De la fabrication de sacs à ordures aux masques de protection livrés à domicile, il n’y avait apparemment qu’un pas. Frederico Panetta a fait faire un étonnant parcours à l’entreprise familiale.

C’est à l’aéroport de Zurich, en février, que Frederico Panetta a pris conscience que le coronavirus était un phénomène hors du commun : tout le monde portait un masque. « On s’est dit : il y a vraiment quelque chose qui se passe, et c’est sûr que ça va s’en venir au Canada. »

De retour à Montréal, le président d’Industries Gould a pris les mesures qui s’imposaient : il a commandé des masques. Une centaine de milliers de masques.

Après tout, son entreprise se spécialisait dans la fabrication de sacs à ordures pour les marques maison de chaînes de pharmacies.

Le lien semble ténu, mais il y a bel et bien un fil.

C’est d’ailleurs au bout du fil qu’il raconte l’histoire, d’une voix enthousiaste.

« On a quand même un éventail important de fournisseurs et de partenaires d’affaires, explique-t-il. Après quelques coups de téléphone, j’avais eu les contacts nécessaires. »

Au début d’avril, il commençait la livraison aux établissements de santé et aux réseaux de pharmacies, sous la surveillance de gardes de sécurité qui ne quittaient pas la cargaison des yeux tout au long de l’itinéraire.

Un mois plus tard, il estime en avoir livré 500 000. Et il continue.

Dans la mi-trentaine, l’homme est rompu à ces surprenants bonds — ou écarts ? —, qu’il a fait prendre à l’entreprise familiale fondée il y a 65 ans.

Il avait fait ses premières armes en affaires à l’aube de la vingtaine, lorsqu’il avait inventé une boisson énergisante qui avait trouvé son chemin dans moult dépanneurs.

Quelques années plus tard, il était à la tête d’une entreprise d’édition musicale quand son père, un dimanche soir, lui a avoué que la direction de l’entreprise familiale lui pesait. « Il était très fatigué et je ne le savais pas », relate-t-il.

Le lendemain, il venait donner un coup de main temporaire chez Industries Gould, qui ne fabriquait alors que des sacs à ordures. « Je ne suis jamais reparti. »

Lorsqu’il l’a rachetée, en 2016, l’entreprise comptait 17 employés et la question de l’impact environnemental des sacs de plastique lui faisait craindre pour son avenir. « Je voulais assurer la pérennité de l’entreprise avec un produit connexe. »

Parant l’entreprise d’une vocation de propreté, il a ajouté aux sacs à ordures la fabrication de détergent à lessive en capsules, toujours pour les marques maison. « Et ça a ouvert la catégorie des détergents et nettoyants. »

Détour suivant

Le détour suivant est plus étonnant et plus touchant. Discrètement, Frederico Panetta évoque des problèmes d’incontinence dans la famille.

« J’ai commencé à m’intéresser à ça de façon très particulière, parce que je vois que c’est très angoissant, dit-il. C’est un sujet qui est très tabou et très sensible pour les gens. »

Sans hésitation, il a pris contact avec Domtar, fabricant des culottes d’incontinence pour adultes Attends dans son usine de Caroline du Nord, dont il a obtenu une licence pour le Canada.

Pour faciliter les délicates démarches d’achat de sa clientèle, il a créé il y a six mois le site soinspersonnels.ca, destiné aux particuliers. La livraison à domicile, dans des boîtes discrètes, est principalement assurée par Postes Canada.

« Ça a été un jalon », constate-t-il. « Depuis ce jour-là, on fait de la distribution en ligne, pour une catégorie qui se consacre à 100 % aux soins personnels. » Il y a greffé des alèses pour les matelas, des désinfectants, des nettoyants, du papier hygiénique et, tiens donc, « des sacs à ordures ».

Le site obtenait un succès très raisonnable quand ce coronavirus qu’il avait vu venir a frappé le Canada.

Fort logiquement, il a ajouté au catalogue de sa plateforme les masques et les visières dont il avait trouvé la source. « Avec la crise, le site a pris une expansion incroyable, constate l’entrepreneur. J’ai dû engager 30 % de plus d’employés dans l’entrepôt. »

Les ventes ont crû de 50 % en avril.

« On reçoit des messages des consommateurs : merci, vous m’avez sauvé la vie, je n’ai pas eu besoin de sortir de la maison. » Sauver la vie : l’expression a longtemps été banale…