Reitmans se place à l’abri de ses créanciers

Avec ses 6800 employés, ses 576 magasins et ses 5 enseignes, Reitmans est l’un des plus importants détaillants de vêtements du pays. Et malgré sa très longue histoire et le fait qu’elle n’a aucune dette à long terme, la COVID-19 le force tout de même à se placer à l’abri de ses créanciers.

En près de 100 ans d’existence, c’est « assurément la décision la plus difficile » que l’entreprise ait eu à prendre, a déclaré le président et chef de la direction Stephen Reitman, qui est aussi le petit-fils des fondateurs.

« Mais c’est la bonne chose à faire pour perpétuer notre héritage dans l’industrie canadienne de la mode, a-t-il insisté au cours d’un entretien téléphonique. C’est la seule option pour repositionner notre entreprise pour le futur. » Le dirigeant affirme que les chances de succès de la restructuration sont de « 100 % ».

Mardi, la Cour supérieure du Québec a permis à Reitmans de recourir à la Loi sur les arrangements des créanciers des compagnies (LACC). Le 1er mai, Reitmans avait annoncé publiquement être à la recherche de financement.

La LACC « était notre dernier choix », a indiqué le vice-président aux finances, Richard Wait, affirmant que « la COVID-19 avait tout fait dérailler ».

Le titre de l’entreprise, cotée à la Bourse de Toronto, est désormais suspendu pour une durée indéterminée. À la clôture vendredi, il valait 0,27 $, après avoir perdu 91 % de sa valeur depuis un an.

Pour le moment, la haute direction affirme ne pas savoir combien de magasins seront fermés, si des enseignes risquent de disparaître et quelle proportion des employés (au siège social et en magasin) sera licenciée. Toutes ces questions sont à l’étude, nous a affirmé M. Reitman, qui a pris le relais de son frère Jeremy après la mort de ce dernier en décembre.

Dans la dernière décennie, Reitmans a déjà beaucoup réduit le nombre de ses magasins et laissé tomber deux enseignes. Pendant un certain temps, la marque de vêtements de sport Hyba a aussi eu droit à ses propres magasins. Mais avec la popularité des ventes en ligne, il en exploite encore trop, convient M. Reitman.

Pendant la restructuration, il sera possible d’acheter en ligne et les magasins rouvriront quand cela sera permis par les autorités. Les cartes-cadeaux seront encore acceptées.

Prêteur à la rescousse

Président de Trendex North America, une firme d’experts dans le secteur du vêtement, Randy Harris n’est aucunement surpris par cette nouvelle ; il l’avait prédite la semaine dernière. L’absence de dette à long terme de cette entreprise « prudente et bien gérée » lui aurait joué un tour, analyse-t-il.

« Malheureusement, il semble qu’en raison de son faible niveau d’endettement, Reitmans n’a pas réussi à mettre en place à court terme les moyens d’obtenir un financement extérieur », nous a-t-il écrit.

Comment une entreprise d’une telle envergure et sans dette peut-elle se retrouver prise à la gorge si vite ?

« Nous ne sommes pas structurés pour fonctionner sans magasins. Deux mois sans ventes, c’est très gros, a répondu M. Wait. Nous avions 89 millions de liquidités à la fin de l’année. Mais ça fond rapidement quand on n’a pas de ventes et d’importants frais fixes. »

Des démarches ont été entreprises pour obtenir un financement temporaire (debtor-in-possession financing ou DIP, dans le jargon) et « une entente verbale » a été obtenue avec « une institution canadienne », nous a précisé M. Wait. Cette même institution pourrait offrir au détaillant un financement à long terme.

La faute entière à la pandémie

Même si l’entreprise montréalaise n’avait pas réalisé de profits depuis novembre 2018, et que ses actions étaient à leur plus bas en 40 ans, la pandémie « n’est pas la goutte qui a fait déborder le vase », soutient la présidente de l’enseigne Reitmans, Jackie Tardif.

On a mis en place plusieurs initiatives et stratégies. En début d’année, ça allait super bien. On avait le vent dans les voiles. Et la pandémie a eu un effet dévastateur, comme un tsunami, sur nos revenus et nos flux de trésorerie. Sans la pandémie, on n’aurait pas cette conversation aujourd’hui.

Jackie Tardif

En décembre, feu Jeremy Reitman avait confié à La Presse que ses mauvais résultats étaient attribuables à la performance décevante de ses enseignes de vêtements taille plus (Penningtons et Addition Elle). « Nous avons fait de graves erreurs en voulant faire des changements », avait-il reconnu. La cliente de Penningtons avait ainsi été « abandonnée ».

Reitmans a tenté de « réunir à l’interne les deux marques » taille plus, ce que « la clientèle n’a pas apprécié ». Cela a changé les styles de vêtements, les prix et la présentation en magasin, a précisé mardi Mme Tardif. Les autres enseignes du groupe vont « très bien », assure-t-elle.

« Nous voulons que cette institution survive, c’est certain », a indiqué le premier ministre François Legault dans son point de presse quotidien. Il a précisé avoir eu une rencontre lundi avec le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, pour discuter de vente au détail, entre autres. À son avis, il y a « plusieurs enjeux qui ne sont pas faciles à mettre ensemble ».

Le 7 mai, Aldo s’est placé à l’abri de ses créanciers. L’entreprise montréalaise croule sous des dettes de 287 millions et fermera quelques centaines de magasins. Judith & Charles (10 boutiques) est également en difficulté.