Réunis en assemblée extraordinaire mardi matin, les actionnaires de Transat ont approuvé dans une proportion de 91,05 % la vente de leur société à Air Canada. Quelques heures plus tôt, le conseil d’administration du voyagiste avait rejeté une offre d’au moins 6 $ par action.

C’est la deuxième fois que les actionnaires rendent le même verdict. La première fois, en août 2019, ils avaient été séduits par une offre à 18 $ par action, ou environ 720 millions. La pandémie a toutefois bouleversé les plans et l’offre d’Air Canada a été révisée à 5 $ par action ou environ 190 millions en octobre dernier.

Les actionnaires de Transat ont toutefois l’option de remplacer les 5 $ par 0,2862 action d’Air Canada. En date de lundi soir, cette option leur permettait de toucher une valeur d’environ 7,54 $ par action et portait la valeur totale de la transaction à un peu plus de 280 millions.

L’action de Transat a fortement réagi au vote des actionnaires. Elle a terminé la journée à 6,22 $, en hausse de 17,5 %.

Une autre offre à 6 $ ou plus rejetée

Peu de temps avant l’ouverture de l’assemblée, en matinée, Transat a annoncé par communiqué qu’elle avait reçu à la fin novembre une autre offre, provenant d’un « investisseur privé ».

En conférence téléphonique avec la presse après la clôture de l’assemblée des actionnaires, le président du comité spécial du conseil d’administration chargé d’étudier les offres, Jean-Yves Leblanc, a confirmé que cette offre respectait le premier critère prévu dans l’entente entre Air Canada et Transat pour être considérée, à savoir un prix minimal de 6 $ par action.

L’identité de cet investisseur n’a pas été dévoilée, les deux parties ayant signé une « convention de confidentialité et de moratoire ». Une représentante de l’homme d’affaires Pierre Karl Péladeau a réitéré mardi qu’il lui était impossible « juridiquement » de commenter la situation, mais qu’il était « au fait que la proposition d’acquisition alternative qui a été déposée [à Transat] est d’au moins 6 $ par action par rapport au 5 $ par action d’Air Canada ».

L’investisseur intéressé a pu avoir accès aux mêmes données financières auxquelles a eu accès Air Canada.

Selon le président et chef de la direction de Transat, Jean-Marc Eustache, l’entreprise « a travaillé avec les représentants de ce proposeur jusqu’à la dernière minute ». Le comité spécial du conseil et le conseil lui-même se sont réunis pendant trois heures chacun, lundi, avant de la rejeter parce qu’il jugeait qu’elle ne constituait pas une « proposition supérieure », tel que défini dans l’entente avec Air Canada.

M. Leblanc a refusé de préciser quels critères ont permis d’en arriver à cette conclusion. M. Eustache a néanmoins laissé entendre qu’il ne s’agissait pas de critères purement financiers quand il a affirmé que l’offre « n’était pas une proposition supérieure que nous pouvions accepter au nom de toutes les parties prenantes de l’organisation ».

Besoin d’un partenaire

Pour M. Eustache, le regroupement avec Air Canada est « la meilleure alliance possible ». Et Transat a besoin d’une alliance. Si celle-ci ne fonctionne pas, il faudra en trouver une autre.

« Ça fait 10 ans que Transat ne fait plus d’argent l’hiver, a-t-il rappelé aux journalistes. Depuis 10 ans, Transat fait de l’argent une année sur deux l’été. Transat était concurrencée à droite et à gauche, comme tout le monde. Et on pouvait imaginer qu’elle avait besoin d’une alliance forte, avec quelqu’un de bien installé. Cette alliance ne pouvait se faire qu’avec quelqu’un dans notre métier, parce que c’est un métier complexe. »

Seule, Transat « avait beaucoup de chances, et c’est malheureux ce que je vais dire, de devenir de plus en plus petite et un peu obsolète ».

« On ne pourra pas rester seul, c’est fini. L’aérien, c’est mondial maintenant. »

Un peu plus tôt, en réponse à une question d’un actionnaire, M. Eustache avait toutefois assuré que l’échec de la transaction avec Air Canada ne signifierait pas la faillite.

« On croit en notre plan stratégique », a-t-il alors affirmé.

Celui-ci ne pourra toutefois être déployé que si l’entreprise obtient un financement important. En publiant ses résultats financiers, vendredi dernier, elle a fixé la somme à obtenir à 500 millions. M. Eustache a été plus précis, mardi. Il faudrait selon lui un minimum de 350 millions et un maximum, « si rien ne vole pendant deux ans », de 600 millions pour franchir les années 2021 et 2022.

En attente de décisions

Il ne manque maintenant plus que les autorisations du gouvernement du Canada et de l’Union européenne pour sceller la transaction. Transat croit que ce sera possible de le faire avant le 15 février. Les autorités européennes ont récemment reporté leur décision au 9 février. Le Canada n’a pas d’échéancier précis.

Selon M. Leblanc, le processus suit son cours et s’est accéléré au cours des dernières semaines ou mois. En conférence de presse, M. Eustache a affirmé qu’Air Canada avait offert à l’Union européenne des concessions sur 27 liaisons, sur lesquelles se créeraient donc des ouvertures pour d’éventuels concurrents.

Dans son rapport publié en mars dernier, le Bureau de la concurrence avait justement repéré 27 liaisons, dont 13 à partir de Montréal, « pour lesquelles la transaction envisagée aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence ».

Les dates entourant la vente de Transat

Les actionnaires de Transat A. T. ont approuvé, mardi, à hauteur de 91,05 %, l’offre d’Air Canada visant à acquérir le voyagiste. C’était la deuxième fois qu’ils devaient se prononcer, puisque le prix de la transaction avait été révisé à la baisse cet automne.

Voici les principales dates entourant cette transaction.

— 30 avril 2019 : Avant la tenue de son assemblée annuelle des actionnaires, l’entreprise annonce discuter avec plusieurs joueurs dans le cadre d’un processus qui pourrait mener à sa vente.

— 16 mai 2019 : Air Canada et Transat A. T. annoncent la signature d’une entente d’exclusivité pouvant mener à une transaction. Air Canada offre 13 $ pour chaque action de Transat A. T., ce qui représente environ 520 millions.

— 4 juin 2019 : Un nouveau joueur s’invite alors que Groupe Mach propose d’offrir 14 $ pour chaque action du voyagiste.

— 14 juin 2019 : Groupe Mach confirme le dépôt d’une proposition formelle au conseil d’administration de Transat A. T., même si le voyagiste doit continuer à négocier exclusivement avec Air Canada.

— 27 juin 2019 : Transat A. T. annonce avoir accepté l’offre d’Air Canada.

— 11 août 2019 : Air Canada bonifie son offre de 200 millions en proposant 18 $ pour chaque action du voyagiste.

— 27 mars : La transaction reçoit un avis défavorable du Bureau de la concurrence du Canada, qui s’inquiète d’une hausse des prix pour les voyageurs et d’une diminution des services.

— 25 mai : La Commission européenne, dont le feu vert est essentiel, exprime également des préoccupations entourant la concurrence à l’égard du regroupement proposé.

— 10 octobre : Transat A. T. et Air Canada annoncent une révision de l’arrangement, en évoquant notamment l’impact de la pandémie de COVID-19. Air Canada versera 5 $ pour chaque action du voyagiste québécois dans le cadre d’une offre évaluée à 190 millions.

— 15 décembre : Les actionnaires de Transat A. T. donnent à nouveau leur aval à la proposition d’Air Canada. Avant l’assemblée extraordinaire, l’entreprise révèle qu’elle avait reçu une autre proposition jugée inférieure, qui n’a pas été présentée aux actionnaires.

— Avec La Presse Canadienne