La multinationale lance néanmoins une enquête interne à la suite du rapport accusateur de Hindenburg Research

La multinationale Danone confirme avoir reçu du plastique recyclé de l’entreprise de Terrebonne Loop Industries et avoir lancé une production pilote. Le fabricant des bouteilles d’eau Evian a tout de même ouvert une enquête interne à la suite de la publication du rapport de Hindenburg Research, mardi, qui conteste l’efficacité de la technologie de Loop.

Depuis 2018, Loop a annoncé avoir conclu des accords avec Coca-Cola European Partners, PepsiCo, L’Oréal International et Danone.

Danone a écrit à La Presse qu’elle avait un partenariat avec Loop, mais aussi avec d’autres fournisseurs de matériaux recyclés, dans le but d’atteindre ses objectifs d’emballages recyclés de 2025. « Afin d’explorer la faisabilité technique de l’utilisation du plastique Loop, nous avons lancé une petite production pilote de bouteilles recyclées avec du plastique fourni par Loop Industries », a déclaré Danone. L’entreprise souligne qu’elle procédera « à une enquête interne ainsi qu’aux vérifications nécessaires » au sujet des « résultats du rapport de Hindenburg Research ».

Hindenburg affirme entre autres que la technologie de Loop ne produit pas de résultats probants et que les partenariats de Loop sont « vides de sens ».

Dans un communiqué, Loop a nié ces allégations, les qualifiant de « sans fondement, incorrectes ou basées sur la première itération de notre technologie ». Les représentants de l’entreprise n’étaient pas disponibles pour accorder des entrevues jeudi.

Coca-Cola European Partners a indiqué à La Presse qu’elle n’avait pas encore reçu de plastique issu de la technologie brevetée par Loop.

L’action de Loop a repris 1 % jeudi pour clôturer à 7,63 $ US au NASDAQ. Le titre a néanmoins perdu quelque 35 % de sa valeur depuis la publication des allégations de Hindenburg Research plus tôt cette semaine. Hindenburg avait parié sur une baisse du titre de Loop avant de diffuser son rapport.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) suit avec intérêt la situation, qui a déclenché une série d’actions collectives, dont au moins une au Québec, au nom des investisseurs. « L’AMF entend se pencher sur les informations qui ont circulé ces dernières heures à l’égard de Loop Industries. Nous ne ferons aucun autre commentaire », a indiqué le porte-parole Sylvain Théberge. Il n’a pas été possible d’obtenir une réaction auprès de la Securities and Exchange Commission, homologue américain de l’AMF.

Une technique de recyclage révolutionnaire ?

Selon l’entreprise Loop, sa technologie de recyclage est révolutionnaire et permet d’obtenir des composants de base parfaitement purs afin de créer du plastique recyclé. Bien que le rapport de la firme Hindenburg soutienne que l’entreprise est seulement un écran de fumée, l’opinion de spécialistes consultés par La Presse n’est pas aussi tranchée.

L’entreprise utilise un procédé chimique qui permet de décomposer les déchets de plastique en molécules plus simples, avant de reformer un nouveau plastique recyclé. « Ça leur permet d’avoir une stérilisation des matériaux, ce qui fait en sorte qu’ils peuvent refabriquer des objets moulés qui vont servir dans un contexte alimentaire », soutient Marc Olivier, professeur et chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle. Le procédé chimique permet également d’enlever les impuretés, notamment les odeurs et les couleurs, ajoute Normand Gadoury, directeur du développement des marchés et des technologies de tri d’Éco Entreprises Québec.

Afin de produire ce plastique recyclé, l’entreprise reçoit d’abord des déchets de plastique de tous types, formes et couleurs. Or, des difficultés peuvent survenir dès cette étape, selon une personne ayant déjà travaillé chez Loop et qui a collaboré au rapport de Hindenburg, mais qui ne veut pas être nommée parce qu’elle est liée par une entente de confidentialité.

Une des premières problématiques est de s’assurer que dans la matière première, il n’y a pas de bois, pas d’étiquettes, de papier ni de carton. On a déjà reçu des échantillons avec de la roche, donc c’est assez mélangé comme matière.

Une source qui ne veut pas être nommée parce qu’elle est liée par une entente de confidentialité

À l’issue de ce tri, l’entreprise conservera uniquement les produits conçus à l’aide du plastique de type PET, utilisé pratiquement partout, des bouteilles d’eau aux vêtements.

Ce plastique trié est alors mélangé avec différents réactifs. À la suite de cette réaction, deux produits sont obtenus : le téréphtalate de diméthyle (DMT) et le monoéthylène glycol (MEG). Les deux produits réagissent ensemble pour former le PET, le nouveau plastique recyclé. Ce procédé n’a besoin d’aucune utilisation d’énergie pour effectuer la réaction. Les produits chimiques utilisés sont également peu coûteux, bien que certains réactifs soient inflammables et toxiques.

Question de pureté

Selon Loop, les deux composants permettant de créer le plastique recyclé, soit le DMT et le MEG, sont parfaitement purs. Toutefois, selon le rapport de Hindenburg, les produits chimiques de base de l’entreprise ne sont pas de « pureté industrielle ».

« Ce qui semble sortir dans le rapport, c’est qu’il y avait des résultats qui étaient moins intéressants que ce qui aurait pu être obtenu en laboratoire. À mon avis, c’est normal, dans le développement d’un procédé, d’obtenir de moins bons résultats », indique M. Gadoury.

Si le niveau de pureté du plastique n’est pas assez élevé, les applications subséquentes ne seront pas les mêmes, explique le professeur et chercheur Marc Olivier.

« Quand on parle d’un produit pour la consommation comme une bouteille d’eau, ça prend une pureté extrêmement haute, on parle de 99,8 %, parce qu’il ne doit rien y avoir dans le plastique qui soit libéré avec le temps par l’effet de la chaleur, par exemple », affirme notre source ayant travaillé chez Loop. Le témoin mentionne qu’au moment où il travaillait pour l’entreprise, la pureté des composants était très variable. Si le niveau de pureté est trop bas, le plastique recyclé sera alors utilisé pour des objets à moins grande valeur ajoutée, comme des tapis ou des bancs de parc.

Selon Normand Gadoury, Loop est tout de même sur la bonne voie. « Ils ne sont peut-être pas rendus au point pour être à l’échelle industrielle, mais c’est un processus long et difficile pour s’y rendre », conclut-il.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Daniel Solomita, fondateur de Loop Industries

Loop en 8 temps

Comment un petit laboratoire de fortune est devenu une entreprise qui valait un demi-milliard US au début de la semaine.

2011

Hatem Essaddam, un chimiste tunisien, arrive au Québec avec sa femme et ses deux fils adolescents de 15 et 17 ans dans la foulée du Printemps arabe. « Tout petits, on s’intéressait à la chimie ! Avant d’avoir des Lego pour jouer, on avait des modèles moléculaires », raconte Adel, l’un des deux fils, dans un article du Devoir, le 20 avril 2019.

2013

L’entrepreneur Daniel Solomita et Hatem Essaddam se rencontrent. Ils construisent un laboratoire dans un garage de l’Ouest-de-l’Île avec des produits achetés à la quincaillerie du coin, selon ce qu’a raconté M. Solomita à La Presse Canadienne en 2019. « Ma carrière d’entrepreneur environnemental a vraiment commencé en tant que recycleur de nylon 66 », a expliqué M. Solomita en juillet 2018 à Forbes, qui voulait savoir comment il en était venu à la mise au point de la technologie derrière Loop. « J’ai passé des années à travailler sur le terrain à récupérer, nettoyer et aider à remettre ce matériau sur le marché. »

2014

Hatem Essaddam réussit à recréer du plastique vierge de type PET à partir de déchets de plastique. La technologie est brevetée. Loop Industries est fondée et ouvre son usine pilote de Terrebonne.

2016

Les deux fils d’Hatem Essaddam, Adel et Fares, se joignent à la société comme chercheurs. Le premier a étudié en transformation des matériaux composites au cégep de Saint-Jérôme, le second en biochimie à l’Université d’Ottawa.

2017

Loop entre au NASDAQ.

2018

Loop conclut des accords d’approvisionnement avec Evian (propriété de Danone), Coca-Cola European Partners et forme une coentreprise avec la société pétrochimique Indorama Ventures. L’ancien chef de la direction financière de TC Transcontinental et de Transat AT, Nelson Gentiletti, se joint à l’équipe à titre de chef de l’exploitation et chef de la direction financière.

« M. Solomita se souvient de la réaction du principal financier d’Indorama (entreprise thaïlandaise et l’un des plus grands fabricants de plastique), lorsque le duo lui a présenté sa nouvelle technologie : “Il m’a dit : Si ce que vous dites est vrai, vous méritez un prix Nobel !” » — Extrait d’un article de La Presse Canadienne, 14 avril 2019

« … Evian a rapidement réalisé le potentiel. Son équipe de recherche et développement a emménagé dans les installations de Loop Industries et a passé vingt mois à effectuer des tests rigoureux qui ont prouvé non seulement la science de la méthode de Loop Industries, mais également sa viabilité commerciale. » Extrait d’un publireportage d’Evian publié dans le National Geographic le 13 juin 2018

2019

Loop conclut un accord d’approvisionnement avec Danone et avec le fabricant de cosmétiques L’Occitane. La société reçoit un prêt de 4,6 millions du gouvernement du Québec. « L’assistance qu’on donne à l’entreprise, c’est d’accélérer son développement technologique, a dit le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, à TVA le 9 septembre 2019. L’objectif ultime, c’est d’avoir une usine ici au Québec. » « Les ingénieurs de Danone ont passé 18 mois à Terrebonne pour faire des tests. Ils ont même importé des déchets de la France afin de s’assurer que notre technologie répondait à leur attente en termes de qualité », raconte Daniel Solomita au journal Les Affaires le 10 septembre 2020.

2020

Loop conclut un accord d’approvisionnement avec L’Oréal International. En septembre, elle s’allie aussi avec la multinationale française Suez pour construire une usine en Europe, dont la mise en service est prévue en 2023.

— Avec Jean-François Codère, Richard Dufour et Nathaëlle Morissette, La Presse