Originaire de Montréal, Eric Claus a découvert le secteur de la vente au détail en nettoyant le plancher d’un magasin. Ça lui a donné le goût de devenir patron, et il y est arrivé. Voilà qu’après avoir géré une chaîne de 1300 supermarchés aux États-Unis, il sort de sa « retraite » remplie de voyages et d’activités sportives pour sauver MEC. Quel est son plan de match ? Nous l’avons joint chez lui, à Halifax, pour le savoir.

« Ce n’était pas une vraie retraite. Juste une pause », tient d’abord à préciser Eric Claus en nous parlant de ses trois dernières années à faire du bateau, de l’escalade et du kitesurf, à faire la navette entre la République dominicaine et le bord de la mer en Nouvelle-Écosse.

On comprend que le sexagénaire aurait pu continuer ainsi. Mais il a accepté l’offre de Kingswood Capital Management, nouveau propriétaire américain de MEC, qui le voulait comme chef de la direction et président du conseil de la chaîne de magasins. Lundi, la coopérative fondée en 1971 a annoncé qu’elle s’était placée à l’abri de ses créanciers et que ses actifs étaient vendus à Kingswood.

Des membres ont immédiatement exprimé leur frustration d’avoir appris dans les médias que la plus grande coopérative de consommateurs au Canada serait démantelée, notamment en signant une pétition. Ils auraient aimé être consultés. La British Columbia Co-op Association (BCCA) et Coopératives et mutuelles Canada (CMC) ont même diffusé un communiqué appelant les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique à « confirmer que les législations provinciales et fédérales ont été pleinement respectées » en permettant la vente de MEC à une entité étrangère.

Ce sont autant de clients qui risquent de tourner le dos à l’enseigne de plein air.

« Je comprends les gens qui ne sont pas contents. C’est frustrant. Je comprends qu’il y a certaines émotions. Mais le seul choix était de vendre. Soit que ça continuait comme une entreprise privée, soit qu’il n’y avait plus de magasins, affirme Eric Claus. Je vois la frustration que ce soit une entreprise américaine, mais aucune entreprise canadienne ne voulait s’engager à garder les emplois et les magasins. »

Donner confiance aux employés

Le dirigeant de 64 ans, lui-même membre « depuis des années », considère MEC comme « une institution au Canada que tout le monde aime ».

« Moi aussi, je perds mon 5 $ ! Mais l’an dernier, j’ai acheté un kayak. J’ai eu droit à trois ou quatre heures de conseils. J’ai donc rentabilisé mon 5 $ en 10 minutes. C’est ça, la magie de MEC. Ce n’est pas Amazon ou Canadian Tire », dit-il dans un français aucunement teinté par sa carrière aux États-Unis.

Kingswood, « ce n’est pas mauvais parce que c’est Américain », fait aussi valoir Eric Claus, en rappelant les trois engagements annoncés : continuer d’exploiter « au moins 17 magasins » (sur 22), conserver « 75 % des 1500 employés » et « respecter la culture et la marque de MEC ».

Pour le moment, le nouveau propriétaire affirme ne pas avoir établi la liste des magasins qui resteront ouverts, car tout dépend des négociations avec les bailleurs. Il faudra donc attendre encore avant de savoir quel sort attend les quatre succursales du Québec, dont celles de Laval et Longueuil, fermées depuis le mois de mars.

Même si la vente ne sera officiellement conclue qu’en octobre, et que l’identité d’un président sera bientôt annoncée (il s’agira d’un résidant de Whistler), Eric Claus a déjà établi ses priorités pour que MEC retrouve enfin la rentabilité.

PHOTO FOURNIE PAR ERIC CLAUS

Eric Claus raconte qu’il a surpris bon nombre d’employés, quand il était président de grandes entreprises, en se présentant au bureau en jeans et en t-shirt. Il n’a jamais oublié ses origines modestes et d’où il vient, assure-t-il.

Le dirigeant insiste d’abord sur son rôle auprès des employés au siège social et en magasin. « Il faut donner confiance aux employés qui ont peur de perdre leur job. » Conscient que « c’est excessivement difficile pour tout le monde » en ce moment, il veut se faire rassurant.

« On ne va pas arriver comme des arrogants qui connaissent tout. Il faut écouter. On va aller dans les magasins. […] Les experts dans les magasins ont tellement d’informations importantes. Il ne faut pas rester dans notre tour d’ivoire. »

Plus efficace, adapté et authentique

Le grand patron de MEC a constaté comme bien des clients que le détaillant s’était éloigné ces dernières années de son ADN en vendant de la nourriture pour les animaux et des vêtements de yoga. Ramener l’authenticité qui différenciait MEC de ses concurrents fait donc partie des premières actions qui seront entreprises. « MEC, c’est pour des gens sérieux dans le plein air. C’est sa force et ç’a été un peu perdu », déplore-t-il.

L’assortiment dans les magasins doit être mieux adapté à chacun des marchés, poursuit Eric Claus. « Ce matin, dans le magasin d’Halifax, il y avait un mur plein de raquettes. Mais je n’ai jamais vu plus que trois pouces de neige ici. On ne peut pas vendre la même chose à Vancouver, Toronto et Montréal. »

Des efforts majeurs pour améliorer l’efficacité des ventes en ligne devront aussi être faits. Actuellement, « une commande de six articles peut provenir de quatre magasins, prendre dix jours à être assemblée et prendre un autre dix jours à être expédiée. Ça n’a pas d’allure ! Amazon, c’est 48 heures ».

Eric Claus dit aussi avoir « beaucoup d’idées » pour que les membres demeurent « engagés » malgré l’abandon de la structure coopérative. Ce statut pourrait, par exemple, leur donner droit à des rabais sur la marque privée de MEC. Après tout, on peut bien être membre de Costco…

Il est aussi question d’organiser des événements « pour se rapprocher des communautés », une stratégie abondamment utilisée par la chaîne française d’articles de sport Décathlon, notamment.

PHOTO FOURNIE PAR ERIC CLAUS

Le dirigeant de 64 ans, membre de MEC « depuis des années », considère le détaillant comme « une institution au Canada que tout le monde aime ». Comme tous les autres membres, il a perdu son 5 $.

L’étonnant parcours d’Eric Claus

· Eric Claus a grandi à Montréal. À la fin de l’adolescence, il a été embauché dans un magasin et il devait y laver le plancher. Ce détaillant qui n’existe plus l’a transféré à Val-d’Or. Aujourd’hui, il estime que cette expérience est une de ses « forces » comme gestionnaire. Car cela lui a permis de bien comprendre la réalité des commis qu’il respecte d’autant plus aujourd’hui qu’ils « risquent leur vie avec COVID-19 ».

· Au début des années 2000, il était président et chef de la direction de la chaîne de supermarchés A&P Canada (ventes de 4,4 milliards) quand Metro l’a acquise (2005). Il a ensuite déménagé aux États-Unis pour devenir le grand patron d’A&P US.

· Auparavant, il avait été chef de la direction de Coop Atlantique (supermarchés, stations-service, activités agricoles), vendu depuis à Sobeys, à La Coop fédérée (devenue Sollio) et à CST Canada, notamment.

· De 2013 à 2016, Eric Claus a été membre du conseil d’administration de RONA.

· À compter de 2015, il a travaillé comme président et chef de la direction de Save-A-Lot, une chaîne de 1300 supermarchés aux États-Unis (ventes de 4 milliards US). « Ç’a été 10 fois plus difficile pour moi de faire ma place parce que j’étais canadien et mes concurrents étaient des fils de bonne famille qui avaient étudié à Harvard. Il fallait que je sois plus tough et plus vite. »

· Ses intérêts personnels ? Le plein air, l’escalade, le kitesurf, la moto de course, le bateau à moteur et les avions, énumère-t-il.