On a beau être un des meilleurs fabricants de complets d’Amérique du Nord, la confection d’une modeste blouse d’hôpital est un sérieux défi. Jeffery Diduch y a mis l’expertise de toute une vie.

Rarement masques et blouses chirurgicales auront été aussi méticuleusement coupés. Fort d’un quart de siècle d’expérience dans la conception de complets pour hommes, Jeffery Diduch y aura mis toutes ses ressources… et quelques nuits blanches.

Vice-président et directeur de la conception technique chez le manufacturier montréalais Samuelsohn Limitée, fondé en 1923, il est « responsable du développement des produits », décrit-il.

L’entreprise, qui comptait 350 employés au moment du confinement, est « considérée comme la meilleure usine de vêtements au pays, du point de vue technique », informe un récent communiqué.

Ah bon ?

La confection d’un complet fabriqué en série exige environ 90 minutes de travail, « alors que chez Samuelsohn, il y a à peu près 6 heures d’ouvrage », explique Jeffery Diduch.

Il a consacré beaucoup plus d’heures à concevoir un modeste masque et une non moins humble blouse de protection – une espèce de petit complet hospitalier.

« Je me suis rapidement aperçu que c’est très technique, confie-t-il. Avec un complet, on n’a pas besoin de faire barrière aux liquides ou de filtrer les micro-organismes. »

PHOTO FOURNIE PAR SAMUELSOHN

Jeffery Diduch, vice-président et directeur de la conception technique chez le manufacturier montréalais Samuelsohn Limitée, en train de fabriquer des prototypes de masques et de blouses d’hôpital dans son sous-sol

Une longue tradition

Né à Ottawa, Jeffery Diduch tâte de la couture depuis l’âge de 7 ans. « Ma mère faisait de la couture, ma grand-mère faisait des chapeaux », raconte-t-il.

Il a commencé sa carrière chez Samuelsohn il y a 25 ans. Depuis quelques années, il partage son temps entre Montréal et la manufacture de Rochester, achetée par Samuelsohn en 2013.

C’est à Rochester, où il possède une maison, qu’il a reçu l’appel d’un hôpital local, au début de mars, lui demandant s’il serait en mesure de fabriquer des masques.

Muni des quelques modèles fournis par l’hôpital, il a lancé ses recherches.

Une très grosse difficulté, c’est qu’il n’y a pas de manuel d’instructions sur l’internet qui nous dit comment faire des masques ou des blouses de protection.

Jeffery Diduch

Et une fois qu’on a déniché les normes pertinentes, il faut encore les décrypter. « Même les hôpitaux ne les connaissent pas vraiment ! »

Dans le sous-sol de sa maison, il a confectionné un prototype après l’autre.

« Il a fallu que je fasse des va-et-vient entre [la boutique de matériel d’art] Michaels et Home Depot pour trouver les petits éléments nécessaires », raconte-t-il.

Dans l’État de New York, la fermeture des entreprises non essentielles a été annoncée le vendredi 20 mars. Le dimanche suivant, l’hôpital approuvait le prototype. La production devait être lancée dès le lendemain.

Ennui : pour fabriquer des masques de protection, il fallait des masques de protection. Le cercle vicieux a été rompu le soir même. « J’ai fait une cinquantaine de masques à la maison pour les employés. »

La production était à peine lancée qu’il a reçu un appel du gouvernement du Québec, « qui avait un besoin de blouses de protection ».

Heureusement, prévoyant la pénurie, il avait déjà commencé à faire des patrons et à concevoir des blouses dans son sous-sol.

Alors qu’un complet comporte quelques 90 pièces, une blouse chirurgicale en compte cinq. « Ce n’est pas très compliqué », constate le patroniste d’expérience.

À une importante nuance près : les coutures doivent être étanches – un problème qu’il n’avait jamais affronté durant sa carrière.

Il a aussi fallu trouver des matériaux qui répondaient aux exigences de protection les plus élevées.

Ça prend un matériau étanche à l’eau, mais qui respire en même temps. Un sac de plastique, ce n’est pas très confortable.

Jeffery Diduch

Il expédie ses premiers échantillons dès la fin de mars pour les faire tester. Il tient ainsi un rythme digne d’une maison de haute couture à l’approche de la semaine de la mode de Paris. « J’ai travaillé jour et nuit, y compris les fins de semaine, pendant trois semaines », assure-t-il.

Mais il y parvient. Le 8 avril, le prototype définitif est approuvé par le laboratoire du Groupe CTT, spécialisé dans les matériaux textiles.

Trois jours plus tard, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) passe une commande initiale de 200 000 blouses chirurgicales.

Ajustements… de production

La partie n’était pas encore gagnée. Pour les mettre en production, il fallait adapter l’usine de l’avenue du Parc.

Pour soutenir les énormes rouleaux portant 1000 mètres de polypropylène – un rouleau de lainage contient 100 mètres –, des supports renforcés ont été installés sur les tables de coupe.

Il a ensuite fallu ajuster la vitesse des couteaux, qui faisaient fondre le matériau.

Le 16 avril, les superviseurs de l’usine ont été rappelés pour préparer les ateliers, tester la machinerie – et fabriquer les blouses de protection de ceux qui fabriqueraient les blouses de protection.

Le 21 avril, un premier groupe d’une vingtaine d’ouvriers, sur les 150 qui seraient rappelés, était au boulot.

« Il est trop difficile de former 150 personnes en même temps pour quelque chose de 100 % nouveau », explique Jeffery Diduch.

Quand les ajustements pour la distanciation physique seront au point, « nous espérons pouvoir produire autour de 10 000 blouses par jour », annonce-t-il.

À pleine capacité, avec ses 350 employés, Samuelsohn confectionnait chaque jour 260 complets.