Acheter local peut-il aller au-delà du vœu pieux ? Car oui, les produits locaux sont souvent (plus) dispendieux. Pourquoi ? Les réponses sont multiples. Cinq marques locales du secteur de la mode ont accepté d’en parler en toute transparence.

Le choix des matières premières

C’est le constat le plus évident : la qualité des matières premières utilisées influe directement sur le prix. « Un “beau” polyester va coûter 5 $ le mètre ; mes matériaux, en moyenne, coûtent 25 $ le mètre », illustre la designer Elisa C-Rossow, qui propose depuis une dizaine d’années avec sa marque homonyme des pièces haut de gamme minimalistes, durables, écoresponsables et confectionnées en très petites quantités dans son atelier, un autre facteur à considérer. Ces matériaux ont un prix, mais il faut tenir compte de leur durée de vie.

« J’utilise ce genre de matériaux luxueux et naturels par souci écologique, et parce qu’ils durent dans le temps. Une pièce en polyester, avec de la chance, elle va durer un ou deux ans. Ma veste à 650 $, oui, le prix peut faire bondir, mais elle va durer une éternité », illustre-t-elle.

PHOTO FOURNIE PAR ELISA C-ROSSOW

La designer Elisa C-Rossow

Les gens sont habitués à une société de consommation extrême et peu coûteuse grâce à la surproduction. Ils ne connaissent plus le vrai prix des choses. C’est un peu comparer du Nutella avec la pâte à tartiner Allo Simone, à 14 $. Si on ne connaissait pas le premier, on aurait sans doute moins le réflexe de trouver le deuxième dispendieux.

Elisa C-Rossow, designer

Une main-d’œuvre payée justement

Avant de fonder sa marque Odeyalo, la designer Marie-Ève Proulx a travaillé 13 ans dans le domaine de la mode auprès de plusieurs grandes entreprises d’ici. Si, au Québec, les couturiers d’expérience — de plus en plus rares à trouver, d’ailleurs — sont payés entre 25 $ et 35 $ de l’heure, ce n’est pas du tout la même logique en Chine. « J’ai beaucoup voyagé en Chine. Le prix est fixé différemment : une couture va coûter 5 ou 20 cents, selon sa complexité. Ici, on paye à l’heure, et ça augmente vraiment le prix. »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

La designer Marie-Ève Proulx, fondatrice d’Odeyalo

Vente en gros, petits profits

Vendre dans des boutiques indépendantes ou dans les grands magasins comme Simons permet aux marques de se faire connaître. Mais tout cela a un prix. On le voit dans les chiffres donnés par les entreprises : la marge de profit chute considérablement lorsque le modèle d’affaires est davantage axé sur la vente en gros. « C’est vrai que ça gruge une partie de nos profits. Mais on est chanceux, souligne Marie-Ève Proulx, de la marque Odeyalo, fondée il y a quatre ans. Nous avons une bonne réponse en ligne, donc on réussit à équilibrer nos profits. » Ainsi, si elle fait jusqu’à 78 % de profit sur ses ventes en ligne sur son chandail Flamant, la vente en gros de ce morceau ne lui rapporte que 28,5 %.

L’avantage de la vente directe

« Avec la vente traditionnelle, on finance en quelque sorte les autres boutiques. Nous, on trouve que c’est ce qui est un peu brisé dans le système », explique Myriam Belzile-Maguire. Elle a adopté cette stratégie de vente directe aux clients, en ligne, dès le lancement de son entreprise en 2016, et depuis deux ans par le biais de sa boutique dans le Mile End.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La designer Myriam Belzile-Maguire, fondatrice de la marque Maguire, et sa sœur Romy

Cela lui permet, argue-t-elle, d’offrir des chaussures de grande qualité à des prix en-deçà du marché. Ainsi, un modèle semblable à son mocassin Valencia, utilisant la même qualité de matières premières et fabriqué dans la même usine en Espagne, qu’elle vend 190 $, se détaille autour de 300 euros ou même 400 euros, a-t-elle pu constater. « Les usines fabriquent différentes marques avec des prix différents, mais c’est le marketing et la vente en gros qui font varier les prix des articles, pas la qualité », affirme-t-elle.

Le contrôle a un prix

Avoir le contrôle sur toute sa chaîne de production, c’est très bien pour assurer une qualité optimale. Mais tout cela a un prix, explique Éric Wazana, cofondateur de Yoga Jeans, qui possède une usine en Beauce (actuellement vouée à la fabrication de vêtements destinés aux hôpitaux) et une autre usine de délavage à Montréal. 

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Éric et Yacov Wazana, copropriétiares de Yoga Jeans

« Lorsqu’on fait affaire avec un contracteur, le prix sera toujours le même pour une pièce. On n’a pas à se soucier des inefficacités, des jours fériés, des bris de matériel… Lorsque je n’avais pas mes usines, on arrivait à faire 45 % de marge bénéficiaire. Aujourd’hui, avec notre modèle d’affaires, c’est en moyenne 23 %. »

Mais oui, avoir ses propres usines permet à Yoga Jeans d’avoir le contrôle de A à Z et aussi de créer des emplois et de la richesse au Canada. Mais pour arriver à survivre, l’entreprise doit absolument miser sur le volume. « Si je vendais 1000 jeans par semaine, je ne serais pas en affaires. C’est un modèle d’affaires fragile, mais on l’a choisi, car on veut bâtir quelque chose ici. »

Les profits

Des marges de profit de 60 %, 70 %, c’est trop ? 

Avant de grimper dans les rideaux, il ne faut pas oublier que cet argent est loin d’aller directement dans les poches des propriétaires d’entreprise. Loin de là. « Des marges de profit entre 55 % et 70 %, c’est très standard pour des entreprises de notre taille », remarque Faye Mamarbachi, de la marque d’accessoires et de vêtements d’extérieur m0851, qui a été fondée il y a 30 ans par son père et compte aujourd’hui 12 boutiques de par le monde.

PHOTO FOURNIE PAR M0851

Faye Mamarbachi a repris les rennes de l’entreprise fondée par son père il y a 30 ans. La fabrication locale fait partie de l’ADN de m0851.

« Cet argent va servir à payer l’équipe, les loyers, les dépenses marketing, toutes les autres dépenses… La production locale, c’est complexe et c’est une science très fragile. Il faut faire attention aux détails », ajoute-t-elle.