Malgré les vents contraires qui soufflent sur la place financière de Montréal, le succès de Trans-Canada Capital (TCC) est la preuve qu’il est possible de faire redécoller cette industrie cruciale.

La filiale d’Air Canada, un des secrets les mieux gardés en ville, a réussi un virage à 180 degrés depuis 10 ans. Et ses dirigeants ont des idées plein la tête : faire monter à bord des clients externes, lancer une compagnie d’assurance qui pourrait devenir aussi grande que l’Industrielle Alliance…

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

L’équipe de gestion de Trans-Canada Capital, qui gère le régime de retraite d’Air Canada : Stephan Dumais, Vincent Morin, Marc-André Soublière, Julie Pominville, Nelson Lam et Vincent Polis

« Ça bouillonne pas mal, ici ! », lance le président, Vincent Morin. « On est convaincus qu’on a du talent à Montréal. On est capables de créer des choses intéressantes », dit-il.

Qui aurait cru cela en 2009 ?

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Au sortir de la crise du crédit, le régime de retraite du transporteur aérien accuse un déficit monstre de 2,8 milliards, dix fois plus gros que la valeur boursière d’Air Canada qui est en pleine restructuration.

À titre d’actuaire-conseil chez Mercer, Vincent Morin suggère une toute nouvelle approche. Au lieu d’un portefeuille classique avec 60 % d’actions et 40 % d’obligations, il recommande à Air Canada une stratégie innovatrice. En gros, il s’agit d’augmenter considérablement la part d’obligations afin de réduire les risques, tout en misant sur les produits dérivés et les placements alternatifs pour dégager des rendements intéressants.

L’entreprise aime l’idée. À un point tel qu’elle confie à Vincent Morin les commandes de son régime de retraite.

Parti d’une feuille blanche, il rapatrie 80 % de la gestion à l’interne. L’équipe, qui ne comptait plus que cinq personnes, regroupe maintenant 75 employés qui travaillent en français, à Montréal, où se trouve le siège social d’Air Canada.

« On est allés chercher des jeunes qu’on a fait grandir », raconte la chef des opérations, Julie Pominville. Alors que la haute finance repose de plus en plus sur les données ou sur l’intelligence artificielle, Montréal est une belle pépinière où il est plus facile de retenir les talents qu’aux États-Unis où les géants comme Google s’arrachent les programmeurs et autres experts.

L’équipe de TCC a livré des résultats qui n’ont rien à envier aux plus grandes boîtes de New York ou de Londres. Sur 10 ans, TCC affiche un rendement annuel composé de 11,4 %, ce qui représente une valeur ajoutée de 3 % par an par rapport à son indice de référence.

Désormais, le régime de retraite affiche un surplus de 2,6 milliards, ce qui a même permis à Air Canada de prendre des congés de cotisation. « Par les temps qui courent, ça fait énormément de bien à la compagnie », assure Vincent Morin.

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Voilà qui contraste avec la tendance de l’industrie qui est à la traîne en matière d’emploi.

Depuis 2004, les emplois dans le secteur financier ont augmenté de seulement 11 % au Québec, par rapport à une croissance de 27 % au Canada, comme le démontre une analyse publiée par le CIRANO à la fin d’août.

La situation semble empirer, puisque la création d’emplois a stagné au Québec depuis 2009, alors qu’elle est en hausse de plus de 10 % dans toutes les autres grandes provinces.

Où est le problème ?

Malgré la performance enviable des institutions financières du Québec, bien des emplois disparaissent à cause de la numérisation de l’offre de services et de la modernisation des plateformes informatiques.

Ces changements accélèrent la centralisation de la main-d’œuvre dans les sièges sociaux, ce qui profite surtout à Toronto et nuit aux centres régionaux, où il n’est plus aussi essentiel de maintenir des points de service.

« C’est une mort par attrition pour le monde financier ! Il n’y a pas de nouveaux postes à pourvoir. Les gens partent et ne sont pas remplacés », se désole Marc-André Soublière, premier vice-président chez TCC.

Comme la gestion d’actifs devient de plus en plus pointue, les régimes de retraite se tournent davantage vers l’extérieur pour investir dans de nouvelles catégories d’actifs alternatives.

Pour vous donner une idée, les régimes des entreprises, des municipalités et des universités du Québec accordent des mandats de gestion à l’externe à hauteur d’environ 80 milliards. Et les deux tiers de cette somme sont attribués à des gestionnaires de l’extérieur de la province, selon une étude menée en 2018 par l’Institut de la statistique du Québec.

Des capitaux qui s’envolent. Des emplois hautement qualifiés qui se perdent.

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Pour sa part, TCC n’a pas eu peur de s’attaquer à des stratégies plus complexes. Il faut dire qu’elle a la masse critique, avec 23 milliards d’actifs, ce qui en fait le deuxième régime de retraite d’entreprise au pays, derrière Bimcor (Bell Canada) qui en compte 25 milliards.

Il y a quelques années, Vincent Morin se souvient d’avoir téléphoné au gestionnaire d’un fonds de couverture (hedge fund) new-yorkais pour discuter d’une transaction qu’il voulait effectuer à l’interne. Le spécialiste lui a répondu : « Ah, très, très bonne idée, je vais la mettre dans mon portefeuille ! »

Il s’est alors dit : « On est en train de payer quelqu’un à New York et c’est nous qui lui donnons des idées de transactions. Peut-être qu’on pourrait pousser un peu plus la recherche et le faire nous-mêmes », raconte M. Morin.

Aujourd’hui, TCC compte 1,2 milliard d’actifs dans son fonds de couverture, ce qui en fait l’un des trois plus importants au Canada. Il souhaite maintenant offrir ses services partout dans le monde. Deux clients institutionnels, dont un fonds de travailleurs, lui ont déjà accordé un mandat.

Parallèlement, TCC a entrepris des démarches pour créer une compagnie d’assurance, qui pourrait lui permettre de garantir ses propres rentes… et pourquoi pas celles d’autres régimes de retraite qui cherchent à réduire leur risque ?

The sky is the limit.