Tandis que Costco, Walmart et Canadian Tire vendent en toute légalité une foule d’articles de plein air, les chaînes de magasins SAIL et Sportium n’ont pas le droit d’ouvrir leurs portes. « Ils vendent des bicyclettes, des vêtements… Ça nous démolit », se désole Norman Décarie, PDG des deux enseignes québécoises.

La situation est inéquitable et insoutenable, martèle le dirigeant, qui a écrit « quelques lettres » au ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon à ce sujet.

« Moi, j’ai zéro revenu. J’ai juste mon web, c’est 25 % de mes ventes [habituelles] et je ne fais pas de profit. Il ne reste rien. En fait, il reste moins que rien. Alors je pellette par en avant. » L’entreprise qui compte 19 magasins est passée de 1600 à 75 employés.

Comme d’autres, Norman Décarie croit que les commerces demeurés ouverts ne devraient pas avoir le droit de vendre des biens non essentiels.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Norman Décarie, PDG de SAIL et Sportium

Si Costco vendait juste de la bouffe, il survivrait. Mais les 500 détaillants québécois ne peuvent pas ouvrir, ils vont mourir. Et le Québec va être pris avec ça après.

Norman Décarie, PDG de SAIL et Sportium

Certains États américains comme le Vermont et le Michigan empêchent les grandes surfaces comme Walmart, Target et Costco de vendre des jouets, des vêtements et de l’électronique. Par souci de justice et pour réduire le temps de magasinage des clients, seules les ventes en ligne sont permises.

Parfois, ce sont des comtés, comme celui de Summit, au Colorado, qui a forcé Target à bloquer l’accès à son rayon des chaussures, ont rapporté les médias locaux.

Consultez le communiqué de presse du Vermont (en anglais)

Lisez un texte du Business Insider sur la réaction des consommateurs à ces restrictions (en anglais)

Plus près de nous, en Ontario, le gouvernement a réduit, le 3 avril, la liste des entreprises essentielles. Canadian Tire, Home Depot, Best Buy et Staples (Bureau en gros) ont alors été forcés de fermer leurs portes.

Consultez le communiqué de presse de l’Ontario (en anglais)

Au Québec, la liste des commerces pouvant ouvrir leurs portes n’a pas été réduite. Elle a plutôt été étendue pour y inclure notamment les centres de jardin. Et les grandes surfaces peuvent encore vendre de tout.

Jouer à l'écureuil

Pour aider les commerçants, le gouvernent a lancé Le Panier Bleu, un moteur de recherche permettant de trouver les entreprises québécoises. Mais Norman Décarie doute de son efficacité. « C’est patriotique. Ça crée un momentum […] Mais ça ne m’aide pas à vendre des bicycles. Je suis fermé ! »

« En plus, ils veulent commencer par rouvrir les petits magasins. Ce n’est pas ça qui va sauver l’économie du Québec ! »

Le dirigeant comprend que M. Fitzgibbon ne puisse pas « tout voir », tout régler et que la situation est complexe. Mais « il est mal conseillé », croit-il. Car la situation actuelle aura des conséquences graves dans les prochains mois, notamment des faillites.

« Je suis en préservation de mes liquidités. Je suis en réflexion sur ce que je vais faire avec mes fournisseurs, mes bailleurs. C’est dur de gérer sans date de retour. Je joue à l’écureuil. » Une partie de ses commandes de printemps ne sont pas rentrées en raison du blocus ferroviaire et de la fermeture des usines en Chine. Où sont-elles ? Devra-t-il les payer ? Quand rentreront-elles ? Il l’ignore.

Norman Décarie dit « prêcher pour sa paroisse » et le fait aussi pour tous les autres détaillants québécois qui subissent la « concurrence déloyale » des grandes surfaces : boutiques de jouets, de vêtements, de sous-vêtements, d’électronique, de décoration…

« Legault favorise des géants américains »

Le détaillant Déco Surfaces (tapis, céramique, bois franc, stores) subit exactement le même sort que SAIL et Sportium, dénonce son directeur général Jacques Cloutier. « C’est totalement injuste, ça n’a pas de sens et on le dit depuis le début […] Legault favorise des géants pour la plupart américains. »

Les 170 magasins membres de cette coopérative ont uniquement le droit de livrer les commandes passées par le secteur de la construction avant le 23 mars. Mais celles-ci sont si peu nombreuses qu’elles ne génèrent pas de profits.

PHOTO FOURNIE PAR JACQUES CLOUTIER

Jacques Cloutier, DG de Déco Surfaces, une entreprise qui vend du couvre-plancher et qui ne peut ouvrir pendant la pandémie alors que les grandes quincailleries le sont.

D’ordinaire, le printemps est la plus grosse période de l’année, vu le boom dans la construction.

« On a des gens qui viennent cogner à la porte des magasins et on leur dit qu’on n’a pas le droit de leur vendre et ils se dirigent vers les grandes surfaces [comme Home Depot ou Rona]. C’est vraiment frustrant », raconte M. Cloutier.

Résultat, les stocks s’empilent dans l’entrepôt. « Pour ne pas bloquer le port, on a reçu notre marchandise. C’était notre devoir de le faire. Mais là, nos entrepôts sont pleins. On va devoir en louer d’autres », poursuit le dirigeant, qui tente de voir de quelle manière Déco Surfaces pourrait être dédommagée.

Fenêtre pour les produits saisonniers

Tout comme Norman Décarie, Jacques Cloutier prévoit un « impact terrible » dans le secteur de la vente au détail, et se désole que le gouvernement du Québec « ne voie pas l’urgence » d’agir pour sauver les entreprises locales. « Personne ne s’en formalise », renchérit Norman Décarie.

Au Conseil québécois du commerce de détail, le directeur général Stéphane Drouin affirme qu’il est « en représentation tous les jours » avec le cabinet du ministre Fitzgibbon.

« Les beaux jours s’en viennent, c’est pour ça que les détaillants sont nerveux. C’est certain que je me mets à la place des détaillants qui perdent des ventes dans des catégories saisonnières. Je comprends parfaitement leur sentiment d’urgence. Il y a une fenêtre d’opportunité qui va se refermer. »

Chose certaine, SAIL et Sportium sont prêts à rouvrir. Des distributrices de Purell, des parois de plexiglas et des affiches pour faire respecter la distanciation physique ont été acquises. « J’ai juste besoin de trois ou quatre jours », précise Norman Décarie, impatient d’avoir « une date » pour redémarrer la machine.