(Paris) Airbus tourne la page, mais au prix fort : l’avionneur européen va verser une amende de 3,6 milliards d’euros (5,3 milliards de dollars canadiens) pour éviter des poursuites devant les justices française, britannique et américaine dans une affaire de corruption.

Les juges des trois pays ont entériné un « accord de principe » conclu cette semaine par Airbus avec le Parquet national financier (PNF) français, le Serious Fraud Office britannique (SFO) et les États-Unis qui enquêtaient conjointement sur des « irrégularités » portant notamment sur les agents commerciaux intervenant dans les contrats de vente d’avions ou de matériels militaires.

Au cours de l’audience de validation de l’accord (appelée « convention judiciaire d’intérêt public » en France), le président du tribunal judiciaire de Paris a annoncé vendredi que l’avionneur verserait 2,1 milliards d’euros (3,1 milliards de dollars canadiens) d’amende à la France.

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Le procureur national financier Jean-François Bonhert, s’adressant aux médias après les audiences de ce matin à Paris. Un tribunal français a approuvé une entente avec Airbus, en vertu de laquelle le géant de l’aéronautique paiera 3,6 milliards d’euros pour clore des années d’enquête pour corruption dans trois pays.

Au Royaume-Uni, Airbus devra verser 991 millions d’euros (1,45 milliard de dollars canadiens), dont 7 millions d’euros de frais de justice, a annoncé le SFO.

Le ministère de la Justice américain (DoJ) recevra pour sa part 526 millions d’euros (771 milliards de dollars canadiens). Dans une affaire connexe sur laquelle Airbus a également transigé, l’avionneur devra verser près de 60 millions d’euros, notamment pour des « fausses déclarations » dans le cadre de contrats d’exportation d’armements contenant des composants américains.

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Un Airbus en attente de livraison à Air China, photographié en novembre 2019 au siège social mondial de l’avionneur à Colomiers, près de Toulouse.

« Il s’agit de la plus importante résolution d’affaire de corruption au niveau mondial à ce jour », a salué dans un communiqué le DoJ.

Pour le SFO britannique, il s’agit d’un montant « record » pour un accord de « suspension des poursuites ». En France également. Cette 6e CJIP conclue par le PNF se solde de loin par l’amende la plus importante infligée dans ce cadre procédural utilisé pour la première fois en 2017.

« C’est une journée historique. C’est une amende qui sort des sentiers battus », s’est réjoui après l’audience le procureur national financier, Jean-François Bonhert.  

« Pots-de-vin »

« Airbus a versé des pots-de-vin par l’intermédiaire d’agents dans le monde entier pour […] remporter des contrats. Une telle corruption sape le libre-échange et un développement équitable, et il est tout à l’honneur d’Airbus d’avoir reconnu sa culpabilité », a salué dans un communiqué Lisa Osojsky, la directrice du SFO.  

La pénalité, qui sur le plan légal ne vaut pas reconnaissance de culpabilité, devrait engloutir une bonne partie des profits d’Airbus, qui avait dégagé un bénéfice net de 3,1 milliards d’euros en 2018 et présentera ses résultats annuels 2019 le 13 février.

« Les accords approuvés aujourd’hui permettent à Airbus d’aller de l’avant et de poursuivre sa croissance de façon durable », s’est félicité le PDG d’Airbus Guillaume Faury, cité dans un communiqué.

L’avionneur, qui a provisionné 3,6 milliards d’euros dans ses comptes 2019, n’entend pas user de son droit de rétractation valable pendant dix jours, selon une source proche du dossier.

L’affaire faisait peser depuis 2016 de lourdes menaces sur l’entreprise aux 134 000 salariés, dont celle d’une interdiction d’accès aux marchés publics. Elle a précipité le changement de l’équipe dirigeante et ébranlé son fonctionnement interne.

Cet accord avec la justice permet au groupe de laisser cette affaire derrière lui, tandis que son concurrent Boeing reste empêtré dans la crise du 737 MAX qui lui a coûté 18,4 milliards de dollars à ce stade.

30 millions de documents

L’affaire Airbus est née de l’autodénonciation d’irrégularités auprès du SFO en 2016 pour des faits s’étendant de 2008 à 2015. Le groupe voulait se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites, notamment américaines, en collaborant avec les autorités judiciaires. Au cours de l’enquête, l’avionneur a remis 30 millions de documents aux enquêteurs. Une coopération saluée par les justices des trois pays.

L’avionneur avait relevé qu’un certain nombre de transactions effectuées par une entité interne, baptisée Strategy and Marketing Organization (SMO), n’étaient pas conformes. La SMO, qui était chargée de gérer les intermédiaires dans les contrats avec certains pays, a depuis été dissoute.

« Airbus s’est engagé dans un vaste programme visant à renforcer par la corruption ses intérêts commerciaux en versant des pots-de-vin en Chine et dans d’autres pays et en dissimulant ces pots-de-vin », a déclaré un responsable du DoJ, Brian Benczkowski.

Parmi les pays concernés figurent, outre la Chine, la Russie, le Népal ou encore la Colombie, a rappelé le juge français. Les enquêteurs britanniques se sont eux penchés sur des cas au Sri Lanka, en Malaisie, en Indonésie, à Taïwan et au Ghana.

Le SFO et le PNF avaient ouvert leur enquête à l’été 2016, suivis l’année suivante par le DoJ.

« Les accords que nous avons conclus aujourd’hui tournent la page sur des pratiques inacceptables du passé », a assuré de son côté le président du conseil d’administration d’Airbus, Denis Ranque, dans un communiqué. « Le renforcement de nos programmes de conformité » permettra « que de telles fautes ne puissent pas se reproduire », a-t-il ajouté.

Pour faciliter les négociations avec les trois pays, le groupe avait décidé fin 2017 de remanier sa direction. Le patron de la branche aviation civile Fabrice Brégier a ainsi quitté ses fonctions en février 2018 et Tom Enders été remplacé en avril 2019 par Guillaume Faury.

L’accord n’empêche cependant pas d’engager des poursuites contre des personnes physiques dans le cadre du même dossier. Le SFO a d’ores et déjà indiqué que « l’enquête restait active » sur ce point.