Parents, amis, collègues… Il les avait convaincus un à un de venir travailler pour lui. Le 13 mars, Martin Blanchard, président des Productions Expert’ease, a dû choisir qui restait et qui serait mis à pied — « un exercice d’une rare cruauté ».

Ses 40 premiers employés, il les avait pratiquement choisis un à un.

Martin Blanchard a fondé les Productions Expert’ease il y a 10 ans. Il travaillait déjà dans le secteur des services audiovisuels pour évènements d’entreprises. « J’ai dit à ma blonde : “Si je partais à mon compte, je pense que plusieurs de mes clients me suivraient et que j’arriverais à vivre.” »

Ce fut le cas.

« J’ai engagé mon frère, puis des amis de l’industrie », raconte-t-il.

En misant sur les individus, en convainquant parent, ami ou ex-collègue de quitter son emploi et de se joindre à lui, il a patiemment constitué ce qu’il appelle son équipe de rêve, qu’il a rémunérée en conséquence.

« Je me suis dit : “Je suis peut-être un peu moins profitable, mais j’ai une bonne équipe, et s’il m’arrivait quoi que ce soit demain matin, ça continuerait.” »

Un récent matin, il lui est arrivé quoi que ce soit.

La crise

Tout allait bien, pourtant. L’entreprise emploie une soixantaine de personnes et fait travailler une centaine de pigistes. L’année dernière, le chiffre d’affaires avait atteint 9 millions, et avec l’arrivée prochaine des mois d’avril, mai et juin – les plus importants –, Martin Blanchard voguait allègrement vers les 12 millions pour l’année en cours.

Jusqu’à ce 12 mars où le gouvernement a interdit les rassemblements de plus de 250 personnes. Même l’expression « du jour au lendemain » ne s’applique pas ici : entre 13 h et 14 h, Expert’ease a vu s’évaporer l’essentiel de ses revenus.

La réunion de la cellule de crise, planifiée depuis quelques jours, a été devancée au lendemain, le 13 mars. Avec ses directeurs, Martin Blanchard a passé en revue les activités restantes, pour décider combien d’employés seraient mis à pied.

Combien, mais surtout lesquels.

Il avait douloureusement conscience que malgré l’assurance-emploi, ses techniciens et employés, qu’il rémunérait à la hauteur de leur confiance, subiraient une baisse de revenus considérable.

« C’est déchirant d’avoir à choisir, un peu comme qui va vivre et qui ne vivra pas », décrit-il, tout en reconnaissant que la métaphore est forte. 

« Je suis obligé de mettre mon beau-frère au chômage en sachant très bien qu’il a une maison, une femme, des enfants, une auto à payer… »

Le lundi 16 mars, les employés ont été réunis à Montréal, ceux du bureau de Québec les rejoignant en vidéoconférence.

« Je ne pouvais pas leur envoyer un courriel, il fallait que je les regarde dans le blanc des yeux, relate l’entrepreneur. J’ai passé ma journée de dimanche à essayer de m’écrire un petit discours. »

Chaque employé a ensuite appris son sort en tête-à-tête.

« J’ai dû travailler fort pour ne pas laisser l’émotion prendre le dessus. Sur notre calendrier à la maison, ma conjointe a écrit : 16 mars = Worst day at work ever !!! »

Sur les quelque 65 employés, une douzaine sont demeurés au travail. Pour quelques jours à peine : le 23 mars, François Legault demandait la fermeture de toutes les entreprises non essentielles.

Assommé

« J’en discutais avec mon épouse, et j’étais un peu assommé et découragé de tout ça », confie Martin Blanchard, sans fausse pudeur.

Jusqu’à présent, il avait toujours réinvesti les profits pour faire croître son entreprise. « Je n’ai rien de côté, ce qui fait que si demain matin, je suis obligé de fermer et de faire faillite, tout y passe : la maison, mon auto. »

Cette perspective lui a fait passer quelques très mauvaises nuits.

« Puis tu finis par relativiser et te dire : si c’est ce qui arrive, on se retroussera les manches, on se trouvera un appartement et on recommencera à zéro. Si j’ai réussi à le faire une fois, pourquoi je n’arriverais pas à le faire une deuxième fois ? »

Un autre choix

L’optimisme a vite repris le dessus. Avec les gestionnaires de son entreprise — au chômage ! —, Martin Blanchard a consacré la dernière semaine à planifier la traversée du désert. Ils ont calculé qu’avec un peu d’aide et un retour graduel des affaires en septembre, l’entreprise parviendrait à surmonter la crise.

« Tout ça me fait réfléchir, dit-il, philosophe. Est-ce que j’ai vraiment le goût de reprendre la course à en faire plus, à gagner plus de parts de marché ? On finit par se dire qu’on serait peut-être mieux de stabiliser, de choisir un peu plus notre clientèle… »

Peut-être. Ou pas.

Il y aura un choix à faire…

Comment votre entreprise fait-elle face à la crise ? Comme patron et gestionnaire, quelles actions entreprenez-vous ? Contactez-nous pour partager votre expérience, vos pairs pourraient en tirer des leçons.