Sa femme, ses amis, ses employés, ses enfants, sa mère. Tous ont un rôle à jouer dans le sprint de Fayçal Hajji pour faire surgir du néant une nouvelle entreprise en pleine pandémie.

Il faut d’abord dire que la conjointe de Fayçal Hajji est médecin.

Au plus fort de la pandémie, la savoir se démener à l’hôpital, la voir revenir épuisée et bouleversée donnait une autre perspective sur l’essentiel.

Car Fayçal Hajji est entrepreneur. C’est important aussi, bien sûr. Il a fondé en 2011 la maison de production FH Studio, qu’il a transmutée au courant 2019 en agence de publicité et marketing, sous le nom The Unknown.

The Unknown commençait à se faire connaître quand la COVID-19 a frappé. « En février, on était super contents, on a gagné deux gros pitchs », raconte l’entrepreneur.

Un mois plus tard, il n’en restait rien.

Fayçal Hajji résume son désarroi dans une métaphore métallo-électrique : « Durant deux semaines, pétage de plombs intense. »

Son état ne s’est pas amélioré au constat que sa conjointe « revenait de la job presque tous les soirs en pleurs », confie-t-il. « À l’hôpital, on lui interdisait de mettre des masques parce qu’il n’y en avait pas pour tout le monde. »

« Ça m’a assez perturbé. »

Il a voulu faire quelque chose.

« Comme j’ai travaillé beaucoup en Chine, j’ai commencé à contacter tous les contacts que j’avais là-bas. »

De coups de fil en aiguille, il a importé des masques et des visières, qui ont rapidement trouvé le chemin des services de santé.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE=

En moins de trois mois, l’entreprise fondée par Fayçal hajji a vendu 30 000 masques réutilisables, 200 000 masques jetables et 100 000 visières.

Ce beau succès n’aidait cependant en rien The Unknown, qui demeurait au point mort.

Ma blonde m’a dit : “Tu sais Fayçal, ce n’est pas le temps de se battre pour de la publicité. Trouve-toi quelque chose dans les secteurs essentiels.”

Fayçal Hajji, fondateur de 1 POUR TOUS

Bonne idée, mais quoi ? D’un côté, il avait réussi à importer de l’équipement de protection. De l’autre, il dirigeait une équipe de spécialistes en marketing créatif.

Il a associé les deux : « Tant qu’à faire, on va créer notre propre marque ! »

Il a battu le rappel de deux de ses meilleurs concepteurs.

À la nouvelle entreprise, ils ont donné un nom, 1 POUR TOUS, et un logo – une main à l’index dressé au bout duquel perle une goutte de désinfectant.

Fayçal avait puisé son inspiration chez les voisins de son siège social, à Saint-Henri. À la porte de la Mission Bon Accueil, « il y avait une file de centaines de personnes sur au moins un kilomètre pour ramasser des denrées pour survivre », raconte-t-il.

« C’était crève-cœur. »

Sa nouvelle entreprise y a trouvé une devise : bienveillance et bien-être. Et une mission : « redonner 5 % de nos ventes à des organismes à but non lucratif. »

Le Steve Jobs du désinfectant

Fayçal Hajji voulait sa propre formule de désinfectant.

« J’avais une artiste que j’ai représentée il y a très longtemps, qui est une amie aussi, chimiste à la base, mais également photographe », indique-t-il.

Hannah Palmer est la cofondatrice de la marque de concentrés pour cocktails 3/4 oz. Tonic Maison.

« Je l’ai appelée : j’ai besoin de toi ! »

Ils ont mis au point une formule douce et efficace et ils ont déniché des fabricants pour la produire et l’embouteiller dans des contenants transparents marqués au logo 1 POUR TOUS.

Dès lors, pourquoi pas un appareil pour distribuer ledit désinfectant à l’entrée des bureaux et magasins ?

« J’avais un autre ami avec lequel je jasais beaucoup depuis le début de la crise. »

Celui-là est designer industriel. Felix Marzell est le cofondateur de la firme de design et ingénierie Dix au carré, spécialisée dans les installations de divertissement.

« Il a fait entrer son équipe – à distance – et on a commencé à développer un distributeur. »

Il se décline en trois versions au design épuré – Fayçal avait la vision d’une espèce d’Apple du désinfectant. Outre le modèle de table de 2 L, un modèle sur pied de 10 L peut être muni ou non d’une caméra thermique pour « faire de la conscientisation et responsabiliser les employés ».

Quand le quidam avance les mains dans la fenêtre de l’objet pour une giclée automatique de désinfectant, la caméra mesure sa température et un écran affiche discrètement le résultat pour lui seul, avec des suggestions appropriées si elle se révèle trop élevée. Les prototypes sont en cours de fabrication chez 10 au carré, qui entreprendra ensuite la production en petite série.

Encore des amis…

L’infatigable entrepreneur a aussi lancé une production locale de masques réutilisables, dont les motifs ont été confiés à des artistes québécois. « Je voyais mes amis qui pouvaient le faire et qui n’avaient pas de revenus. On leur donne 5 % des ventes en redevances. »

Pour vendre tous ces produits, il fallait un site transactionnel digne de la marque. « C’est un autre ami qui m’a aidé là-dessus », lance-t-il en riant.

Mais toutes ces démarches et ces projets ont exigé un financement que l’agence, aux revenus taris, ne pouvait assurer.

Devinez…

Il y a une amie à moi qui m’a vu travailler et qui m’a demandé si elle pouvait m’aider », relate-t-il.

Fayçal Hajji, fondateur de 1 POUR TOUS

« Elle s’appelle Isabelle Sauvé, et elle m’a vraiment sauvé. »

À tel point qu’elle est devenue partenaire.

Avec elle, Fayçal planifie transformer un de ses studios de tournage en petite usine d’embouteillage.

L’entreprise a déjà vendu 30 000 masques réutilisables, 200 000 masques jetables et 100 000 visières. Elle n’existait pas il y a trois mois.

« Je n’ai jamais travaillé autant de ma vie ! », confirme l’entrepreneur.

Fayçal Hajji a d’innombrables amis, mais une seule maman. Elle est essentielle dans l’histoire.

Il avait invité sa mère, qui habite au Maroc, à venir prendre soin des deux jeunes enfants du couple – « hyperactifs comme moi » – durant sa participation au festival South by Southwest, prévu à la mi-mars. Elle était arrivée le 1er mars pour d’abord passer une semaine de vacances avec la famille. Elle n’est jamais repartie, coincée par la COVID-19.

« Tous les soirs, je lui embrasse la main et je lui dis : “La malchance que tu sois bloquée au Canada est la plus grande chance que je n’aurais jamais pu rêver d’avoir. Sans toi, je n’aurais rien pu faire.” »

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