Les restaurateurs de la région montréalaise à qui je parle, jour après jour, sont pour la plupart exaspérés.

Exaspérés par le silence du gouvernement. Par le flou autour de la réouverture de leurs établissements. Par les millions de points d’interrogation autour de leur existence et de leur survie.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

« C’est seulement durant la belle saison, alors que les clients qui veulent se déconfiner bouillent d’impatience, qu’on pourra bien tester et ajuster les modèles d’affaires et de fonctionnement de l’ère virale », écrit notre chroniqueuse.

Et à la question : « Est-ce que vous allez rouvrir ? », tous ont la même réponse.

« Oui. Mais si on peut. »

Oui s’ils le peuvent, parce que rendus à la date où ce sera permis, il faudra qu’ils aient encore assez de liquidités. Oui si les règles de fonctionnement dans le cadre de la prévention de la contagion sont réalistes. Oui si le personnel est au rendez-vous. Oui si, mathématiquement, c’est profitable et jouable dans le meilleur des scénarios, avec le nombre de clients qu’ils pourront accueillir chaque jour vu les nouvelles contraintes. Oui s’il reste assez de convives prêts à sortir de chez eux en courant pour aller manger au restaurant. Parce qu’on le sait, même dans le meilleur des cas, même une fois les pires inquiétudes virales passées, les craintes vont perdurer et amener les gens à rester à la maison.

Oui si…

La vraie réponse, c’est que personne n’a de réponse. Parce que trop de données manquent encore.

Et une bonne partie de ces informations, de ces morceaux du puzzle, sont entre les mains du gouvernement et de la Santé publique.

Que font-ils pour aider ce secteur crucial pour l’économie montréalaise, à mille égards  ? Et on ne demande même pas nécessairement plein d’argent – bien que cela pourrait aider, notamment, les restaurants qui devront s’équiper contre le virus. Ce qu’on veut surtout, surtout, en ce moment, c’est au moins de l’information.

« Il n’y a rien de clair », m’a confié hier le chef et restaurateur Ricardo Larrivée, dont les trois restaurants, Café Ricardo, à Saint-Lambert, Québec et Laval, sont fermés depuis le début de la crise. « Et est-ce qu’on pourrait nous le dire pas seulement trois jours d’avance qu’on rouvre  ? », lance-t-il. Ça prend plus de temps pour remplir les frigos et dépoussiérer la place.

« L’inconnu, c’est la pire affaire. »

Même son de cloche de la part de Fred Morin, copropriétaire du groupe de restaurants qui comprend Joe Beef, Vin Papillon, Liverpool House et McKiernan. « On veut rouvrir, on va rouvrir, mais est-ce possible sans avoir mille bâtons dans les roues », demande-t-il. Et, surtout, savoir au plus vite quand ça sera possible et dans quelles conditions.

On se sent comme les enfants qui apprennent des voisins que leurs parents vont divorcer. On veut des directives qui se résument sur un post d’Instagram, sans avoir besoin d’un avocat ou d’un linguiste pour comprendre.

Fred Morin

« On veut des paramètres clairs », ajoute son associé David McMillan. « Des protocoles pour les toilettes. Rapidement. »

« Pour repartir sur la bonne voie, la communication et la compréhension sont très importantes », poursuit Lindsay Brennan, copropriétaire d’Alma, restaurant à Outremont. « Or, il n’y a toujours rien de concret sur Montréal, à ma connaissance. »

« Toi, d’après toi, mon restaurant fait-il partie du Grand Montréal  ? », me demande un restaurateur un peu excentré.

Je ne le sais pas.

Certains restaurateurs préfèrent ne pas parler publiquement. Pas envie.

Mais tous sont inquiets. Et en même temps prêts à tout pour sauver leur entreprise.

Et énervés de ne pas être pris au sérieux.

Pourtant, certains sont, en soi, des pôles touristiques au même titre que nos musées ou nos festivals. Ont-ils droit au même respect ?

Par exemple, la semaine dernière, la décision du gouvernement d’interdire à la chaîne St-Hubert de vendre des canettes de gin tonic prêt à boire a été reçue comme une claque.

« C’est quoi, le problème  ? », demande Ricardo Larrivée.

Officiellement, les restaurants ne sont pas censés vendre des spiritueux avec leurs mets à emporter. Juste du vin et de la bière en bouteille.

De quand date exactement ce règlement ? Est-il réellement logique alors que les restaurants se battent pour survivre ?

Sérieusement  ?

La SAQ va-t-elle perdre une partie hallucinante de son chiffre d’affaires parce que St-Hubert vend des canettes de Romeo’s Gin ? Un drink fait au Québec en plus. Allô.

Cher gouvernement, si on a été capable de comprendre que dans l’urgence il fallait desserrer les règlements pour permettre aux médecins de faire des téléconsultations et des télédiagnostics et des téléordonnances, peut-être qu’on peut relaxer sur la vente de gin fizz à 7 % d’alcool  ?

***

Pour Ricardo Larrivée, le mot d’ordre est simple : il faut permettre aux restaurants de rouvrir cet été absolument.

Parce que c’est seulement durant la belle saison, alors que les clients qui veulent se déconfiner bouillent d’impatience, qu’on pourra bien tester et ajuster les modèles d’affaires et de fonctionnement de l’ère virale.

Pendant l’été, on peut voir ce qui marche ou ne marche pas, et si le projet de tout restaurateur est réaliste ou pas.

En plus, les tables d’appoint des terrasses et les paniers à pique-nique peuvent offrir un tampon financier.

Une fois l’automne arrivé, ça sera trop tard.

Le restaurateur est catégorique.

« Si on n’est pas capables de survivre cet été, de vérifier, de mettre à l’épreuve les nouveaux modèles, notre chien est mort. Il faut essayer ça maintenant. »

Qu’attend le gouvernement pour donner l’heure juste aux restaurants montréalais ?