(Montréal) Alors qu’il succédera officiellement à Alain Bellemare lundi à la tête de Bombardier, Éric Martel s’installera aux commandes d’une entreprise dont la situation financière à long terme semble « insoutenable » aux yeux de certains analystes.

L’entreprise, qui a temporairement cessé la production dans ses usines canadiennes jusqu’au 26 avril en envoyant 12 400 personnes au chômage tout en mettant sur la glace ses prévisions financières en raison de la pandémie de COVID-19, a récemment été décotée par deux des principales agences de notation.

Elle se retrouve maintenant dans la catégorie des titres hautement spéculatifs. Une révision à la baisse de la cote de crédit se traduit généralement par une augmentation des coûts d’emprunt.

Entre-temps, à la Bourse de Toronto, le titre de Bombardier a abandonné 4,7 %, ou 2 cents, vendredi, pour clôturer à 40,5 cents — soit un creux d’au moins 25 ans.

Aux yeux de Standard & Poor’s et Fitch Ratings, le redressement de Bombardier, qui mise sur un recentrage de ses activités exclusivement dans le secteur des jets d’affaires, semble plus incertain que jamais en raison des turbulences provoquées par le coronavirus — qui risquent de faire fléchir la demande pour ces avions.

« Dans le contexte, la (situation financière) de Bombardier semble insoutenable à long terme », fait valoir Standard & Poor’s, dans son rapport, où elle indique que la multinationale pourrait même devoir restructurer sa dette au cours des 12 prochains mois.

L’agence new-yorkaise a fait passer la note de Bombardier de « B- » à « CCC “ », alors que Fitch a abaissé à « CCC » la cote de la société, par rapport à « CCC” » auparavant.

À brève échéance, toutefois, la société ne devrait pas être confrontée à une crise des liquidités malgré sa lourde dette à long terme d’environ 9,3 milliards US, ont estimé les deux agences. Bombardier pourra réduire son endettement grâce à l’argent qui sera récolté grâce à la vente d’actifs, dont sa participation dans l’A220 et la cession de Bombardier Transport au géant français Alstom.

Plusieurs questions

« Ça ne regarde pas bien, a estimé Richard Aboulafia, analyste de la firme américaine Teal Group, au cours d’un entretien téléphonique. Il y a un étrange enchaînement de circonstances qui pourrait se traduire par un désastre. Il s’agit non seulement d’une baisse de la demande pour une compagnie qui sera moins diversifiée, mais aussi de la dégringolade du prix du brut. »

À son avis, le plongeon du prix du baril de pétrole devrait affecter la demande pour les jets d’affaires à large cabine comme le Global 7500 — sur lequel mise Bombardier — puisque de nombreuses entreprises du secteur énergétique dans le monde n’auront plus les moyens de se payer un avion qui se vend au moins 72,5 millions US.

De plus, contrairement à ses concurrents qui sont derrière les Gulfstream et Falcon, Bombardier ne sera plus présente dans d’autres secteurs permettant de mieux résister aux périodes turbulence si la vente de sa division ferroviaire au géant français Alstom se concrétise.

Seth Seifman, de la banque américaine J. P. Morgan, a indiqué dans un récent rapport que la situation des liquidités figurait parmi ses « principales préoccupations ».

L’analyste s’attend à ce que Bombardier livre 91 appareils en 2020, alors que sa prévision précédente tablait sur 162 unités. En 2021, l’analyste anticipe 129 livraisons, par rapport à 164 auparavant.

M. Aboulafia croit également que si Bombardier devait à nouveau se tourner vers les gouvernements dans l’espoir d’obtenir un coup de pouce, l’entreprise pourrait essuyer un refus, ce qui fait grimper davantage le niveau d’incertitude.

Pour sa part, Jacques Roy, professeur à HEC Montréal notamment spécialisé dans la gestion des transports, croit à une certaine reprise du marché des avions d’affaires après la tempête. Il croit néanmoins que des décisions difficiles attendent Éric Martel, qui a dirigé Hydro-Québec pendant cinq ans avant d’être nommé à la tête de Bombardier.

« Une fois que l’on se sera départi de la division transport, il faudra ramener la structure de l’entreprise à un niveau où l’on ne gère qu’un seul secteur », a-t-il expliqué, au bout du fil, en disant s’attendre entre autres à une nouvelle rationalisation au sein de la compagnie.

Pas d’accord

Dans un courriel, le porte-parole de Bombardier, Olivier Marcil, a signifié son désaccord avec les analyses des deux agences, en rappelant que plusieurs compagnies avaient fait l’objet d’une décote depuis la tempête provoquée par la COVID-19.

Il a indiqué que Standard & Poor’s et Fitch avaient aussi « mis en évidence la solide position de liquidité de Bombardier à court terme » et sa position de chef de file dans le secteur des avions d’affaires.

Une tranche de dette évaluée à 1,48 milliard US arrive à échéance en 2021 et une autre de 1,7 milliard US est prévue pour l’année suivante.

L’entreprise a récemment décidé de reporter son assemblée annuelle des actionnaires qui devait avoir lieu le 7 mai. La nouvelle date n’a pas été déterminée, mais le rendez-vous se tiendra avant le 30 juin.