Les créatifs de Sid Lee ont recouru à des formules-chocs pour travailler ensemble à distance. Le président de l’agence, Bertrand Cesvet, raconte ses propres démêlés avec la technologie.

La création publicitaire chacun chez soi. Le remue-méninges à distance. La réalisation à domicile. Le confinement a posé d’intéressants défis à l’agence Sid Lee.

Son président-directeur général, Bertrand Cesvet, travaille à la maison, lui aussi.

À l’écran, il apparaît souriant, son pull noir se détachant sur un mur blanc lambrissé en arrière-plan. Il a installé son bureau dans sa salle à manger, « la salle à manger où tu ne manges jamais », précise-t-il, rigolard.

L’unité de style a cédé aux circonstances : à côté d’une chaise entièrement blanche d’inspiration Louis XV (à une ou deux générations royales près), il occupe un fauteuil ergonomique noir.

Le groupe Sid Lee compte sept bureaux, répartis au Canada, en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. En période de confinement, « ça a son lot de défis », lance Bertrand Cesvet en un magnifique euphémisme.

Il avait appelé à la dispersion de ses troupes montréalaises quelques jours avant que François Legault en donne le signal. Pour de bonnes raisons : sa succursale parisienne avait déjà été frappée par la coronacatastrophe.

Au début, c’était très asymétrique. Les Français ont vécu la COVID de façon beaucoup plus intense. Après, c’est allé à Seattle, puis au Canada. Il s’agissait d’amener tout le monde en rattrapage et d’accepter la situation.

 Bertrand Cesvet, président-directeur général de Sid Lee

Le siège social de Montréal emploie 450 personnes, la moitié des effectifs du groupe. Tout ce monde travaille maintenant à la maison.

Or, « la créativité, c’est un sport d’équipe », souligne-t-il joliment – un sport de contacts et d’échanges rapides. Le contraire du chacun pour soi.

« Mais je dois avouer que c’est surprenant. On réussit à collaborer, avec des outils qui étaient tous disponibles. On dirait qu’il y a une révolution numérique personnelle. »

La sienne, en bonne partie !

Création à distance

Il a placé son entreprise en confinement le 16 mars. « Quatre jours plus tard, on était déjà en ondes avec un message pour Vidéotron qu’on avait créé à distance, tout le monde chez lui, raconte-t-il. Avec des moyens de production limités. »

Une publicité pour Lowe’s, lancée le 8 avril, a été conçue et réalisée en une semaine. Ses amusantes scènes de rénovation domestique sont de véritables vidéos souvenirs recueillies auprès de la communauté de l’agence.

En France, Sid Lee a créé en quelques jours une campagne pour les montres Longines, dont la vidéo combine des prises de vue aériennes et des extraits d’époque, sous une narration sentie. « On a été capables de produire des choses à une vitesse extraordinaire. C’est une autre chose : la relation au temps n’est pas la même », souligne-t-il, dans une formule taillée sur mesure pour l’horloger. 

Les clients s’adaptent, mais il faut qu’ils soient très réactifs.

Bertrand Cesvet, président-directeur général de Sid Lee

Paradoxalement, le travail à domicile a tissé des liens nouveaux entre les succursales. Le groupe travaille présentement à un important projet international. « Ce sera la première fois qu’on va envisager un pitch où des gens de tous les bureaux de Sid Lee seront impliqués ! »

L’humain

Malgré la crise, le groupe a jusqu’à présent réussi à éviter les mises à pied. « On est capables de protéger notre capacité de créer, dit-il. Pour l’instant. »

Dans les quatre pays où l’agence est active, les mesures de soutien aux entreprises sont toutefois aux antipodes. « On a une contraction des revenus et des profits, mais je dois admettre qu’avec l’appui des gouvernements, particulièrement au Canada et en France, ça facilite les choses. »

La situation aux États-Unis, où le groupe compte des bureaux à Los Angeles, New York et Seattle, est plus délicate. « C’est très difficile d’avoir accès aux programmes d’aide aux entreprises, constate-t-il. On est pas mal laissés à nous-mêmes. »

Les conditions de vie divergent aussi selon les régions. À Paris, le confinement dans des appartements étriqués affecte durement le moral des employés. « Ça impose de communiquer beaucoup, plus que jamais », souligne l’homme d’affaires.

Sa plus grande difficulté est peut-être « le désespoir des gens, la peur ».

Il demeure pensif, quelques secondes… 

C’est assez particulier du point de vue humain. Ton rôle, comme PDG, c’est d’envisager l’avenir. Et là, on est forcés de gérer à la petite semaine, jusqu’au prochain feu.

Bertrand Cesvet, président-directeur général de Sid Lee

Sortie de crise

Mais la crise offre aussi des occasions, notamment celle de faire évoluer l’entreprise à la lumière des nouvelles expériences. « La bonne nouvelle, c’est que les réunions sont beaucoup plus courtes », rigole-t-il.

L’autre, c’est qu’il peut enfin se poser, lui qui vit dans le décalage horaire depuis les 20 ans qu’il dirige l’agence. Au sortir de la crise, « c’est sûr qu’on va moins voyager », assure l’homme d’affaires.

« On se rend compte aussi que chez Sid Lee, on avait un environnement technologique avec beaucoup d’outils : Slack, Zoom, et tout ça », constate-t-il avec des onomatopées qui semblent sorties d’une émission de Batman des années 60.

« Personnellement, je réalise aujourd’hui que je ne contrôlais pas vraiment mon environnement technologique », ajoute-t-il, en reconnaissant que son âge y joue un rôle.

Cette prise de conscience forcée ouvre de nouvelles perspectives.

« Si on pense à l’après-crise, je peux maintenant envisager de trouver des salariés de qualité, par exemple des collaborateurs qui seraient à Québec, Vancouver ou Montpellier. »

« Le gagnant de la crise, c’est mon chien Tapas, conclut-il joyeusement. Tous les jours, il me regarde : t’es encore là ? »

Le concerné n’a pas daigné confirmer.