’était montré particulièrement fier au moment de son annonce.

Ce n’est pas Mitsubishi elle-même qui devait rembourser ce prêt, mais les entrées de fonds additionnelles pour Revenu Québec provenant des impôts payés par ses salariés. L’extinction du prêt après cinq ans était toutefois conditionnelle à l’atteinte de certains seuils d’emplois.

Mathieu St-Amand, le porte-parole du ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a affirmé hier ne pas être au courant des développements chez Mitsubishi.