Fini le papier pour Maxi. La chaîne de supermarchés fait le pari que sa clientèle est prête à consulter uniquement la liste des produits en solde sur un écran. L’expérience, tentée pour la première fois en 1996, avait échoué. Et encore cette fois, la stratégie ne risque pas de faire boule de neige, selon des experts.

Maxi vient d’annoncer à ses clients que sa circulaire « devient 100 % numérique ».

Au début de la pandémie, de nombreux détaillants ont cessé de produire une circulaire pour ne pas attirer de forts achalandages, pour limiter la manipulation de papier ou pour éviter d’annoncer des produits en rupture de stock.

Les supermarchés Maxi, détenus par Loblaw, n’ont pas fait exception. Leur circulaire a d’abord été réduite à quatre pages et la version papier a cessé d’être imprimée à la mi-avril. « On s’est dit : “C’est le moment de l’essayer” », raconte la porte-parole Johanne Héroux.

La décision de ne pas retourner dans le Publisac n’aura donc pas tardé, même si elle a suscité « de gros débats » à l’interne « puisque ça a toujours été un gros outil stratégique ».

En général, la réponse est bonne, notamment auprès des clients soucieux de l’environnement. Il est toutefois difficile de mesurer l’impact d’un tel virage en temps de pandémie, le comportement des consommateurs étant atypique.

Johanne Héroux, porte-parole de Loblaw

Maxi continuera d’afficher ses rabais sur son site web ainsi que sur les applications de Loblaw PC Optimum et PC Express. Les consommateurs auront aussi accès aux soldes sur des applications et des sites comme reebee.

« Maxi fait cavalier seul »

Pour TC Transcontinental, qui imprime les circulaires et distribue le Publisac, « Maxi fait cavalier seul ». La porte-parole Patricia Lemoine affirme que 89 % des Québécois consultent les circulaires et qu’elles « créent de l’affluence en magasin ». D’ailleurs, tous les détaillants ont des plans pour réintégrer le sac, jure-t-elle.

Avec le taux de chômage qui a bondi et l’importante inflation alimentaire, le Publisac est plus important que jamais pour les consommateurs et les détaillants, fait valoir TC Transcontinental.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Pour TC Transcontinental, qui imprime les circulaires et distribue le Publisac, « Maxi fait cavalier seul ».

Johanne Héroux affirme plutôt que « c’est important de commencer à délaisser le papier. La pression vient de partout. Le consommateur le demande ». Le Publisac suscite d’ailleurs un vif débat à Montréal et dans d’autres villes.

Christian Desîlets, qui enseigne la publicité à l’Université Laval, travaillait chez Cossette en 1996 et avait Maxi comme client lorsque la décision fut prise pour la première fois d’abandonner la circulaire. « L’objectif était d’épargner de l’argent. C’était l’argument à l’interne et on parle de millions de dollars. Ils se disaient que c’était de l’argent qu’ils pourraient mettre pour baisser les prix. »

Ce fut « un échec qui leur a coûté très cher », rapporte-t-il. Maxi a rapidement « vu une baisse de son chiffre d’affaires » et le retour dans le Publisac a été annoncé.

L’internet change la donne

« Après trois ou quatre mois, vous commencez à souffrir. Pour le consommateur qui ne voit pas Maxi dans les circulaires étendues sur la table, Maxi sort du radar. Et vous perdez les consommateurs qui font deux ou trois épiceries à la recherche des spéciaux […] On ne change pas une culture de consommation du jour au lendemain », explique Christian Desîlets.

L’expert croit aussi que les clients ont jugé, à l’époque, que Maxi avait cessé « de se forcer pour faire des spéciaux », contrairement à ses concurrents, ce qui a nui à sa réputation. En outre, les concurrents ont profité de la situation pour récupérer le budget marketing des manufacturiers qui était destiné à la circulaire de Maxi, ce qui les a favorisés.

Mais en 2020, il y a l’internet. Ce qui change clairement la donne. « La circulaire en ligne, c’est plus flexible. Le timing est plus approprié », fait valoir JoAnne Labrecque, professeure experte en vente au détail à HEC Montréal.

Aussi, grâce à l’intelligence artificielle et à son programme de fidélisation, Maxi pourra faire des offres personnalisées à ses clients. « Le hic, c’est que ça défavorise les personnes qui ont moins accès à la technologie et qui sont sensibles aux rabais », note Mme Labrecque.

« S’ils répètent l’expérience, ça doit être parce qu’ils ont des analyses sérieuses, mais on ne peut pas écarter que ce soit une décision cowboy basée sur l’instinct plutôt que des données probantes », dit Christian Desîlets. Advenant la deuxième option, il s’agit d’un « gros risque », tranche l’expert.

reebee en temps de pandémie

Chose certaine, la popularité des rabais en ligne atteint un sommet chez reebee.

L’entreprise affirme que 64 328 Québécois ont téléchargé son application en avril dernier, une hausse de 60 % par rapport à avril 2019. Et plus de 10 millions de consultations ont été enregistrées en avril, un bond de 13 %. Jusqu’ici, en mai, la hausse de consultation s’établit à 28 %.

« Les circulaires imprimées ont un avenir incertain », dit la porte-parole Claire Martin, tandis que reebee offre « un format numérique sûr, écologique et efficace aux quelque 78 % de Canadiens qui souhaitent toujours utiliser des offres ».

Stratégie différente ailleurs chez Loblaw

Les deux autres enseignes de Loblaw présentes au Québec ont adopté des stratégies différentes de celle de Maxi. Tandis que Pharmaprix n’a rien changé à ses habitudes, Provigo a réduit le nombre de pages de sa circulaire à seulement quatre (comparativement à 8 ou 12 en temps normal). Pourquoi quatre ? « Parce qu’on ne peut pas aller plus bas ! », répond en riant Johanne Héroux. L’épicier a choisi de concentrer ses rabais sur une feuille recto verso pliée en deux. Par contre, de façon numérique, Provigo offrira « encore plus de rabais » qu’à l’habitude, promet-on. Deux autres enseignes de Loblaw, No Frills et Real Canadian Super Store, ont elles aussi abandonné le papier.

Rectificatif:
Dans une version antérieure de cet article, nous avions fait une erreur dans le nom de famille de Patricia Lemoine, nous avions plutôt écrit Patricia Lemoyne. Nos excuses.