Dans No Rules Rules : Netflix and the Culture of Reinvention, Reed Hastings raconte l’histoire de l’entreprise qu’il a cofondée en 1997, dont le succès, selon lui, est principalement basé sur une gestion libre et la transparence.

Ainsi, le succès de Netflix, ses énormes revenus (6,15 milliards US au deuxième trimestre 2020), ses 193 millions de membres dans 190 pays, les récompenses obtenues par ses films et séries (Roma, Marriage Story), tout cela serait dû moins à une bonne idée entrepreneuriale qu’à une façon de gérer qui contribue à l’explosion de la créativité, au dire de Reed Hastings.

Liberté et responsabilité, rétroaction constructive, franchise, transparence… Rédigé avec l’auteure et professeure à l’Institut européen d’administration des affaires Erin Meyer, No Rules Rules est truffé d’anecdotes d’affaires et de gestion, de conseils et de principes que devrait adopter, pour réussir, tout patron d’organisation dans le domaine de la création. La Presse s’est entretenue par Zoom avec un PDG qui n’aime pas les règles.

Q. Honnêtement, est-ce que le succès de Netflix est dû aux principes du « No Rules Rules » ou à de bonnes décisions d’affaires, comme la fondation de votre studio de production en 2015 ?

R. Nous croyons que c’est notre culture d’entreprise qui nous a permis de transformer notre service de location de DVD par la poste aux États-Unis en un diffuseur en continu à l’échelle mondiale. Il y a eu beaucoup de changements en 20 ans. Cette culture nous a conduits à un niveau de créativité élevé, et c’est ce qui nous a permis d’apporter des changements à notre modèle d’affaires au fil du temps.

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Erin Meyer et Reed Hastings

Q. Pourquoi avoir coécrit ce livre avec Erin Meyer ?

R. Comme vous sans doute, j’ai lu bien des livres où on magnifie le travail de PDG, sur le ton de la confidence. Je me demande chaque fois si ce qu’on me présente est la réalité. Erin a interviewé plus de 100 personnes chez Netflix. On lui a laissé beaucoup de liberté. On voulait que le livre soit crédible et qu’il montre ce que j’essaie de faire et où nous en sommes réellement.

Q. Responsabilité totale des employés, communications ouvertes, gestion autonome des vacances, relations franches, aucun document tenu secret, de très bons salaires pour s’assurer les meilleurs effectifs… Votre entreprise peut-elle se permettre tout cela parce qu’elle a beaucoup d’argent ?

R. Nous avons été très pauvres pendant nos 10 premières années. Nous perdions de l’argent chaque année, nous nous battions contre Blockbuster, mais nous avions mis en place tous ces principes. Ce sont eux qui permettent la réussite. Innover, c’est essayer des choses différentes. Si on valorise et stimule la créativité au sein d’une entreprise, elle peut s’adapter, ne pas être dépassée. Combien ont duré plus de 100 ans ? Très peu. La plupart des entreprises n’étaient pas assez créatives.

Q. Vous dirigez Netflix comme s’il s’agissait d’une équipe sportive. Vous embauchez moins de gens, mais aux meilleurs salaires de l’industrie, et vous vous attendez à ce que vos employés soient extraordinaires et productifs. Est-ce la meilleure façon de gérer une entreprise ?

R. Je suis entouré des meilleurs joueurs à toutes les positions. C’est la meilleure façon de remporter le championnat, c’est-à-dire, dans notre cas, de divertir le monde entier. Quand le talent est très élevé, on peut diriger avec très peu de règles.

Q. Est-ce qu’il y a de la place pour les débutants chez Netflix ?

R. Nous voulons des gens qui commettent des erreurs, car la seule façon d’apprendre et de grandir, c’est d’avoir le désir d’essayer de nouvelles choses. Pour reprendre l’analogie du sport, chaque jeu ne conduit pas forcément à un but, mais on tente et retente sa chance. On engage des gens et on leur dit : « Vous ne vous ferez pas renvoyer à cause d’un échec, mais pour ne pas avoir essayé. » Si un nouvel employé veut apprendre comme dans un livre de cuisine, en se faisant donner une recette à suivre, il ne sera pas à sa place chez Netflix. On incite les gens à avoir de l’initiative, à prendre des décisions, on leur donne des responsabilités. On instruit mieux en laissant faire qu’en enseignant.

Q. Est-ce difficile d’implanter cette culture fondée sur l’initiative, l’essai-erreur, la liberté et la transparence dans d’autres marchés, par exemple le Canada ou le Japon ?

R. Au Canada, il y a une grande culture de la créativité. On produit d’ailleurs énormément au Canada. Certaines cultures comme le Japon sont plus conservatrices. Mais aucune culture n’est uniforme. Les tempéraments sont multiples. Nous embauchons des Japonais créatifs, audacieux et qui veulent prendre des risques. Ceux qui sont avec nous n’ont pas le profil type du travailleur. Ils s’affranchissent des normes.

Q. En 2017, Netflix a promis d’investir 500 millions dans la production canadienne en cinq ans, une somme que vous dites avoir déjà dépassée. Pourquoi n’y a-t-il pas d’annonce d’investissements en production d’œuvres spécifiquement pour le marché francophone au Canada ?

R. Le film Jusqu’au déclin [de Patrice Laliberté] est un exemple d’investissement qu’on a fait. D’ailleurs, un pourcentage considérable de nos membres partout dans le monde l’ont regardé. On a quelques produits québécois, mais on recherche de bonnes histoires. On juge d’abord les histoires. On ne se demande qu’ensuite de quel endroit elles proviennent.

[NDLR : Netflix a créé, ces dernières années, des partenariats ponctuels avec des organismes tels le Fonds des médias et Téléfilm Canada.]

Q. Quelle est votre position, en 2020, sur l’application de la TPS pour Netflix ?

R. Tous les pays veulent appuyer leur culture de façons variées. Il en revient à nous de contribuer comme d’autres entreprises locales le font. Nous pensons que la TPS devrait s’appliquer à toutes les entreprises. On devrait tous contribuer également, tant les compétiteurs canadiens que les Disney+. C’est au gouvernement canadien de décider à quel niveau. Nous souhaitons juste que tout le monde soit traité également.

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No Rules Rules : Netflix and the Culture of Reinvention, de Reed Hastings et Erin Meyer, Penguin Press, 293 pages. La version en français sera publiée au début de 2021.