Alors qu’elle songe à cogner à la porte des gouvernements, Bombardier s’expose-t-elle encore à une pluie de critiques lui reprochant de vivre aux crochets de l’État si elle obtient une aide afin de traverser les turbulences provoquées par la COVID-19 ? Peut-être moins cette fois-ci, estiment des observateurs, qui ont quand même des questions.

« Dans ce cas-ci, on ne peut pas directement blâmer l’entreprise pour la pandémie, a estimé le président-directeur du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), Yvan Allaire, au cours d’un entretien téléphonique. Ce n’est pas le résultat de mauvaises décisions de sa part. »

Bombardier, qui a vu pratiquement toutes ses usines se retrouver en quarantaine forcée, a puisé quelque 1,6 milliard US dans ses liquidités au premier trimestre — une cadence qui devrait se maintenir jusqu’à la fin juin environ — puisqu’elle a été dans l’incapacité de livrer certains avions et que les commandes ont été moins importantes. Elle a également affiché une perte nette de 200 millions US.

Cela a incité le constructeur d’avions et de trains à révéler la tenue de discussions avec tous les gouvernements — dont celui du Québec — où il est présent. Au besoin, il aimerait par exemple pouvoir compter sur une forme de financement pour des avions construits, mais qui n’ont pas été livrés à des clients.

En conférence téléphonique, jeudi, le président et chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, qui a pris la relève d’Alain Bellemare le 6 avril, a expliqué que l’aide serait « temporaire ».

« La dynamique n’est pas la même qu’il y a cinq ans puisque l’entreprise n’est pas la seule à éprouver des difficultés, a estimé l’expert en gouvernance et professeur à l’Université Concordia Michel Magnan. Mais en matière de gouvernance, la compagnie est toujours contrôlée par la famille Beaudoin-Bombardier. Cela a été un irritant dans le passé et qui continuera à attirer l’attention. »

Quand même des questions

D’un autre côté, plusieurs autres compagnies auront besoin d’une aide gouvernementale afin de traverser la crise, a-t-il ajouté, en donnant l’exemple du détaillant Aldo, qui vient de se placer à l’abri de ses créanciers.

« Pourquoi une entreprise plutôt qu’une autre ? Cela peut placer les gouvernements sur un terrain glissant », a fait remarquer M. Magnan.

Selon le professeur à l’Université Concordia, un président comme Éric Martel, qui a passé cinq ans chez Hydro-Québec avant de rentrer au bercail, constitue un atout pour la compagnie, puisque ce dernier a appris les rouages de l’appareil gouvernemental lors de son passage à la tête de la société d’État.

Bombardier avait été plongée dans une vive controverse en 2017 en raison des émoluments de M. Bellemare et des autres membres de la haute direction, qui s’étaient notamment partagés des primes totalisant près de 7 millions US même si l’entreprise avait procédé à des milliers de mises à pied l’année précédente en plus d’obtenir 1,3 milliard de l’État québécois pour sauver la C Series.

Afin de mieux faire passer la pilule, l’aide devrait être remboursable, selon MM. Magnan et Allaire. De plus, le président-directeur de l’IGOPP croit qu’il ne devrait pas y avoir de primes octroyées aux cadres si les résultats ne sont pas au rendez-vous et que l’on réduit l’effectif.

Des remises

De 1986 à 2009, Bombardier affirme avoir reçu des prêts totalisant 596 millions de la part du Québec, de l’Ontario et du gouvernement fédéral pour le développement de différents programmes d’appareils. Avec les intérêts, 760 millions ont été remis, affirme-t-elle. La société a également obtenu 816 millions en prêts — dont un de 372,5 millions d’Ottawa pour le développement du Global 7500 — en 2009 et 2017.

Les calculs de la compagnie ne tiennent toutefois pas compte de l’injection de 1,3 milliard effectuée par Québec dans le programme C Series, qui a été rebaptisé A220 depuis qu’il est contrôlé par Airbus.