Ciment McInnis va être rachetée par le sixième producteur mondial de ciment. La transaction prend la forme d’une combinaison d’actif au sein d’une coentreprise qui appartiendra à 83 % à Votorantim Cimentos, de São Paolo au Brésil, et à 17 % à la Caisse de dépôt.

Annoncée en 2014 et inaugurée en 2017, la cimenterie a coûté au moins 1,6 milliard avec ses autres installations. Environ la moitié de la somme a été avancée par l’État et par la Caisse de dépôt. La Caisse cherchait à vendre ses participations dans McInnis depuis 2018. On estime à autour de 450 millions les sommes investies dans la cimenterie au fil des ans tirées du bas de laine des Québécois. Trois ans après son inauguration, l’usine n’est toujours pas parvenue à atteindre sa capacité de production de 2,2 millions de tonnes par année.

La nouvelle entité aura une capacité de production de 7,4 millions de tonnes réparties dans 5 usines, dont l’usine gaspésienne. Elle comptera 22 terminaux de distribution, 2 broyeurs à ciment et un siège social à Toronto. Elle aura un effectif d’environ 700 personnes.

Investissement Québec perd tout

Le grand perdant de la transaction, du moins à court terme, est le contribuable québécois. Le bras investisseur du gouvernement québécois, à la fois prêteur et actionnaire de McInnis, perd tout. Investissement Québec a radié la somme de 472 millions de ses livres, selon Québec.

« J’aurais aimé, c’est sûr, qu’on ait une détention québécoise, a commenté le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon. Mais il faut comprendre qu’il y a eu plus que 1,7 milliard qui a été investi et je pense qu’il en manque encore. À un moment donné, les Québécois en ont fait assez pour McInnis. On va laisser ça à des gens qui sont des experts. C’est un moindre mal de les avoir [Votorantim], en espérant qu’il y ait une pérennité d’emploi à Port-Daniel, dans une région du Québec qui en a besoin. »

La nouvelle coentreprise prévoit une formule de partage des profits pour les partenaires financiers de Ciment McInnis en fonction de leur priorité. Québec va ainsi recevoir « un papier quelconque », qui pourrait peut-être lui permettre de toucher des sommes dans 10 ou 15 ans.

La coentreprise produira 6 % du ciment nord-américain

La Caisse de dépôt s’en sort mieux au premier coup d’œil. Elle a trouvé l’opérateur stratégique qu’elle cherchait depuis 2018. Elle possédait 27 % du capital-actions d’un actif unique qui perdait de l’argent, elle va dorénavant détenir 17 % d’une division nord-américaine qui figurera parmi les 10 principaux producteurs de ciment en Amérique du Nord avec 6 % de la production.

« C’est un actif qui n’allait pas dans la bonne trajectoire et qui avait besoin d’une solution, dit Maxime Chagnon, porte-parole de l’institution. La solution retenue permet de protéger le capital de nos déposants tout en ayant des engagements pour le maintien des activités économiques en Gaspésie. On espère aller chercher un rendement positif au fil des années. »

Mais la Caisse doit-elle radier une partie de son investissement dans McInnis, qui était évalué à de 300 à 500 millions dans son dernier rapport annuel ? « Il est prématuré de parler de pertes, car on demeure actionnaire du projet », ajoute M. Chagnon. La Caisse n’ajoute toutefois pas d’argent frais dans la coentreprise, assure-t-il.

Dans le cadre de l’accord visant la coentreprise, les parties se sont engagées à maintenir les emplois et les installations de l’usine de Port-Daniel–Gascons au minimum jusqu’en 2029. « Je vois la nouvelle comme étant très positive, s’est réjoui le maire de Port-Daniel–Gascons, au bout du fil. Votorantim est quand même le sixième cimentier le plus important au monde et il détient des capitaux très importants », dit Henri Grenier.

À ses yeux, la cimenterie va très bien. Elle procure des emplois payants à 160 familles et fournit au moins 50 % du budget municipal par ses taxes annuelles de 2,1 millions. Il est persuadé que l’usine restera ouverte au-delà de 2029, puisque les réserves de calcaire sont bonnes pour 50 ans au moins.

Je remercie la Caisse, le gouvernement du Québec et Laurent Beaudoin d’être allés de l’avant avec la cimenterie. C’est un très bon investissement dans notre région.

Henri Grenier, maire de Port-Daniel–Gascons

La Presse a tenté de joindre Laurent Beaudoin, mais on nous a dit qu’il ne ferait pas de commentaires.

De son côté, l’acquéreur gagne une usine pratiquement neuve et une diversification géographique. Il est surtout présent dans la région des Grands Lacs, tandis que McInnis couvre le nord-est du continent. Il gagne aussi un partenaire financier de calibre avec la Caisse.

« Fabriquer du ciment est plus difficile qu’il n’y paraît, confie Filiberto Ruiz, PDG de Votorantim Amérique du Nord, dans un entretien avec La Presse. Les gens voient la poudre et pensent que c’est tout simple à produire. C’est pas mal plus difficile que juste de construire l’usine et tourner le bouton à “on”. Nous avons effectué notre vérification préalable et nous avons une bonne idée des changements à mettre en œuvre. »

Avec notre expérience de 100 ans dans l’industrie et notre centre technique au Brésil, nous sommes persuadés que nous parviendrons à amener la production de l’usine de Port-Daniel à sa capacité maximale.

Filiberto Ruiz, PDG de Votorantim Amérique du Nord

Pour la nouvelle entité, Votorantim a élaboré un plan d’affaires de 10 ans. Des réinvestissements sont prévus à l’usine gaspésienne afin de la rendre profitable, a dit M. Ruiz sans donner de détails. La coentreprise s’est engagée à réduire les émissions de gaz à effet de serre de la cimenterie, l’un des gros pollueurs du Québec à ce chapitre. « Nous avons développé un ciment à faible empreinte carbone et nous allons rapidement en produire à Port-Daniel. Nous allons réduire rapidement de 10 % les émissions de GES », a assuré M. Ruiz.

La vision de Votorantim Cimentos est d’atteindre la neutralité carbone dans le domaine du ciment d’ici 2050, dit-elle dans un communiqué.

L’aventure McInnis en dates

31 janvier 2014 : le projet de cimenterie, alors évalué à 1 milliard, est annoncé par la première ministre péquiste Pauline Marois dans le cadre d’une conférence de presse à laquelle prend part l’homme d’affaires Laurent Beaudoin, dont la société d’investissement Beaudier participe au montage financier.

2 juin 2014 : au pouvoir, le gouvernement libéral de Philippe Couillard confirme que la construction du complexe ira de l’avant en donnant le feu vert à un soutien gouvernemental de 450 millions.

11 août 2016 : en raison de dépassements de coûts de l’ordre de 450 millions, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui fait partie des actionnaires, prend le contrôle du projet dans le cadre d’un nouveau financement.

25 septembre 2017 : premier ministre à l’époque, Philippe Couillard procède à l’inauguration de la cimenterie.

21 février 2018 : en marge du dévoilement des résultats annuels de la CDPQ, Christian Dubé, alors responsable des investissements au Québec, confirme que l’institution évalue ce qu’elle compte faire de son investissement dans le complexe.

17 juillet 2019 : la CDPQ demeure aux côtés de Ciment McInnis en participant, à hauteur de 150 millions, à un financement supplémentaire d’un demi-milliard de dollars.

31 août 2020 : alors que la cimenterie fait l’objet de rumeurs de vente, le premier ministre François Legault qualifie le projet de « grave erreur » en fermant la porte à un nouveau soutien financier de l’État.

11 novembre 2020 : dans le cadre de la mise à jour économique automnale, le gouvernement Legault comptabilise une « perte estimée » de 378 millions pour l’investissement de l’État dans Ciment McInnis.

10 décembre 2020 : le contrôle de la cimenterie passe dans le giron du conglomérat brésilien Votorantim Cimentos, dans le cadre d’une transaction annoncée avec la CDPQ.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LAPRESSE

En se lançant dans l’industrie du ciment sans rien y connaître, Québec, la Caisse et la famille Bombardier-Beaudoin ont commis une erreur qu’il ne faudra pas répéter, a estimé jeudi le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon.

Tirer des leçons de ses erreurs

En se lançant dans l’industrie du ciment sans rien y connaître, Québec, la Caisse et la famille Bombardier-Beaudoin ont commis une erreur qu’il ne faudra pas répéter, a estimé jeudi le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon.

« Une des leçons, c’est de toujours avoir des partenaires stratégiques avec nous », a-t-il raisonné, en réponse aux questions sur la vente de la cimenterie McInnis à Votorantim, qui est justement l’un de ces « partenaires stratégiques » déjà actifs et bien au fait des méandres de cette industrie.

« Opérer une cimenterie, je ne connais rien dans les cimenteries, ça a l’air relativement complexe, a poursuivi M. Fitzgibbon. Dans tous les cas, que l’on parle de batteries, de secteurs industriels comme l’aéronautique, je pense que c’est bon d’avoir un partenaire stratégique. Le gouvernement doit être un catalyseur, doit mettre de la charge dans la batterie, favoriser l’innovation, mais je pense qu’on va le faire dans certains cas avec des joueurs qui connaissent l’industrie dans laquelle on investit. »

Ancien haut dirigeant de la Caisse de dépôt, Michel Nadeau dresse le même constat.

« L’erreur qui a été faite, c’est de ne pas avoir de partenaires stratégiques », dit-il du projet lancé par le groupe Beaudier (famille Bombardier-Beaudoin) et la Caisse.

C’était des financiers. Ils auraient dû mieux contrôler les coûts, mais ni l’un ni l’autre n’avait de connaissances dans le marché du ciment.

Michel Nadeau

Sans faire allusion directement à cette absence, le professeur Yan Cimon, du département de management de l’Université Laval, rappelle que le ciment « est une industrie où les opérations sont très importantes, comme le contrôle des dépenses opérationnelles ».

Selon lui, même si elle est nettement plus récente que ses principales concurrentes, et par conséquent fort probablement plus productive, la survie de la cimenterie de Port-Daniel ne pouvait être considérée comme assurée.

« Ce n’est pas le seul facteur à considérer. Il y a l’accès au marché. Joe Biden a quand même montré des signes que le nationalisme américain ne disparaîtrait pas. Aussi, dans le ciment, la géographie d’une usine est quand même très importante, la rentabilité est fonction du transport et de l’accès aux canaux de distribution. »

Un « simple »

Pour M. Nadeau, les pertes financières subies par Québec et la Caisse sont loin d’être idéales, mais pas anormales.

« C’est fait, c’est fait, il ne faut pas pleurer là-dessus, dit-il. Dans un portefeuille diversifié comme celui de la Caisse, on ne peut pas toujours faire des coups de circuit. Là, je dirais que c’est un simple, à cause des emplois en région et parce qu’il fallait aussi éviter la possibilité que le Québec se retrouve dépendant d’usines ontariennes. »

« Peut-être que l’exécution n’a pas été bien réussie, ajoute M. Cimon, mais ils ont quand même fait sortir de terre un actif qui a de la valeur. Ce n’est pas un cas, comme on a déjà vu, où une usine est vendue pour une bouchée de pain. »

— Avec la collaboration de Francis Vailles, La Presse, et La Presse Canadienne