(Beyrouth) Pour sa première prise de parole depuis sa fuite du Japon fin décembre, l’ancien patron de Renault-Nissan Carlos Ghosn a abordé tous les sujets lors de sa conférence de presse mercredi à Beyrouth, en éludant un seul : les conditions de sa fuite.

Les conditions de sa fuite

La presse du monde entier les a rapportées comme rocambolesques, en jet privé dans une caisse percée entre le Japon et le Liban avec escale en Turquie, mais Carlos Ghosn n’en a divulgué aucun détail pour ne pas causer d’ennuis aux personnes qui l’ont aidé.

PHOTO POLICE D'ISTAMBUL, VIA AFP

M. Ghosn a soigneusement évité de parler des détails de son évasion, qui l'a amené du Japon à Istanbul, en Turquie, puis à Beyrouth, au Liban. Ci-haut, la malle de transport d'équipement musical, que la police d'Istambul dit avoir trouvée à l'aéroport d'Istanbul où M. Ghosn a transité. Il aurait passé les contrôles aéroportuaires japonais dissimulé dans la malle de droite.

Depuis son arrestation médiatisée à l’aéroport de Tokyo, le 19 novembre 2018, « c’est comme si j’étais mort » et, quand depuis son départ du Japon, « c’est comme si je revenais à la vie », a-t-il seulement commenté.

Les raisons de sa fuite

Carlos Ghosn veut avoir les moyens de « laver son honneur » après avoir été victime, dit-il, d’une « collusion » entre Nissan et le parquet japonais. Il a cependant estimé que le premier ministre japonais Shinzo Abe « n’était pas impliqué ».  

Il a ajouté n’avoir « jamais été traité de manière équitable » par la justice nippone, rappelant à plusieurs reprises le taux de 99,4 % de condamnations pratiquée par celle-ci.

M. Ghosn a notamment décrit son arrestation comme un « coup monté », conçu sur la base d’une simple « non-déclaration d’un revenu non décidé et non versé », une situation critiquée par « tous les professeurs de droit, y compris au Japon ».

PHOTO ISSEI KATO, REUTERS

Carlos Ghosn a tenu son successeur chez Nissan, Hiroto Saikawa, responsable des déboires de Nissan depuis trois ans. C'est M. Saikawa qui a dénoncé en conférence de presse à Tokyo les malversations alléguées de M. Ghosn.

Se défendant avec virulence, il s’est dit « prêt à remettre » à la presse l’ensemble des documents qu’il a présentés mercredi.

Selon lui, les Japonais étaient embarrassés face à la dégradation des résultats de Nissan après que Hiroto Saikawa en eut pris les manettes opérationnelles en 2017, sans compter la « grosse amertume » côté japonais face à une alliance jugée déséquilibrée au profit des Français.

Un emprisonnement difficile

Il a dépeint ses « 130 jours en prison, à l’isolement, dans une minuscule cellule sans fenêtre, éclairée en permanence », avec deux douches par semaine seulement.

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

La prison de Tokyo où Carlos Ghosn a passé Noël 2018.

Il y avait droit à trente minutes de promenade quotidienne et subissait des interrogatoires « jour et nuit, durant jusqu’à huit heures, évidemment sans avocat ».

Nissan-Renault, moins bien sans lui

L’ancien patron a qualifié l’alliance actuelle entre les deux constructeurs de « mascarade ». Il a souligné la perte de valorisation des deux entités depuis son arrestation, « plus de 10 milliards de dollars » pour Nissan, « plus de cinq milliards d’euros pour Renault ».

Carole, son épouse

Carlos Ghosn a présenté son épouse Carole comme la raison profonde de sa fuite.

PHOTO MOHAMED AZAKIR, REUTERS

Carole Ghosn, épouse de Carlos Ghosn, était présente duran la conférence de presse de son mari.

« Je voulais voir ma femme, peut-être que pour beaucoup de gens ce n’aurait pas été une punition de ne pas voir leur femme mais pour moi si. Je l’aime, c’est un pilier pour moi. Ils se sont dit “mettons-le à genoux, coupons-le de sa femme”. N’ayant aucune perspective de la voir et d’avoir une vie normale avec elle, je me suis dit, “qu’est ce qu’il me reste ? ” ».

Versailles

L’ancien patron est revenu sur les soirées qu’on lui reproche d’avoir données à Versailles. Concernant celle donnée pour les 15 ans de l’alliance, qui coïncidait avec son propre anniversaire en 2014, il a défendu ce choix arguant que les étrangers « sont ébahis par Versailles ».

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Carlos Ghosn et son épouse Carole à leur arrivée à une fête pour les 50 ans de madame au château de Versailles.

Il a assuré y avoir bel et bien « prononcé un discours d’entreprise » : « Ce n’était pas pour se prendre pour Louis XIV ou Marie-Antoinette ! ».  

D’une autre soirée pour les 50 ans de sa femme, il assure avoir payé tous les frais, à l’exception de la salle, prêtée selon lui par le château alors que le groupe automobile avait sponsorisé pour un million d’euros la réfection du « Salon de la paix ».

Lâché par Paris ?

Comme on lui demandait s’il ne sentait pas « lâché » par les autorités françaises, il a répondu par des questions : « A ma place vous vous seriez senti comment ? Soutenu, défendu, lâché, neutre ? […]. J’espère que ce n’est pas le cas. Je ne souhaite pas être en dessous des autres » citoyens français.

Il « croit » Emmanuel Macron quand celui-ci assure de sa « présomption d’innocence ». Mais selon lui « d’autres responsables » français parlent de « présomption d’innocence avec un clin d’œil “il est coupable” ».

« Pas un dictateur froid et avide »

Carlos Ghosn a cherché à renverser la manière dont l’opinion publique, notamment japonaise, le perçoit, en expliquant qu’il n’était pas un « dictateur, froid et avide » comme il a été présenté notamment au Japon. Il a souligné avoir le soutien « des gens dans la rue » nippone, s’être toujours promené « sans garde du corps ».

Il a remarqué qu’il aurait pu accepter en 2009 de succéder à Steve Rattner à la tête de General Motors, et ainsi « doubler sa paye », mais avoir refusé car « un capitaine ne quitte pas un navire en difficulté ». Ne pas accepter a été « une connerie », estime-t-il aujourd’hui.

L’avenir

Carlos Ghosn a indiqué qu’il n’avait pas l’intention « d’entrer en politique au Liban », secoué par une grave crise politique et sociale. Mais « si on lui demande d’aider le pays », il est « prêt à le faire avec (son) expérience ». Il estime « pouvoir y rester longtemps » sans exclure de voyager notamment dans ses deux autres pays de nationalités, la France et le Brésil « qui n’extradent pas leurs ressortissants ».

Il « se présentera » devant la justice française le cas échéant, n’ayant de toute façon « rien à (se) reprocher ».

Par ailleurs, il a affirmé qu’il allait « défendre ses droits » auprès de Renault et Nissan, notamment en matière de retraite. « J’ai des droits […] qui n’ont pas été respectés et je compte bien les réclamer en justice ».