« C’est un calvaire ! » Voilà comment Pierre Dufour, copropriétaire du restaurant Le Méchant Loup, décrit « l’aventure » entourant les démarches entreprises depuis quelques semaines pour obtenir l’aide de Québec, qui s’est engagé à rembourser 80 % des frais fixes jusqu’à hauteur de 15 000 $ pour octobre. Alors que le mois s’achève, M. Dufour n’a toujours rien reçu. Et il n’est pas le seul.

États financiers, dossier de crédit, projections financières pour les six prochains mois et, dans certains cas, caution personnelle sont autant de documents que doivent fournir et de critères que doivent remplir les restaurateurs situés en zone rouge s’ils veulent obtenir le coup de pouce annoncé par le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, au début d’octobre.

Pierre Dufour, dont l’établissement est situé dans l’arrondissement de Saint-Hubert, à Longueuil, a commencé à préparer son dossier le 4 octobre. Après avoir appris que les demandes étaient gérées par les municipalités régionales de comté (MRC), il s’est ensuite fait rediriger vers Développement économique de l’agglomération de Longueuil (DEL). Dans la métropole, les demandes sont analysées par PME MTL. À la suite du dépôt de son dossier et après des échanges avec le comptable mandaté par DEL, Pierre Dufour ne sait toujours pas s’il recevra de l’aide.

On commence à être brûlés. C’est un mirage d’aide.

Pierre Dufour, copropriétaire du restaurant Le Méchant Loup

Normand Laprise, chef du groupe Signé Toqué !, propriétaire de la Brasserie T !, du Beau Mont et de Toqué !, cachait mal son exaspération lorsque La Presse l’a contacté. « Ça fait 27 ans qu’on est en business. Peuvent-ils nous envoyer de l’argent, et on va leur donner les pièces justificatives, sans problème ? »

« On est rendu le 27. Et le loyer, on le paye au début du mois. On n’a rien reçu encore », dit-il.

Normand Laprise, qui gère des établissements à Montréal et sur la Rive-Sud au Quartier DIX30, a fait des demandes à trois endroits : deux dans la métropole – car ses restaurants ne sont pas tous situés dans le même quartier – et une auprès de DEL.

À Montréal, il explique que ses demandes ont été acceptées, mais on lui réclame des documents supplémentaires alors qu’à Longueuil, l’aide lui a été refusée.

« On ne veut pas remplir les conditions parce qu’on trouve ça inacceptable », explique-t-il en faisant référence à la caution personnelle exigée du côté de DEL. « J’ai passé ma vie à travailler pour avoir une maison et là, il faudrait que je la cautionne. Pourquoi il faut que je la cautionne si tu m’aides ? »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Normand Laprise, chef du groupe Signé Toqué !

Un prêt et non une subvention

« Il s’agit d’un prêt et non d’une subvention », a tenu pour sa part à rappeler Julie Éthier, directrice générale de Développement économique de l’agglomération de Longueuil. Elle souligne également que les règles du jeu ont été définies par le ministère de l’Économie. Ce programme permet aux entreprises d’obtenir une remise sur prêt. À ce jour, aucun restaurateur n’a reçu d’aide financière de la part de DEL. « On a cinq dossiers qui ont été approuvés, mais les sommes n’ont pas été à ce jour décaissées. »

« On nous demande d’analyser les dossiers comme toute demande de prêt pour d’autres fonds, ajoute Mme Éthier. C’est peut-être méconnu ou mal compris de la plupart des entreprises qui sont admissibles. On a vraiment un mot d’ordre de demander la même documentation que lorsqu’on octroie un prêt, et ça se fait quand même assez bien. »

« [Mais] chaque MRC a quand même le droit de mettre ses propres critères d’évaluation, précise-t-elle. Dans notre cas, on a décidé de demander une caution personnelle. Je sais que ce n’est pas le cas partout. C’est le seul ajout qu’on a fait. »

Questionnée sur le fait que de nombreux restaurateurs voyaient cette exigence d’un mauvais œil, celle-ci a répondu qu’il s’agissait de « la façon la plus crédible de nous assurer qu’on appuie les projets qui ont une pérennité optimale ».

Comment expliquer le fait qu’aucune somme n’ait encore été remise ? « Il y a des ententes qui sont à signer entre les MRC et le gouvernement, explique Mme Éthier. On peut quand même commencer à faire les analyses, mais pour les pardons de prêts, ces ententes doivent être signées. Dans notre cas, ça va se faire jeudi en conseil d’agglomération spécial. » Ils ont reçu 200 dossiers jusqu’à maintenant.

Du côté du cabinet du ministre Fitzgibbon, on a tenu à rappeler que le gouvernement gérait « l’argent des contribuables avec rigueur ». « Les MRC ou IQ [Investissement Québec] doivent recueillir un minimum d’information pour octroyer cette aide gouvernementale tout comme ç’a déjà été fait pour des milliers d’entreprises dans le cadre du PAUPME ou du PACTE. »

« Ce qui est long, ce n’est pas l’analyse du dossier, c’est de recevoir les documents », ajoute pour sa part Christian Perron, directeur général de PME MTL (centre-ville).

Une fois le dossier complété, l’analyse prend en moyenne une semaine. Il ne pouvait toutefois pas nous dire si des restaurateurs avaient, jusqu’à maintenant, reçu de l’aide en vertu de ce programme.

« Je comprends tout à fait que les gens trouvent ça difficile, tient à souligner M. Perron. Je ne les blâme pas. Leur business, ce n’est pas de remplir des formulaires, c’est de servir de bons repas. »