Vous payez le gros prix pour obtenir le droit de distribuer un produit haut de gamme de façon exclusive dans votre région, mais découvrez par hasard que votre Costco local en écoule des tonnes d’exemplaires à rabais.

Ce scénario s’est répété à plusieurs reprises, dans les dernières années. Si bien que le détaillant est accusé à répétition de contourner les réseaux officiels et de miser sur le marché gris dans sa course au meilleur prix.

Le marché gris, ce sont toutes les transactions qui, sans être illégales, ne sont pas autorisées par le fabricant d’un produit : il s’agit souvent d’articles obtenus à bon prix parce qu’ils sont destinés à être distribués dans un pays précis, mais exportés vers un autre pays en violation d’ententes commerciales.

Ainsi, la justice québécoise vient d’entendre la cause d’une entreprise qui a découvert avec stupeur que les parfums qu’elle était théoriquement la seule à pouvoir vendre au Canada étaient aussi offerts chez Costco, à très bas coût. Coty Canada commercialise les fragrances de marque Gucci, Hugo Boss, Burberry et Chloé, entre autres, fabriquées par sa grande sœur, Coty International.

Des « quantités massives » de ces parfums se retrouvent sur les tablettes des magasins Costco du pays, alors que Coty Canada ne leur en vend pas une goutte.

Les parfumeurs se sont adressés à la justice afin de forcer Costco à lui révéler d’où viennent les flacons – authentiques – qu’il vend à bas prix : le réseau de distribution de Coty International est si complexe que l’entreprise affirme ne pas avoir la moindre idée de la provenance de ces articles.

Ce n’est pas le premier cas du genre à survenir : en 2017, La Presse relatait l’histoire de Simms Sigal & Co., un distributeur montréalais de vêtements haut de gamme qui avait constaté que Costco le concurrençait avec des jeans de marque R&R identiques à ceux qu’il distribuait, mais détaillés trois fois moins cher.

Aux États-Unis, le fabricant de montres Omega, la maison de couture Yves Saint Laurent et une entreprise de produits de beauté ont aussi poursuivi Costco, déplorant ses pratiques d’affaires.

Les équipementiers sportifs The North Face et Salomon, eux, ont envoyé des employés vider les étalages des Costco de leurs produits lorsqu’ils ont découvert que des milliers de leurs sacs de couchage et de leurs skis avaient atterri dans les magasins-entrepôts, selon le site américain d’information SNews. Un intermédiaire qui prétendait approvisionner des surplus d’armée d’Europe de l’Est en équipement de plein air – mais détournait du stock vers Costco – serait en cause.

« Aucun commentaire », s’est limité à réagir Martin Groleau, responsable des communications de Costco Canada.

Les risques du marché gris

Lorne Lipkus, avocat spécialiste de la propriété intellectuelle et membre fondateur du Réseau anti-contrefaçon canadien, a indiqué en entrevue que Costco avait la réputation de s’approvisionner sur le marché gris.

« C’est connu dans le milieu que Costco vend des produits provenant du marché gris », a-t-il dit. Il fréquente lui-même la chaîne et tombe parfois sur des produits qu’il sait provenir de cette filière.

Le marché gris en lui-même n’est pas illégal, mais il représente des risques pour le consommateur, a souligné MLipkus. C’est que la réglementation varie de pays en pays et qu’un produit fabriqué pour être vendu dans un lieu donné peut être illégal là où il sera finalement écoulé.

Le Canada, le Québec, d’autres provinces ont des lois qui établissent certains standards. Les États-Unis peuvent avoir des standards différents.

Me Lorne Lipkus

L’avocat a aussi donné l’exemple des emballages bilingues imposés par la loi pour les produits vendus au Canada.

Par ailleurs, le marché gris peut fournir une couverture intéressante à des faussaires, qui peuvent se faire passer pour le distributeur autorisé d’une marque dans un pays étranger afin d’écouler des contrefaçons, a souligné l’avocat.

D’autres problèmes peuvent aussi se présenter pour les consommateurs. « Par exemple, il y a des produits assortis d’une garantie seulement valide aux États-Unis. S’ils sont achetés au Canada, le consommateur ne pourra pas faire passer les réparations sous la garantie », a expliqué Lorne Lipkus.

Refus de la justice

Coty International et Coty Canada n’ont pas réussi à convaincre la Cour supérieure de forcer Costco à leur révéler la provenance des flacons de parfum. Ceux-ci étaient vendus « 52,99 $ chacun, ce qui représente une réduction pouvant aller jusqu’à 50 % du prix suggéré par Coty », a noté le juge Gérard Dugré.

« Ordonner en l’espèce à Costco de divulguer le nom de ses fournisseurs de produits authentiques Coty, d’une part, porterait atteinte à sa liberté individuelle en matière commerciale, donc à l’intérêt public, et, d’autre part, violerait son droit au respect de sa vie privée, a écrit le magistrat. Costco n’a pas à compromettre ses relations commerciales d’approvisionnement à cause d’une demande de Coty. »

La justice a noté que le parfumeur n’avait pas pu prouver avec assez de solidité qu’il avait fait tout en son pouvoir pour comprendre d’où provenaient ces flacons.

Coty « ne fera aucun commentaire sur le jugement », a affirmé son avocat, Mathieu Piché-Messier, à La Presse.