Cette crise a bien des impacts imprévus, certains plus pénibles que d’autres. Mais une des conséquences franchement fort sympathiques est le constat que des travailleurs qu’on a longtemps tenus pour acquis, jamais particulièrement respectés, sont absolument cruciaux.

Et parmi eux, il y a les concierges et tous ceux qui font notre ménage.

Parce qu’un bon coup de torchon bien placé avec le bon produit désinfectant, par les temps qui courent, peut faire la différence entre tomber malade ou non. Et donc, pour certains, entre tomber gravement malade, voire mourir, ou non.

« On est très valorisés, pour une fois », me lance avec enthousiasme Julie Roy, en entrevue vidéo. « C’est un baume incroyable. »

Julie est la présidente de ROY, une des grandes entreprises québécoises de nettoyage industriel. Normalement, elle veille sur la propreté de grandes tours de bureaux du centre-ville, sur des écoles, des universités.

Mais depuis le début de la crise, les clients traditionnels ont diminué leurs demandes — dans plusieurs immeubles, des étages entiers sont maintenant fermés — et de nouveaux sont apparus. Hôpitaux, centres de soins de longue durée…

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Julie Roy, présidente de ROY

Et ses équipes sont au poste, avec leurs gants et bien des produits désinfectants, bien sûr. Pour lutter contre le virus.

« On sait pourquoi on existe, dit Mme Roy. On se sent comme des héros du quotidien. Et on se fait dire “merci d’être là” ».

Pour les équipes, dit-elle, c’est très motivant.

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L’entreprise de Julie Roy s’est transformée de façon importante au cours des dernières semaines pour s’ajuster aux besoins des institutions en temps de crise, mais elle s’était préparée.

Déjà, au début de février, elle avait communiqué avec ses clients pour leur parler du plan de pandémie et avait alors fait des recommandations de mesures à mettre en place.

Avertissement : les désinfectants laissent des traces, puisqu’on ne peut pas sécher les surfaces. 

Les nettoyeurs auront des gants, mais pas de masque. C’est normal.

En parallèle, tout le monde avait reçu des formations spéciales, pour la manipulation adéquate des outils, des produits. On a même dû réapprendre comment enlever ses gants et s’en débarrasser.

Puis les fréquences de certains ménages ont commencé à augmenter, des clients demandant de faire plus.

Et puis, c’est le 9 mars, peu avant le début des fermetures en cascade, que tout a commencé à se précipiter, les clients demandant de la désinfection sur tout ce qui était touché par les mains. Poignées de porte, interrupteurs, etc.

Fondée en 1965 par le grand-père de Julie Roy, reprise par son père puis par celle qui détient maintenant une part majoritaire, la société ROY a toujours travaillé dans le domaine du grand ménage industriel. Mais l’entreprise, qui a un chiffre d’affaires de 80 millions et 2550 employés — elle figure dans les premières au palmarès de la Caisse de dépôt des entreprises dirigées par des femmes —, n’a jamais été aux premiers rangs d’une guerre microbiologique. Et jamais obligée de se réinventer en quelques jours, pour passer d’un service de conciergerie traditionnel à une escouade antivirus.

Mais le virage s’est fait, explique Julie Roy. Et tout change d’heure en heure, de jour en jour, alors la demande pour de nouveaux services axés sur la désinfection d’abord et avant tout est très forte. 

« On est en mode service essentiel et en croissance », dit-elle. 

Pour tout dire, avis à ceux qui ont perdu leur emploi : ROY embauche actuellement. « On va devoir trouver 200 personnes », dit la présidente.

En outre, les équipes sur le terrain s’ajustent. Des gestionnaires d’équipe, par exemple, sont devenus formateurs, pour aider les employés à ajuster le tir. 

Quand on arrive dans un CHSLD en pleine crise de la COVID-19, explique la femme d’affaires, ce n’est pas la même chose que nettoyer une tour de bureaux du centre-ville, par une belle soirée de mars 2019, mettons.

Donc les techniques doivent être adaptées et il y a encore et toujours et plus que jamais les exigences sanitaires à respecter, toujours plus serrées, plus cruciales, alors qu’on voit les bilans de contagion s’alourdir. Ainsi que le nombre de morts. 

Imaginez, je le répète, quand une guenille bien utilisée peut faire toute la différence entre la vie et la mort.

Dans un CHSLD rempli de gens vulnérables, c’est un concept réaliste.

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Qu’est-ce qui permet d’ajuster une entreprise aussi grosse, aussi vite comme ça ?

De bons liens avec d’autres gens d’affaires qui traversent la même crise et une équipe de direction unie, agile.

« Je suis contente de mes réseaux et de mes équipes », dit Julie Roy. Dans le monde des affaires, il y a beaucoup de solidarité actuellement. Des comités de crise ont été mis en place, notamment au Conseil du patronat du Québec et même dans le club très sélect des YPO, l’organisation des « jeunes » présidents, où les dirigeants d’entreprise échangent connaissances et conseils sur la gestion de la situation. On essaie de comprendre comment s’ajuster, comment encaisser, comment décortiquer les programmes gouvernementaux, notamment fédéraux, qui arrivent presque chaque jour.

D’ailleurs, Julie Roy trouve que cette abondance de mesures est une excellente nouvelle pour le Canada et ça la rend plutôt optimiste. 

« Je suis agréablement surprise par tout ce qui a été mis en place », dit-elle, même si certaines mesures fédérales de chèques directs aux travailleurs ont obligé l’entreprise à redoubler d’ardeur pour convaincre les employés de rester au travail.

Et comment voit-elle l’avenir ?

Avec plus que jamais des produits nettoyants verts et fabriqués au Québec, ce que l’entreprise prône depuis plus de 15 ans. 

Avec encore plus de souplesse pour répondre aux besoins distincts et spécifiques des clients — une des leçons de la crise actuelle.

Et avec une fierté renouvelée de savoir, au fond du cœur, que faire le ménage, laver, nettoyer, désinfecter, c’est vraiment très important. Et que les gens qui le font jouent un rôle précieux, nécessaire, incontournable, pour toute la société.